CE 3/8 ch.-r., 26-04-2024, n° 453014, mentionné aux tables du recueil Lebon
A2412299
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2024:453014.20240426
Référence
19-04-02-03-02 Il résulte du 1 du I de l’article 150 0 A, du 1 de l’article 150 0 D, de l’article 150 0 D bis et de l’article 150 0 D ter du code général des impôts (CGI) qui, compte -tenu de leur caractère dérogatoire, doivent être interprétés strictement, que le bénéfice de l’abattement prévu à l’article 150-0 D ter du code général des impôts est subordonné au respect de plusieurs conditions relatives à la personne du cédant, tenant notamment à l’exercice effectif de fonctions de direction normalement rémunérées au sein de la société dont les titres sont cédés et à la cessation de toute fonction au sein de cette même société dans les deux années suivant ou précédant la cession. Par suite, le respect de ces conditions s’apprécie nécessairement, dans le cas d’un couple marié, sous le régime de la communauté légale comme sous celui de la communauté universelle, au niveau de chaque conjoint pris isolément.
M. et Mme A ont demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2012 à raison de la taxation d'une plus-value de cession de titres, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1700659 du 20 décembre 2018, ce tribunal a réduit de 992 000 euros le montant de la plus-value taxable et prononcé en conséquence la réduction des impositions supplémentaires en litige, prononcé la décharge des pénalités pour manquement délibéré dont elles étaient assorties et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.
Par un arrêt n° 19MA01814 du 6 avril 2021, la cour administrative d'appel de Marseille⚖️ a, sur appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance, annulé le jugement en tant qu'il avait prononcé la décharge partielle des impositions et pénalités en litige et remis celles-ci à la charge de M. et Mme A et a rejeté l'appel incident formé par les contribuables contre ce même jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 mai et 26 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de faire droit à leur appel incident ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales🏛 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin avocats, avocat de M. C A et de Mme B A ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'un contrôle sur pièces, l'administration a remis en cause l'exonération d'imposition, prévue par l'article 150-0 D ter du code général des impôts🏛, sous le bénéfice de laquelle M. et Mme A avaient placé la plus-value réalisée lors de la cession, le 20 juin 2012, des actions de la société Sud Investissements Participation. Par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Bastia a réduit de 992 000 euros le montant de la plus-value de cession en litige et a prononcé la réduction correspondante des impositions supplémentaires contestées ainsi que celle des pénalités pour manquement délibéré dont elles étaient assorties. M. et Mme A se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 6 avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement en tant qu'il prononçait cette décharge partielle, remis à leur charge l'intégralité des impositions supplémentaires auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2012 ainsi que les pénalités pour manquement délibéré et rejeté l'appel incident qu'ils avaient formé contre le jugement.
2. Le 1 du I de l'article 150-0 A du code général des impôts🏛 dispose que : " () les gains nets retirés des cessions à titre onéreux () de valeurs mobilières, de droits sociaux () sont soumis à l'impôt sur le revenu () ". Aux termes du 1 de l'article 150-0 D du même code, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " 1. Les gains nets mentionnés au I de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition par celui-ci ou, en cas d'acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation. () ". Aux termes de l'article 150-0 D bis, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 : " I. - 1. Les gains nets mentionnés au 1 de l'article 150-0 D et déterminés dans les conditions du même article retirés des cessions à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés () sont réduits d'un abattement d'un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième () ". L'article 150-0 D ter du même code, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, dispose que : " I. - L'abattement prévu à l'article 150-0 D bis dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 s'applique dans les mêmes conditions () aux gains nets réalisés lors de la cession à titre onéreux d'actions, de parts ou de droits démembrés portant sur ces actions ou part, acquis ou souscrits avant le 1er janvier 2006, si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La cession porte sur l'intégralité des actions, parts ou droits détenus par le cédant dans la société dont les titres ou droits sont cédés ou sur plus de 50 % des droits de vote ou, en cas de la seule détention de l'usufruit, sur plus de 50 % des droits dans les bénéfices sociaux de cette société ; 2° Le cédant doit : / a) Avoir exercé au sein de la société dont les titres ou droits sont cédés, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession et dans les conditions prévues au 1° de l'article 885 O bis, l'une des fonctions mentionnées à ce même 1° ; () / b) Avoir détenu directement ou par personne interposée ou par l'intermédiaire de son conjoint ou de leurs ascendants ou descendants ou de leurs frères et sœurs, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession, au moins 25 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés ; / c) Cesser toute fonction dans la société dont les titres ou droits sont cédés et faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession () ".
3. Il résulte des dispositions citées ci-dessus qui, compte-tenu de leur caractère dérogatoire, doivent être interprétées strictement, que le bénéfice de l'abattement prévu à l'article 150-0 D ter du code général des impôts est subordonné au respect de plusieurs conditions relatives à la personne du cédant, tenant notamment à l'exercice effectif de fonctions de direction normalement rémunérées au sein de la société dont les titres sont cédés et à la cessation de toute fonction au sein de cette même société dans les deux années suivant ou précédant la cession. Par suite, le respect de ces conditions s'apprécie nécessairement, dans le cas d'un couple marié, au niveau de chaque conjoint pris isolément. Si les dispositions du 1 de l'article 6 du code général des impôts🏛 soumettent les personnes mariées à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d'elles, cette règle n'implique pas, par elle-même, d'apprécier au niveau du foyer fiscal le respect des conditions d'éligibilité à l'abattement pour durée de détention applicable aux cessions réalisées par les dirigeants de sociétés lors de leur départ en retraite. Enfin la circonstance que les époux sont mariés sous le régime de la communauté, qu'il s'agisse de la communauté légale ou de la communauté universelle, est sans incidence sur l'appréciation individuelle que requiert l'application des dispositions fiscales en cause.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour juger que la plus-value réalisée par M. et Mme A lors de la cession des titres de la société Sud Investissement Participation, dont ils avaient été tous les deux les dirigeants, ne pouvait bénéficier du régime de l'abattement prévu par l'article 150-0 D ter du code général des impôts, la cour s'est fondée sur ce que M. A avait seul la qualité de cédant de ces titres et qu'ayant fait valoir ses droits à la retraite dix ans avant la cession, il ne satisfaisait pas à la condition posée par le c) du 2° du I de cet article. Toutefois, en se fondant, pour juger que M. A était l'unique cédant des titres en litige, sur la seule mention figurant dans la liasse fiscale déposée par la société Sud Investissement Participation au titre de l'exercice clos en 2011 selon laquelle l'intéressé était propriétaire de ces titres et en écartant comme dépourvu de toute valeur probante à cet égard l'acte de cession, produit par les requérants, qui désignait M. et Mme A comme les deux cédants des actions qu'ils détenaient conjointement à raison de leur mariage sous le régime de la communauté universelle, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit. Son arrêt doit, par suite, être annulé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 6 avril 2021 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à M. et Mme A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat ; M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 26 avril 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Isidoro
La secrétaire :
Signé : Mme Elisabeth Ravanne