Jurisprudence : CEDH, 22-04-1997, Req. 75/1995/581/667, X, Y et Z c. Royaume-Uni

CEDH, 22-04-1997, Req. 75/1995/581/667, X, Y et Z c. Royaume-Uni

A8296AW8

Référence

CEDH, 22-04-1997, Req. 75/1995/581/667, X, Y et Z c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065223-cedh-22041997-req-751995581667-x-y-et-z-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

22 avril 1997

Requête n°75/1995/581/667

X, Y et Z c. Royaume-Uni



En l'affaire X, Y et Z c. Royaume-Uni (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 51 de son règlement A (2), en une grande chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président, R. Bernhardt, Thór Vilhjálmsson, F. Matscher, L.-E. Pettiti, C. Russo, A. Spielmann, J. De Meyer, N. Valticos, I. Foighel,
Sir John Freeland,
MM. A.B. Baka, M.A. Lopes Rocha, J. Makarczyk, D. Gotchev, K. Jungwiert, P. Kuris, U. Lohmus, E. Levits, J. Casadevall,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 octobre 1996 et 20 mars 1997,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 75/1995/581/667. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCEDURE

1.
L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 13 septembre 1995, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve une requête (n° 21830/93) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont trois ressortissants de cet Etat, M. X, Mme Y et Mlle Z, avaient saisi la Commission le 6 mai 1993 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) de la Convention ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir s'il y a eu violation des articles 8 et 14 de la Convention (art. 8, art. 14).

2.
En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, les requérants ont manifesté le désir de participer à l'instance et désigné leur conseil (article 30).

3.
La chambre à constituer comprenait de plein droit Sir John Freeland, juge élu de nationalité britannique (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 29 septembre 1995, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, S.K. Martens, F. Bigi, A.B. Baka, M.A. Lopes Rocha, J. Makarczyk et U. Lohmus, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43). Par la suite, MM. R. Macdonald et N. Valticos, juges suppléants, ont remplacé M. Bigi, décédé, et M. Martens, démissionnaire (article 22 par. 1 du règlement A).

4.
En sa qualité de président (article 21 par. 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement britannique ("le Gouvernement"), l'avocat des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 2 mai 1996 et celui des requérants le 3 mai 1996.

5.
Le 21 mai 1996, le président a autorisé Rights International, organisation non gouvernementale de défense des droits de l'homme ayant son siège à New York, à soumettre des observations écrites (article 37 par. 2 du règlement A). Celles-ci sont parvenues au greffe le 30 juin 1996.

6.
Ainsi qu'en avait décidé le président de la chambre, les débats se sont déroulés en public le 27 août 1996, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

Mme S. Dickson, ministère des Affaires étrangères
et du Commonwealth,

agent, MM. D. Pannick QC,
R. Singh,

conseils, Mme H. Jenn, ministère de la Santé, M. W. Jenkins, bureau du recensement et des
études démographiques,

conseillers;

- pour la Commission

M. J. Mucha,

délégué;

- pour les requérants

MM. M. Penrose,

solicitor,
N. Blake,

conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Mucha, Blake et Pannick, ainsi qu'en leurs réponses à des questions posées par plusieurs juges.

7.
A la suite des délibérations du 2 septembre 1996, la chambre a décidé de se dessaisir au profit d'une grande chambre (article 51 par. 1 du règlement A).

8.
La grande chambre à constituer comprenait de plein droit M. Ryssdal, président de la Cour, M. Bernhardt, vice-président, et tous les autres membres et juges suppléants (MM. A. Spielmann et L.-E. Pettiti) de la chambre dessaisie (article 51 par. 2 a) et b) du règlement A). Le 2 septembre 1996, le président a tiré au sort le nom des neuf juges supplémentaires, à savoir MM. F. Matscher, B. Walsh, C. Russo, J. De Meyer, I. Foighel, D. Gotchev, K. Jungwiert, P. Kuris et J. Casadevall, en présence du greffier.

9.
M. Walsh, empêché, a été ensuite remplacé par M. E. Levits.

10.
Après avoir consulté l'agent du Gouvernement, les représentants des requérants et le délégué de la Commission, la grande chambre a décidé le 25 octobre 1996 qu'il n'était pas nécessaire de tenir une nouvelle audience à la suite du dessaisissement de la chambre (article 38 combiné avec l'article 51 par. 6 du règlement A).

11.
Ultérieurement, M. Macdonald fut également empêché.

EN FAIT

I.
Les circonstances de l'espèce

12.
Les requérants sont des citoyens britanniques habitant Manchester, en Angleterre.

Né en 1955, le premier requérant, "X", est maître assistant à l'université. X est un transsexuel converti du sexe féminin au sexe masculin et sera désigné dans le présent arrêt par des pronoms personnels du genre masculin.

Il forme depuis 1979 une union stable avec la deuxième requérante, "Y", femme née en 1959. La troisième requérante, "Z", est née en 1992 de la deuxième requérante après une insémination artificielle avec donneur ("IAD"). Y a depuis donné le jour à un autre enfant par la même méthode.

13.
A sa naissance, le corps de X présentait les attributs du sexe féminin. A partir de l'âge de quatre ans, cependant, X souffrit de dysphorie sexuelle et se sentit attiré vers les modes de comportement masculins. Cet écartèlement provoqua chez lui des tendances suicidaires à l'adolescence.

En 1975, il commença à suivre un traitement hormonal et à vivre et travailler comme un homme. Il se mit en ménage avec Y en 1979 et subit ensuite au cours de la même année une intervention chirurgicale de conversion sexuelle, y ayant été autorisé à l'issue d'un suivi et de tests psychologiques.

14.
En 1990, par l'intermédiaire de leur médecin généraliste, X et Y firent une demande d'IAD. Ils eurent en janvier 1991 un entretien avec un spécialiste en vue de bénéficier d'un traitement; leur demande, accompagnée de deux recommandations et d'une lettre de leur généraliste, fut transmise au comité d'éthique d'un hôpital, qui la rejeta.

15.
Ils firent appel, invoquant notamment une étude portant sur trente-sept enfants élevés par des transsexuels ou homosexuels (leurs parents ou non) qui ne faisait pas apparaître d'orientation sexuelle anormale ou d'autre conséquence néfaste chez ces enfants (R. Green, Sexual identity of 37 children raised by homosexual or transsexual parents - L'identité sexuelle de 37 enfants élevés par des parents homosexuels ou transsexuels, American Journal of Psychiatry, 1978, vol. 135, pp. 692-697).

En novembre 1991, le comité d'éthique de l'hôpital accepta de pratiquer le traitement sollicité par les requérants. Il demanda à X de reconnaître la paternité de l'enfant à naître au sens de la loi de 1990 sur la fécondité et l'embryologie humaines (paragraphe 21 ci-dessous).

16.
Le 30 janvier 1992, Y fut fécondée artificiellement avec le sperme d'un donneur anonyme, en présence de X. Z naquit le 13 octobre 1992.

17.
En février 1992, X avait demandé au Conservateur en chef des actes de l'état civil (paragraphe 22 ci-dessous) s'il y avait quelque objection à ce qu'il fût enregistré comme le père de l'enfant de Y. Dans une lettre du 4 juin 1992 adressée au député de la circonscription dont relève X, le ministre de la Santé répondit qu'après avoir recueilli des avis juridiques, le Conservateur en chef estimait que seul un individu biologiquement de sexe masculin pouvait être enregistré comme père. Il faisait observer que l'enfant pouvait légalement porter le nom de X et que, sous réserve du respect des conditions prévues, X aurait droit à un abattement fiscal supplémentaire s'il était en mesure de prouver que l'enfant était à sa charge.

18.
A la naissance de Z néanmoins, X et Y tentèrent de se faire enregistrer comme les père et mère de l'enfant. On n'autorisa pas X à figurer au registre de l'état civil comme le père de l'enfant et cette rubrique fut laissée en blanc. Z fut inscrite dans le registre sous le patronyme de X (paragraphe 24 ci-dessous).

19.
Le contrat de travail de X expira en novembre 1995 et il postula à une trentaine d'emplois. La seule réponse positive qu'il reçut émanait d'une université du Botswana. Le contrat prévoyait le logement et l'enseignement gratuit pour les personnes à charge. X déclina cependant cette offre d'emploi lorsqu'un fonctionnaire du Botswana l'informa que seuls les conjoints et les enfants avec lesquels il existait des liens de sang ou d'adoption étaient considérés comme "personnes à charge". Il trouva par la suite un emploi à Manchester, qu'il occupe toujours.

II.
Le droit et la pratique internes pertinents

A. Définition du sexe en droit interne

20.
Le droit anglais définit le sexe en s'appuyant sur des critères biologiques constatés à la naissance et ne reconnaît pas les conversions sexuelles résultant d'une intervention chirurgicale (Corbett v. Corbett, Probate Reports 1971, p. 83, et R. v. Tan, Queen's Bench Reports (Court of Appeal) 1983, p. 1053).

En vertu de ce principe, un transsexuel femme-homme ne peut ni épouser une femme ni être considéré comme le père d'un enfant.

B. Enfants conçus par insémination artificielle

21.
La loi de 1990 sur la fécondité et l'embryologie humaines (Human Fertility and Embryology Act 1990 - "la loi de 1990") dispose notamment que, lorsqu'une femme non mariée donne naissance à un enfant conçu par IAD, en plein accord avec son partenaire masculin, c'est ce dernier, et non le donneur de sperme, qui sera considéré comme le père de l'enfant au regard de la loi (article 28 par. 3).

C. Enregistrement des naissances

22.
L'article 1 par. 1 de la loi de 1953 sur l'enregistrement des naissances et des décès (Births and Deaths Registration Act 1953 - "la loi de 1953") oblige à consigner au registre de l'état civil certaines données précises au sujet de tout enfant né en Angleterre et au Pays de Galles, dont le nom des parents. Le Conservateur en chef assume la responsabilité générale du système.

23.
Si le père de l'enfant (ou l'individu considéré comme son père au regard de la loi - paragraphe 21 ci-dessus) n'est pas marié à la mère, son nom ne figurera pas automatiquement dans le registre à la rubrique "père". Il y sera malgré tout inscrit si la mère et lui en font conjointement la demande (article 10 de la loi de 1953, telle qu'amendée par la loi de 1987 portant réforme du droit de la famille - Family Law Reform Act 1987).

24.
Un acte de naissance (birth certificate) consiste soit en une copie authentifiée de l'inscription contenue dans le registre, soit en un extrait de celui-ci. Dans la seconde hypothèse on parle d'"acte de naissance abrégé"; il revêt la forme et donne les renseignements - nom et prénom, sexe, date et lieu de naissance de l'intéressé - que définissent les règlements d'application de la loi de 1953. Le droit anglais autorise les parents à choisir librement les nom et prénoms de leur enfant, lequel peut en changer quand et comme il le souhaite.

D. Autorité parentale

25.
L'autorité parentale à l'égard d'un enfant est automatiquement dévolue à la mère et, lorsqu'elle est mariée, à son mari. Elle peut aussi être conférée à d'autres personnes (paragraphes 26-27 ci-dessous).

L'autorité parentale se définit comme l'ensemble des droits et des devoirs qui appartiennent aux père et mère en vertu de la loi, relativement à la personne de leurs enfants et aux biens de ceux-ci (article 3 de la loi de 1989 sur les enfants - Children Act 1989 - "la loi de 1989").

A elle seule, l'autorité parentale ne suffit pas à conférer à l'enfant un quelconque droit sur les biens de la personne qui l'exerce, comme le droit d'hériter de cette personne si celle-ci décède intestat ou à en recevoir des aliments. De même, elle n'habilite pas l'enfant à se voir transmettre, par l'intermédiaire de cette personne, des baux locatifs en vertu de certaines dispositions réglementaires, ou à bénéficier de mesures en matière de nationalité ou d'immigration ou de droits découlant de la qualité de ladite personne de ressortissante d'un Etat membre de l'Union européenne.

26.
Le père d'un enfant, non marié avec la mère à l'époque de la naissance, peut solliciter d'un tribunal une ordonnance lui conférant l'autorité parentale ou peut l'obtenir par voie d'accord avec la mère, rédigé dans les termes requis (article 4 de la loi de 1989).

27.
L'autorité parentale ne peut être exercée par aucune autre personne, sauf celles au bénéfice desquelles a été émise une "ordonnance de garde" de l'enfant.

Une ordonnance de garde définit les dispositions à prendre quant à la personne avec laquelle l'enfant doit résider (article 8 de la loi de 1989). Chacun peut solliciter une telle ordonnance (les personnes n'appartenant pas à certaines catégories bien définies doivent malgré tout s'adresser auparavant au tribunal pour obtenir l'autorisation de déposer une demande).

Lorsqu'un tribunal rend une ordonnance de garde en faveur d'une personne qui n'est ni le parent de l'enfant ni son tuteur, l'intéressée se trouve automatiquement investie de l'autorité parentale à l'égard de l'enfant tant que l'ordonnance reste en vigueur (article 12 par. 2 de la loi de 1989).

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