**Cour de Cassation
Chambre sociale
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Audience publique du 1er Juillet 1997
Cassation partielle
N° de pourvoi : 94-41.856
Président : M A
Demandeur : M. Aa Ab
Défendeur : société Parfums Christian Dior, société anonyme
**REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M Aa Ab, demeurant …, … … …
…, … …, en cassation d'un arrêt rendu le 22 février 1994 par la
cour d'appel de Paris (21e chambre, section C), au profit de la société
Parfums Christian Dior, société anonyme, dont le siège est 30, avenue Hoche,
75008 Paris, défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 20 mai 1997, où étaient présents : M
A, président, M Desjardins, conseiller rapporteur, MM Ferrieu,
Monboisse, Mme Ac, MM Ad, Finance, Texier, Lanquetin, conseillers, M
Ae, Af Ag, Trassoudaine-Verger, MM Ah de la Tour, Soury,
conseillers référendaires, M Chauvy, avocat général, Mme Molle-de Hédouville,
greffier de chambre ;
Sur le rapport de M Desjardins, conseiller, les observations de la SCP
Gatineau, avocat de M Ab, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin,
avocat de la société Parfums Christian Dior, les conclusions de M Chauvy,
avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M Ab a été engagé par la société
Parfums Christian Dior à compter du 15 mai 1969 et promu "directeur régional
Asie Pacifique" le 21 octobre 1976; qu'il a été prévu par un avenant à son
contrat de travail du 8 janvier 1986 qu'il bénéficierait d'un intéressement
annuel personnalisé (bonus) déterminé en fonction de la progression des
résultats financiers de la société et du degré de réalisation de ses
performances individuelles; que, le 29 avril 1991, la société lui a retiré,
pour la confier à un autre salarié, la responsabilité des relations avec sa
filiale japonaise; qu'ayant protesté contre cette mesure, il a été licencié
par une lettre du 19 juin 1991; qu'il a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le second moyen :
Attendu que M Ab fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande en
paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif, alors, selon le moyen,
d'une part, que le licenciement pour faute du salarié obéit aux règles du
droit disciplinaire; qu'en l'espèce, la modification substantielle du contrat
(retrait d'une partie des responsabilités) étant motivée par la faute du
salarié (envoi d'une lettre critique de M Ab au directeur de la filiale
japonaise), le licenciement consécutif au refus du salarié d'accepter une
telle modification était de nature disciplinaire ;
qu'ainsi les juges du fond étaient tenus de rechercher si la prétendue faute
commise par M Ab après 22 ans d'une carrière irréprochable au sein de la
société Parfums Christian Dior était d'une gravité suffisante pour entraîner
une telle sanction; qu'en s'abstenant de rechercher si le licenciement
prononcé n'était pas disproportionné eu égard à la faute reprochée, l'arrêt
n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L 122-14-3 du
Code du travail; alors, d'autre part, qu'en l'absence de motif d'ordre
disciplinaire, il incombait à l'employeur d'établir la nécessité pour
l'entreprise d'opérer la réorganisation dont le refus par M Ab a été à
l'origine de son licenciement; qu'en s'abstenant de toute considération propre
à justifier sur ce terrain le réaménagement opéré des fonctions de M Ab,
l'arrêt a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 122-14-3
du Code du travail; et alors, de plus, qu'en déboutant le salarié faute par
lui d'avoir établi que la société aurait pris à son égard une mesure
arbitraire ou qu'elle aurait outrepassé son pouvoir de direction, l'arrêt a
fait peser sur M Ab la charge de la preuve de l'illégitimité de la rupture
et a violé, ce faisant, l'article L 122-14-3 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que M Ab avait été rétrogradé
pour avoir, en dépit de l'opposition de la hiérarchie, adressé au directeur de
la filiale de la société au Japon une lettre dans des termes incompatibles
avec la politique commerciale de la société et de nature à compromettre les
intérêts de cette dernière; qu'elle a pu décider que ce fait constituait une
faute et qu'elle a estimé que celle-ci justifiait la sanction prise; que, dès
lors, le licenciement était la conséquence du refus du salarié de se soumettre
à la sanction prise contre lui; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1134 du Code civil et l'article L 140-1 du Code du travail ;
Attendu que, pour débouter M Ab de sa demande en paiement d'une somme à
titre de bonus pour l'année 1990, l'arrêt énonce que la gratification
litigieuse, versée sans constance propre à la rendre obligatoire et de
surcroît subordonnée à des éléments non déterminés à l'avance avec certitude,
ne saurait s'analyser en un complément de salaire mais, bien au contraire, en
une libéralité ne constituant pas un avantage obligatoire et que sa
suppression ne pouvait être assimilée à une sanction prohibée ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que
le "bonus" dont le salarié réclamait le paiement, institué par voie d'avenant,
était de nature contractuelle et qu'il présentait donc un caractère
obligatoire, peu important, dès lors, de savoir si son versement était ou non
constant, la cour d'appel, à laquelle il appartenait de déterminer les
conditions de son attribution si celles-ci n'étaient pas définies avec une
précision suffisante par la convention des parties, a violé les textes
susvisés ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième
branches du premier moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement dans ses dispositions relatives à la demande
en paiement d'un "bonus", l'arrêt rendu le 22 février 1994, entre les parties,
par la cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et
les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être
fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Laisse à chaque partie la charge respective de ses dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la
société Parfums Christian Dior ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le
présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de
l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par
le président en son audience publique du premier juillet mil neuf cent quatre-
vingt-dix-sept.