Jurisprudence : CEDH, 14-11-2000, Req. 31819/96, Annoni di Gussola et autres c. France

CEDH, 14-11-2000, Req. 31819/96, Annoni di Gussola et autres c. France

A8255AWN

Référence

CEDH, 14-11-2000, Req. 31819/96, Annoni di Gussola et autres c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065182-cedh-14112000-req-3181996-annoni-di-gussola-et-autres-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

14 novembre 2000

Requête n°31819/96

Annoni di Gussola et autres c. France



TROISIÈME SECTION

AFFAIRES

ANNONI DI GUSSOLA

ET AUTRES c. FRANCE

(Requêtes nos 31819/96 et 33293/96)

ARRÊT

STRASBOURG

14 novembre 2000

DÉFINITIF

14/02/2001


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d'arrêts et de décisions de la Cour.

En l'affaire Annoni di Gussola et autres c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. W. Fuhrmann, président,

J.-P. Costa,

P. Kûris,

Mme F. Tulkens,

M. K. Jungwiert,

Sir Nicolas Bratza,

Mme H.S. Greve, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 février et 17 octobre 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

9. A l'origine de l'affaire se trouvent deux requêtes (nos 31819/96 et 33293/96) dirigées contre la France et dont trois ressortissants de cet Etat, Guido Annoni di Gussola, Valérie Desbordes et Stéphane Omer (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») les 4 juin et 26 septembre 1996 respectivement en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

10. Les requérants sont représentés par Me J.-A. Blanc, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

11. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignaient d'être privés d'accès à la Cour de cassation pour obtenir un contrôle en droit de la décision de la cour d'appel qui les condamnaient, dans la mesure où le premier président de la haute juridiction, faisant application de l'article 1009-1 du nouveau code de procédure civile, avait retiré du rôle l'instance ouverte sur leur déclaration de pourvoi et ce, nonobstant leur situation financière.

12. Le 14 janvier 1998, la Commission (deuxième chambre) a décidé de porter les requêtes à la connaissance du Gouvernement, en l'invitant à présenter par écrit des observations sur leur recevabilité et leur bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 20 mars 1998. M. Annoni di Gussola y a répondu le 4 décembre 1998 ; Valérie Desbordes et Stéphane Omer y ont répondu le 7 mai 1998.

13. Les requêtes ont été transmises à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11). Elles ont été attribuées à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).

14. Le 6 janvier 2000, la chambre a déclaré les requêtes recevables.

15. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 29 février 2000 (article 59 § 2 du règlement).

Ont comparu :

pour le Gouvernement

Mme Dubrocard, Sous-directrice des droits de l'homme

à la direction des affaires juridiques

du ministère des Affaires étrangères agent,

M. G. Bitti, membre du Bureau des Droits de l'Homme,

service des Affaires européennes et

internationales, ministère de la Justice, conseil.

pour les requérants

Me J.-A. Blanc, avocat au Conseil d'Etat

et à la Cour de cassation, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations Me Blanc et Mme Dubrocard.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Le cas de M. Annoni di Gussola

16. Le 15 octobre 1990, la banque Diffusion Industrielle Nouvelle (DIN) accorda un prêt à la consommation, pour l'achat d'un véhicule automobile, pour un montant de 172 000 FRF au taux de 14,5 %. Ce prêt était remboursable en 57 mensualités de 4 419,44 FRF (soit un total de 251 908,08 FRF).

17. En mars 1991, la banque notifia au requérant son intention de procéder à la saisie du véhicule car celui-ci n'avait pas réglé les échéances des mois de janvier et février 1991. Le requérant régularisa alors les incidents de paiement.

18. De juillet 1991 à octobre 1991, le requérant cessa de payer les échéances en raison de malfaçons ayant affecté le véhicule acquis.

19. En novembre 1991, le requérant effectua un versement.

20. Le 14 décembre 1991, la banque DIN résilia le contrat et fit procéder à la vente du véhicule pour un prix de 74 243,56 FRF. Elle poursuivit le requérant pour le paiement du solde de sa créance.

21. Par ordonnance du 24 avril 1992, le président du tribunal d'instance de Nantua enjoignit au requérant de payer la somme de 98 032 FRF. Le requérant forma opposition à cette injonction en contestant le montant de la somme réclamée et la mise à prix du véhicule.

22. Par jugement du 24 juin 1993, le tribunal d'instance de Nantua condamna le requérant à payer une somme de 95 156,26 FRF avec intérêts au taux contractuel de 14,5 % ainsi qu'une somme de 3 000 FRF. Le requérant interjeta appel de ce jugement en dénonçant la faute de la banque quant à la vente du véhicule à un prix dérisoire et demanda sa condamnation à lui payer des dommages et intérêts compensant le montant de sa dette. Il sollicita à titre subsidiaire un délai de deux ans pour apurer sa dette.

23. Le requérant, qui travaillait en qualité de consultant en Suisse, fut licencié en 1994. A partir du 1er janvier 1995, le requérant perçut au titre du revenu minimum d'insertion (RMI) une somme mensuelle de 3 569 FRF.

24. Par arrêt du 31 mai 1995, la cour d'appel de Lyon réformant partiellement le jugement, condamna le requérant à payer à la banque la somme de 90 371,26 FRF, avec intérêts au taux conventionnel depuis le 19 février 1992, ainsi que 3 000 FRF au titre d'indemnité légale. La Cour d'appel considéra que le requérant n'avait prouvé aucune faute de la banque de nature à lui mériter une condamnation à des dommages et intérêts.

25. Le requérant forma un pourvoi en cassation le 18 septembre 1995. Il déposa un mémoire ampliatif en trois branches le 18 janvier 1996. Le requérant invoqua notamment l'attitude fautive de la société DIN qui, alors même qu'il avait acquitté en novembre 1991 une somme de 10 000 FRF et s'était engagé à payer le solde du prêt avant la fin de l'année, avait fait saisir le véhicule acquis grâce au prêt et l'avait fait vendre à un prix dérisoire. Le requérant demandait en conséquence à la Cour de cassation de constater le défaut de base légale de la décision de la cour d'appel, celle-ci n'ayant pas motivé le moyen tiré de la responsabilité de l'organisme financier dans l'aggravation de sa situation et ce, dans la mesure où la vente de la voiture à sa valeur réelle aurait largement permis de couvrir le solde de l'emprunt.

26. Le 16 février 1996, le requérant n'ayant pas exécuté l'arrêt de la cour d'appel, la banque DIN déposa une requête en radiation du rôle sur le fondement de l'article 1009-1 du nouveau code de procédure civile.

27. Le requérant déposa un premier mémoire exposant qu'il était dans l'impossibilité de payer, même partiellement, la somme réclamée, étant chômeur, et ne percevant, depuis le 1er janvier 1995, qu'une somme de 3 569 FRF au titre du revenu minimum d'insertion (RMI), avec au surplus deux ans d'arriérés de loyers. Le requérant déposa un second mémoire informant le magistrat qu'il avait demandé à être admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle le 14 mars 1996.

28. Par ordonnance du 16 avril 1996, après audience du 27 février 1996, le délégué du premier président de la Cour de cassation ordonna le retrait du rôle de l'affaire dans les termes suivants :

« (...) Attendu que la mesure de “retrait du rôle” , prescrite par ce texte [article 1009-1] à l'encontre du débiteur condamné qui se pourvoit en cassation, ne constitue ni la sanction d'un défaut de diligences, ni celle d'une irrecevabilité quelconque ;

Qu'elle est la mesure d'administration et de régulation destinée à rappeler le caractère extraordinaire du recours en cassation et à faire assurer au bénéficiaire d'une décision de justice exécutoire la pleine effectivité des prérogatives qui lui ont été reconnues par les juges du fond, le tout conformément aux règles fondamentales de l'organisation judiciaire.

Attendu que cette mesure, simplement provisoire dans ses effets et conservatoire de tous droits, voies et moyens, peut être sollicitée dès que la déclaration de pourvoi, saisissant la Cour de cassation, a été déposée au greffe de la juridiction et sans avoir à attendre l'expiration des délais de production des mémoires en demande ou en défense.

Attendu qu'en l'espèce, Guido Annoni di Gussola ne justifie d'aucunes diligences propres à faire conclure à sa volonté de déférer à la décision des juges du fond et n'invoque aucune situation de fait personnelle propre à faire craindre ou présumer des conséquences manifestement excessives en cas d'exécution ;

Qu'en cet état, il y a lieu de retirer, du rôle de la Cour, le pourvoi (...). »

29. La somme due par le requérant s'élevait alors, compte tenu des intérêts contractuels, à plus de 150 000 FRF.

30. Le 15 mars 1998, le requérant et sa famille furent expulsés de leur logement pour défaut de paiement du loyer depuis deux ans.

31. Depuis le 1er avril 1998, le requérant perçoit une pension de retraite de 2 480,65 FRF par mois.

32. Par ordonnance du 25 novembre 1998, le magistrat délégué par le premier président de la Cour de cassation constata la péremption de l'instance, aucun acte n'étant intervenu pour interrompre le délai de péremption dans la période des deux ans depuis le retrait du pourvoi.



B. Le cas des époux Desbordes-Omer

33. Suivant offre préalable acceptée le 13 octobre 1990, la société de crédit SOVAC accorda à la requérante une ouverture de crédit d'un montant de 85 000 FRF, au taux de 20,90 %, qui servit à l'acquisition d'un véhicule automobile. Le requérant, son mari, se porta caution.

34. Les dix-neuf premières mensualités furent payées, pour un total de 45 760,36 FRF. Les requérants ne purent régler les mensualités suivantes suite à la perte d'emploi du requérant.

35. La société SOVAC saisit le véhicule, fit procéder à sa vente forcée et en obtint un prix de 41 658, 43 FRF. Invoquant la déchéance du terme du contrat, elle assigna les requérants aux fins de paiement immédiat de la somme de 38 669,97 FRF, montant du capital restant dû, avec intérêts au taux contractuel de 20,90 % depuis le 1er novembre 1992.

36. Par jugement du 16 avril 1993, le tribunal d'instance d'Abbeville débouta la société SOVAC de sa demande. Le tribunal estima que le découvert autorisé de 85 000 FRF ayant été utilisé en une seule opération, l'opération devait s'analyser non pas en une ouverture de crédit utilisable par fractions mais en un prêt classique. Or dans ce type de prêt, le tribunal rappela que le coût total ventilé du crédit devait être mentionné conformément à l'article 5 de la loi du 10 janvier 1978 relative à l'information et à la protection des consommateurs dans le domaine des opérations de crédit. Le tribunal constata l'absence d'indication du coût total du crédit dans le contrat et conclut à la non conformité de l'offre de prêt, sanctionnée en vertu de l'article 23 de la précitée, par la déchéance du droit aux intérêts de la société SOVAC. Cette dernière interjeta appel.

37. Par arrêt du 11 octobre 1994, la cour d'appel d'Amiens infirma le jugement en considérant que la société SOVAC avait à juste titre fait remarquer que la mention exigée en vertu de l'article 5 de la loi du 10 janvier 1978 précitée était trop rigide, s'agissant d'une offre à taux d'intérêt variable, et que si le même taux avait été appliqué c'était en raison du versement intégral de la somme empruntée, et non par fraction, comme les requérants avaient la possibilité de le demander. La cour d'appel condamna les requérants à payer la somme réclamée et, en outre, les intérêts furent capitalisés à compter du 20 septembre 1993.

38. Les requérants demandèrent à être admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle en vue d'un pourvoi en cassation le 17 janvier 1995. Le bureau d'aide juridictionnelle fit droit à leur demande par décision en date du 15 juin 1995 au motif que leurs ressources étaient insuffisantes (montant des ressources retenues - 862 francs).

39. Les requérants se pourvurent dès lors en cassation le 14 août 1995 par le ministère de l'avocat commis, ce dernier déposant un mémoire ampliatif le 11 janvier 1996. Ils firent valoir la méconnaissance, par la société de crédit, des dispositions législatives relatives à la protection des consommateurs et invoquèrent à l'appui de leur moyen la jurisprudence de la chambre civile de la Cour de cassation censurant des décisions octroyant au prêteur des intérêts, alors que l'omission dans le contrat souscrit du taux effectif global de l'intérêt, ou du coût total ventilé du crédit, est établi.

40. Le 27 mars 1996, la société SOVAC demanda au premier président de la Cour de cassation le retrait du rôle de l'affaire sur le fondement de l'article 1009-1 du nouveau code de procédure civile.

41. Par mémoire du 14 mai 1996, les requérants s'opposèrent à cette requête en faisant état de leur situation financière, attestée par l'obtention de l'aide juridictionnelle en 1995.

42. Par ordonnance du 21 mai 1996, le délégué du premier président de la Cour de cassation estima notamment que les requérants ne justifiaient « d'aucunes diligences propres à faire conclure à leur volonté de déférer à la décision des juges du fond et (n'établissaient) aucune situation de fait personnelle propre à faire craindre ou présumer des conséquences manifestement excessives, en cas d'exécution ». Le délégué du premier président de la Cour de cassation ordonna le retrait du rôle de l'affaire.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

43. Nouveau code de procédure civile

L'article 386 est ainsi libellé :

« L'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ».

L'article 1009-1 du nouveau code de procédure civile, dans sa rédaction initiale issue du décret n° 89-511 du 20 juillet 1989 disposait que :

« Hors les matières où le pourvoi empêche l'exécution de la décision attaquée, le premier président peut, à la demande du défendeur, et après avoir recueilli l'avis du procureur général et des parties, décider le retrait du rôle d'une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi, à moins qu'il ne lui apparaisse que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives.

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