Jurisprudence : CEDH, 18-02-1999, Req. 26083/94, Waite et Kennedy c. Allemagne

CEDH, 18-02-1999, Req. 26083/94, Waite et Kennedy c. Allemagne

A7659AWL

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CEDH, 18-02-1999, Req. 26083/94, Waite et Kennedy c. Allemagne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064578-cedh-18021999-req-2608394-waite-et-kennedy-c-allemagne
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Cour européenne des droits de l'homme

18 février 1999

Requête n°26083/94

Waite et Kennedy c. Allemagne



AFFAIRE WAITE ET KENNEDY c. ALLEMAGNE

(Requête n° 26083/94)


ARRÊT

STRASBOURG

18 février 1999

En l'affaire Waite et Kennedy c. Allemagne,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu'amendée par le Protocole n° 11, et aux clauses pertinentes de son règlement, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

M. L. Wildhaber, président,

Mme E. Palm,

MM. L. Ferrari Bravo,

L. Caflisch,

J.-P. Costa,

W. Fuhrmann,

K. Jungwiert,

M. Fischbach,

B. Zupanèiè,

Mme N. Vajiæ,

M. J. Hedigan,

Mmes W. Thomassen,

M. Tsatsa-Nikolovska,

MM. T. Panþîru,

E. Levits,

K. Traja,

E. Klein, juge ad hoc,

ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 25 novembre 1998 et 3 février 1999,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, telle qu'établie en vertu de l'ancien article 19 de la Convention, par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 16 mars 1998, dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 26083/94) dirigée contre la République fédérale d'Allemagne et dont deux ressortissants britanniques, MM. Richard Waite et Terry Kennedy, avaient saisi la Commission le 24 novembre 1994 en vertu de l'ancien article 25.

La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration allemande reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.

2. Les requérants ont exprimé le désir de participer à l'instance et ont désigné leurs conseils (article 31 du règlement B).

Le gouvernement du Royaume-Uni, ayant été informé par le greffier de son droit d'intervenir (ancien article 48 b) de la Convention et article 35 § 3 b) du règlement B), a indiqué qu'il ne souhaitait pas le faire.

3. En sa qualité de président de la chambre initialement constituée (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement B) pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. Thór Vilhjálmsson a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement allemand (« le Gouvernement »), les conseils des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure écrite. Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires des requérants et du Gouvernement les 30 et 31 juillet 1998 respectivement.

4. Le 22 octobre 1998, le président de la chambre a autorisé les conseils des requérants à employer la langue allemande à l'audience devant la Cour (article 28 § 3 du règlement B). Il y a aussi autorisé l'agent du Gouvernement (article 28 § 2).

5. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 5 dudit Protocole, l'examen de l'affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. G. Ress, juge élu au titre de l'Allemagne (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. J.-P. Costa et M. M. Fischbach, vice-présidents de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : M. L. Ferrari Bravo, M. L. Caflisch, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert, M. B. Zupanèiè, Mme N. Vajiæ, M. J. Hedigan, Mme W. Thomassen, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. T. Panþîru, M. E. Levits et M. K. Traja (articles 24 § 3 et 100 § 4 du règlement).

Ultérieurement, M. Ress, qui avait participé à l'examen de l'affaire par la Commission, s'est déporté de la Grande Chambre (article 28 du règlement). En conséquence, le Gouvernement a désigné M. E. Klein pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

6. A l'invitation de la Cour (article 99 du règlement), la Commission a délégué l'un de ses membres, M. K. Herndl, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre. La Commission a en outre produit le dossier de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

7. Par télécopie du 19 novembre 1998, le Comité des représentants du personnel des organisations coordonnées a demandé l'autorisation de soumettre des observations écrites (articles 61 § 3 et 71 du règlement). Le 20 novembre 1998, le président y a consenti sous certaines conditions. Les observations ont été déposées au greffe le 23 novembre 1998.

8. Ainsi qu'en avait décidé le président, une audience en l'espèce et en l'affaire Beer et Regan c. Allemagne (requête n° 28934/95) s'est déroulée en public le 25 novembre 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

– pour le Gouvernement

Mme H. Voelskow-thies, Ministerialdirigentin,

ministère fédéral de la Justice, agent,

MM. K.-H. Oehler, Ministerialrat,

ministère fédéral de la Justice,

D. Marschall, Ministerialrat,

ministère fédéral du Travail,

W.M. Thiebaut,

responsable des questions juridiques générales,

département des affaires juridiques,

Agence spatiale européenne, Paris, conseillers ;

pour les requérants

MM. G. Laule, avocat au barreau de Francfort, conseil,

A. Meyer-Landrut, avocat au barreau de Francfort,

C. Just, avocat au barreau de Francfort, conseillers ;

– pour MM. Beer et Regan

MM. W.J. Habscheid, avocat au barreau de Kempten, conseil,

E. Habscheid, avocat au barreau de Dresde, conseiller ;

– pour la Commission

M. K. Herndl, délégué.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Herndl, M. Laule, M. W.J. Habscheid et Mme Voelskow-Thies.

9. Par la suite, les requérants et le Gouvernement ont produit divers documents, à la demande du président ou de leur propre chef.

EN FAIT

10. MM. Richard Waite et Terry Kennedy sont deux ressortissants britanniques nés respectivement en 1946 et 1950. Le premier réside à Griesheim, le second à Darmstadt.

I. LES CIRCONSTANCES de l'espèce

11. En 1977, les requérants, programmeurs-systèmes employés par la société britannique SPM, furent mis à la disposition de l'Agence spatiale européenne pour des prestations de services au Centre européen d'opérations spatiales à Darmstadt.

12. L'Agence spatiale européenne (« ASE »), dont le siège se trouve à Paris, créée à partir de l'Organisation européenne de recherches spatiales (« CERS ») et de l'Organisation européenne pour la mise au point et la construction de lanceurs d'engins spatiaux (« CECLES »), fut instituée par la Convention du 30 mai 1975 portant création d'une agence spatiale européenne (« Convention de l'ASE », Recueil des traités des Nations unies 1983, vol. 1297, I – n° 21524). Elle gère à Darmstadt le Centre européen d'opérations spatiales (« ESOC »), organisme au demeurant indépendant (Accord de 1967 relatif au Centre européen d'opérations spatiales – Journal officiel (Bundesgesetzblatt) II n° 3, 18.1.1969).

13. En 1979, les contrats des requérants avec SPM furent repris par CDP, une société à responsabilité limitée établie à Dublin. En 1982, les requérants fondèrent Storepace, une société à responsabilité limitée dont le siège social se trouvait à Manchester et qui conclut avec CDP un contrat portant sur les prestations de services que les intéressés devaient assurer pour l'ASE et sur les rémunérations y afférentes. A partir de 1984, l'ASE participa aux relations contractuelles décrites ci-dessus par l'intermédiaire de Science System, avec laquelle elle était liée. Par la suite, les requérants liquidèrent la société Storepace, qu'ils remplacèrent par Network Consultants, société ayant son siège sur l'île de Jersey. Ces changements dans les relations contractuelles n'eurent aucune répercussion sur les services que les requérants prêtaient à l'ESOC.

14. Par une lettre du 12 octobre 1990, la société CDP informa les requérants qu'elle cesserait de collaborer avec Network Consultants le 31 décembre 1990, à l'expiration de leurs contrats.

15. Les requérants engagèrent alors devant le tribunal du travail (Arbeitsgericht) de Darmstadt une procédure contre l'ASE, prétendant qu'en vertu de la loi allemande sur le prêt de main-d'œuvre (Arbeitnehmerüberlassungsgesetz), ils avaient acquis le statut d'agents de l'ASE. Selon eux, la résiliation de leurs contrats par la société CDP n'avait aucune incidence sur la relation de travail qu'ils avaient établie avec cette organisation.

16. Devant le tribunal du travail, l'ASE invoqua l'immunité de juridiction dont elle jouissait en vertu de l'article XV § 2 de la Convention de l'ASE et de son annexe I.

17. Le 10 avril 1991, à l'issue d'une audience, le tribunal déclara les demandes des requérants irrecevables, estimant que l'ASE avait valablement invoqué son immunité de juridiction.

Dans son raisonnement, il estima en particulier que l'ASE avait été instituée en 1975 comme une organisation internationale nouvelle et indépendante. Il rejeta donc l'argument des requérants selon lequel l'ASE était liée par l'article 6 § 2 de l'Accord relatif à l'ESOC, qui avait soumis le CERS à la juridiction allemande en ce qui concernait les litiges avec son personnel qui ne relèveraient pas de la compétence de sa Commission de recours.

18. Le 20 mai 1992, le tribunal régional du travail (Landesarbeitsgericht) de Francfort-sur-le-Main débouta les requérants et les autorisa à introduire un pourvoi (Revision) devant la Cour fédérale du travail (Bundesarbeitsgericht).

19. Renvoyant aux articles 18 à 20 de la loi sur l'organisation judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz), le tribunal régional du travail estima que l'immunité de juridiction signifiait que les Etats étrangers, les membres de missions diplomatiques, etc., étaient en général soustraits à la juridiction de l'Allemagne et qu'aucune action judiciaire ne pouvait être intentée contre eux. L'article 20 § 2 de ladite loi complétait les dispositions des articles 18 et 19 en énumérant trois autres sources de droit, notamment les accords internationaux, dont pouvait découler l'immunité, en particulier pour les organisations internationales. L'ASE jouissait en principe d'une telle immunité en vertu de l'article XV § 2 de la Convention de l'ASE et de son annexe I. Par ailleurs, même si le CERS avait dans le passé renoncé à son immunité pour les conflits du travail échappant à la compétence de sa Commission de recours, l'ASE n'était pas liée par cette renonciation. Renvoyant aux motifs de la décision rendue en première instance, le tribunal régional du travail précisa à cet égard que l'ASE avait été instituée en tant qu'organisation internationale nouvelle, et non comme une entité assurant simplement la succession juridique du CERS.

20. En 1992, les requérants demandèrent en vain au gouvernement fédéral allemand et aux autorités britanniques d'intervenir en leur faveur auprès du Conseil de l'ASE en vue d'obtenir la levée de l'immunité en application de l'article IV § 1 a) de l'annexe I. Les autorités britanniques ne répondirent pas ; le ministère fédéral des Affaires étrangères, quant à lui, renvoya les intéressés à la Commission de recours de l'ASE. En réponse à leur lettre, le président du Conseil de l'ASE informa les requérants, par un courrier du 16 décembre 1992, que le Conseil, à sa 105e réunion des 15 et 16 décembre 1992, avait décidé de ne pas lever l'immunité de juridiction en l'espèce. Cette décision fut confirmée dans des communications écrites ultérieures.

21. Le 10 novembre 1993, la Cour fédérale du travail rejeta le pourvoi des requérants (numéro de dossier 7 AZR 600/92).

22. La Cour estima que l'immunité de juridiction interdisait toute procédure judiciaire et qu'une action dirigée contre un défendeur qui jouissait d'une telle immunité et n'y avait pas renoncé était irrecevable. Conformément à l'article 20 § 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, la juridiction de l'Allemagne ne s'étendait pas aux organisations internationales qui en étaient exclues par le jeu d'accords internationaux. A cet égard, la Cour fédérale du travail constata qu'en vertu de l'article XV § 2 de la Convention de l'ASE, l'organisation jouissait des immunités prévues à l'annexe I de ladite Convention et qu'elle n'y avait pas renoncé au titre de l'article IV § 1 a) de cette annexe.

23. Quant à la question de la levée de l'immunité, la Cour estima que l'article 6 § 2 de l'Accord relatif à l'ESOC ne s'appliquait pas aux requérants ; ceux-ci n'avaient en effet pas été employés par l'ASE, mais avaient travaillé pour l'organisation en vertu d'un contrat de travail conclu avec un tiers. Il n'y avait donc pas lieu d'examiner si la disposition en question entraînait la levée de l'immunité et si elle s'imposait à l'ASE.

24. Par ailleurs, la Cour fédérale du travail ne constata aucune violation du droit d'accès à un tribunal protégé par l'article 19 § 4 de la Loi fondamentale (Grundgesetz), les actes de l'ASE, organisation internationale, ne pouvant être considérés comme étant des actes de puissance publique au sens de cette disposition.

25. Enfin, la Cour fédérale estima qu'il n'était pas inhabituel d'accorder aux organisations internationales une assez grande latitude dans les questions de personnel. Les dispositions relatives à l'immunité de l'ASE ne se heurtaient pas aux principes fondamentaux du droit constitutionnel allemand. Les employés de l'ASE pouvaient saisir la Commission de recours interne, ou les contrats de travail devaient prévoir l'arbitrage conformément à l'article XXV de l'annexe I. En cas de contrat contraire à la loi sur le prêt de main-d'œuvre et non visé par la disposition susmentionnée, l'employé concerné n'était pas privé de protection juridique : il avait la possibilité d'engager une action contre son employeur. On ne pouvait décider dans le cadre d'une procédure devant les juridictions du travail si les requérants pouvaient exiger, au regard du droit public allemand, que le gouvernement allemand agisse de façon concrète et use de son influence pour qu'en l'espèce l'immunité soit levée ou l'affaire soumise à une procédure d'arbitrage international en vertu de l'article XVIII de la Convention de l'ASE.

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