Cour européenne des droits de l'homme24 août 1998
Requête n°94/1997/878/1090
Couez c. France
AFFAIRE COUEZ c. FRANCE
CASE OF COUEZ v. FRANCE
(94/1997/878/1090)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
24 août 1998
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La Haye/'s-Gravenhage)
SOMMAIRE
Arrêt rendu par une chambre
France durée de procédures engagées par un fonctionnaire de police en vue de l'annulation du refus de l'administration d'imputer ses arrêts de travail à un accident de service et de sa mise en disponibilité sans traitement
I. Article 6 § 1 de la convention
A. Applicabilité
Les contestations concernant le recrutement, la carrière et la cessation d'activité des fonctionnaires sortent, en règle générale, du champ d'application de l'article 6 § 1.
Issue des contestations soulevées par le requérant devant avoir une incidence déterminante sur ses droits patrimoniaux : annulation par le tribunal administratif du refus de l'administration d'imputer les arrêts de travail à un accident de service aurait entraîné l'application au requérant du statut des fonctionnaires blessés en service commandé et aurait aussi évité sa mise en disponibilité d'office sans traitement différend ne mettant pas en cause les prérogatives de l'administration.
Prétentions du requérant revêtant un caractère civil.
Conclusion : applicabilité (sept voix contre deux).
B. Observation
Première procédure, relative au refus de l'administration d'imputer les arrêts de travail à un accident de service :
Point de départ : saisine du tribunal administratif d'Amiens.
Terme : jugement.
Résultat : quatre ans, cinq mois et huit jours.
Seconde procédure, relative à la mise en disponibilité d'office sans traitement :
Point de départ : saisine du tribunal administratif d'Amiens.
Terme : encore pendante devant la cour administrative d'appel de Nancy.
Période d'inactivité imputable aux autorités judiciaires dans le cadre de la première procédure dépassement du délai raisonnable.
Conclusion : violation (sept voix contre deux).
II. Article 50 de la convention
Préjudice matériel : absence de lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice subi par le requérant.
Préjudice moral : octroi d'une somme en équité.
Conclusion : Etat défendeur tenu de verser au requérant une certaine somme pour dommage moral (unanimité).
RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
26.11.1992, Francesco Lombardo c. Italie ; 24.8.1993, Massa c. Italie ; 15.11.1996, Ceteroni c. Italie ; 17.3.1997, Neigel c. France ; 2.9.1997, De Santa c. Italie ; 2.9.1997, Lapalorcia c. Italie ; 2.9.1997, Abenavoli c. Italie ; 2.9.1997, Nicodemo c. Italie ; 19.2.1998, Higgins et autres c. France ; 19.2.1998, Huber c. France
En l'affaire Couez c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A, en une chambre composée des juges dont le nom suit :
MM. F. Gölcüklü, président,
L.-E. Pettiti,
A. Spielmann,
N. Valticos,
R. Pekkanen,
J. Makarczyk,
K. Jungwiert,
E. Levits,
V. Butkevych,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 avril et 29 juillet 1998,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCéDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement français (« le Gouvernement ») le 19 septembre 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 24271/94) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Guy Couez, avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 8 juillet 1993 en vertu de l'article 25.
La requête du Gouvernement renvoie à l'article 48 de la Convention. Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a sollicité l'autorisation de présenter lui-même sa cause. Le président de la chambre n'y a pas consenti et a invité l'intéressé à nommer pour le représenter un conseil habilité à exercer dans l'un quelconque des Etats contractants et résidant sur le territoire de l'un d'eux (article 30 § 1). Le requérant n'ayant pas désigné de représentant dans le délai que le président lui avait imparti à cette fin, la Cour a supposé qu'il ne souhaitait pas participer à l'instance.
3. Le 25 septembre 1997, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a estimé qu'il y avait lieu de confier à une chambre unique, en vertu de l'article 21 § 7 du règlement A et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'examen de la présente cause et de l'affaire Benkessiouer c. France. La chambre à constituer de la sorte comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le même jour, en présence du greffier, le président de la Cour a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. F. Gölcüklü, F. Matscher, A. Spielmann, N. Valticos, R. Pekkanen, J. Makarczyk et V. Butkevych (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A). Par la suite, M. Gölcüklü a remplacé M. Bernhardt à la présidence de la chambre, M. E. Levits, suppléant, est devenu membre titulaire de celle-ci et M. K. Jungwiert, suppléant, a remplacé M. Matscher, empêché (articles 22 § 1 et 24 § 1 du règlement A).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt avait consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, M. Y. Charpentier, le requérant et le délégué de la Commission, M. J.-C. Soyer, au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les prétentions du requérant au titre de l'article 50 de la Convention le 17 mars 1998 et le mémoire du Gouvernement le 1er avril 1998. Le 20 avril 1998, le délégué de la Commission a déclaré ne pas souhaiter présenter des observations sur ces documents.
5. Le 24 février 1998, la chambre a renoncé à tenir audience, les conditions prévues pour une telle dérogation à la procédure habituelle étant remplies (articles 26 et 38 du règlement A).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPèCE
6. M. Couez est né en 1941 et réside à Saint-Quentin (Aisne).
Le 20 janvier 1989, au cours du cross annuel organisé par la compagnie de CRS (Compagnies républicaines de sécurité) à laquelle il appartenait, il fut victime d'un infarctus. Après des arrêts de travail du 20 au 23 janvier 1989 et du 25 janvier au 11 avril 1989, motivés par son état de santé, il réintégra son poste. Le 8 février 1991, il sollicita un congé de longue maladie et demanda que son infarctus ainsi que les arrêts de travail postérieurs fussent reconnus imputables au service, afin que lui fût appliqué le statut des fonctionnaires de police blessés en service commandé.
7. Le 3 mai 1991, le comité médical interdépartemental donna un avis défavorable à la demande de congé de longue maladie. Le 14 mai 1991, M. Couez fut notifié du refus de son administration de lui accorder un tel congé. Par une lettre du 27 décembre 1991, le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais informa le requérant de l'avis défavorable émis par la commission de réforme quant à l'imputabilité au service de l'arrêt de travail ainsi que de l'avis favorable à ce que soit constatée son inaptitude définitive aux fonctions de policier actif et à son reclassement dans le corps des personnels administratifs jusqu'à sa mise à la retraite à soixante ans ; il précisait qu'en cas de refus de reclassement, par M. Couez ou le ministère de l'Intérieur, la mise à la retraite de l'intéressé pour invalidité serait alors prononcée avec effet immédiat.
A. Le recours contre le refus de l'administration d'imputer les arrêts de travail à un accident de service
8. Le 20 janvier 1992, le requérant saisit le tribunal administratif d'Amiens d'un recours contre la décision du préfet, du 27 décembre 1991, l'informant que la commission de réforme avait refusé de considérer qu'un arrêt de travail du 8 avril 1990 était imputable à un accident de service. Le 5 février 1992, il sollicita également le sursis à exécution de cette décision.
Entre-temps, le 25 janvier 1992, M. Couez avait refusé son reclassement dans le corps des personnels administratifs et, le 3 février 1992, le ministre de l'Intérieur l'avait déclaré inapte aux fonctions de policier actif et l'avait placé à titre rétroactif en congé de maladie ordinaire à compter du 8 août 1990.
9. Par un jugement du 2 juillet 1992, le tribunal administratif d'Amiens rejeta la demande de sursis à exécution de la décision du 27 décembre 1991.
Le 10 juillet 1992, M. Couez fut placé en disponibilité d'office sans traitement à compter du 8 août 1991, date à laquelle il avait épuisé ses droits à congé de maladie ordinaire. Le 4 septembre 1992, il fut maintenu par une nouvelle décision dans la même situation.
10. Le 5 août 1992, le préfet informa le requérant que le docteur B. avait été désigné pour l'examiner aux fins de son admission à la retraite pour invalidité.
11. Le 24 mars 1993, le requérant présenta une requête auprès du tribunal administratif d'Amiens tendant à ce que son président statuât par voie de référé sur le recours introduit le 20 janvier 1992 (paragraphe 8 ci-dessus). Par une ordonnance du 25 mars 1993, le président du tribunal administratif rejeta la requête.
12. Le 24 janvier 1994, M. Couez fut mis à la retraite pour invalidité.
13. Le 31 mai 1995, le tribunal administratif, par un jugement avant dire droit, ordonna une expertise médicale du requérant.
Le 28 juin 1996, il annula les décisions des 10 juillet et 4 septembre 1992, en ce qu'elles maintenaient M. Couez en disponibilité d'office sans traitement à compter du 15 janvier 1992 ; il annula aussi la décision du 24 janvier 1994 plaçant celui-ci en retraite pour invalidité (paragraphe 12 ci-dessus) ; le tribunal jugea que c'était le 25 janvier 1992, date à laquelle il avait refusé la proposition de reclassement qui lui avait été faite (paragraphe 8 ci-dessus), que le requérant devait être admis à la retraite.
Le 25 juillet 1995, M. Couez avait formé un appel contre le jugement avant dire droit du 31 mai 1995, lequel était encore pendant devant la cour administrative d'appel de Nancy au jour du prononcé du présent arrêt.
14. Selon le Gouvernement, le requérant a déposé, entre le 20 janvier 1992 (date de la saisine du tribunal administratif d'Amiens) et le 28 juin 1996 (date à laquelle ce tribunal rendit son jugement), vingt-sept mémoires.
B. Le recours contre la mise en disponibilité sans traitement
15. Par ailleurs, le 18 mars 1992, M. Couez avait engagé devant le tribunal administratif d'Amiens un recours contre la décision du 10 juillet 1992 le plaçant en disponibilité d'office sans traitement (paragraphe 9 ci-dessus). Il s'en désista par la suite et, le 31 mai 1995, le tribunal administratif rendit un jugement donnant acte de ce désistement.
Contre ce jugement, le requérant interjeta, le 31 juillet 1995, un appel, lequel était encore pendant devant la cour administrative d'appel de Nancy, au jour du prononcé du présent arrêt.
16. Selon le Gouvernement, le requérant déposa sept mémoires devant le tribunal administratif d'Amiens (entre le 18 mars 1992 et le 31 mai 1995), et trois devant la cour administrative d'appel de Nancy (entre le 31 juillet 1995 et le 4 juin 1996).
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
17. Les articles pertinents de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat se lisent ainsi :
Article 34
« Le fonctionnaire en activité a droit :
(...)
2. A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...)
Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du Code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident.
3. A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. (...) »
Article 51
« La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration ou service d'origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l'avancement et à la retraite.