Cour européenne des droits de l'homme30 janvier 2001
Requête n°35683/97
Vaudelle c. France
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VAUDELLE c. FRANCE
(Requête n° 35683/97)
ARRÊT
STRASBOURG
30 janvier 2001
Le présent arrêt n'est pas définitif. Aux termes de l'article 43 § 1 de la Convention, toute partie à l'affaire peut, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'arrêt d'une Chambre, demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre. L'arrêt d'une Chambre devient définitif conformément aux dispositions de l'article 44 § 2.
En l'affaire Vaudelle c. France,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. W. Fuhrmann, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
P. Kûris,
K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve,
M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 19 septembre 1999 et 9 janvier 2001,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 35683/97) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Marcel Vaudelle (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 7 août 1996 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me H. Farge, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme M. Dubrocard, sous-directrice des droits de l'homme à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait la violation de ses droits de la défense dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui.
4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).
5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
6. Par une décision du 23 mai 2000, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
7. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 19 septembre 2000 (article 59 § 2 du règlement).
Ont comparu :
pour le Gouvernement
Mme M. Dubrocard, sous-directrice des droits de l'homme
à la direction des affaires juridiques du ministère
des Affaires étrangères, agent,
M. G. Bitti, membre du bureau des Droits de l'Homme
du service des Affaires européennes
et internationales, ministère de la Justice, conseil ;
pour le requérant
Me H. Farge, avocate au Conseil d'Etat
et à la Cour de cassation, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, Me Farge et Mme Dubrocard.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8. Par une ordonnance du juge des tutelles du XVIe arrondissement de Paris en date du 7 novembre 1994, le requérant fut placé sous mandat spécial de son fils. L'ordonnance précisait que ce mandat spécial recevrait effet jusqu'au jugement à intervenir sur l'éventuelle ouverture d'une mesure de tutelle ou de curatelle. L'ordonnance conférait au mandataire le pouvoir notamment de :
« (...) recevoir tous courriers adressés à la personne protégée, à titre administratif ou patrimonial, même en la forme recommandée à charge pour le mandataire spécial de lui remettre son courrier personnel dans les 48 heures (...) »
9. Le 16 février 1995, une plainte fut déposée contre le requérant pour avoir à plusieurs reprises commis des attouchements sexuels sur mineurs.
10. Entendu le 20 février 1995 par la gendarmerie, il reconnut en partie les faits. Le procès-verbal d'enquête mentionnait que le requérant était sous mandat spécial de son fils, domicilié à Paris, et faisait état de l'ordonnance du juge des tutelles du XVIe arrondissement de Paris du 7 novembre 1994.
11. Par un jugement du 1er mars 1995, le juge des tutelles, appelé à statuer sur la mesure de curatelle du requérant, décida de surseoir à statuer en raison de la procédure pénale ouverte à l'encontre de celui-ci et convoqua en son cabinet le fils du requérant afin de compléter son information.
12. Par un jugement 29 mars 1995, le requérant fit l'objet d'un placement sous curatelle par le juge des tutelles au tribunal d'instance du XVIe arrondissement de Paris. Son fils fut désigné curateur. Le juge se référa à l'avis écrit émis par le procureur de la République en date du 14 février 1995 concluant qu'il y avait lieu de placer le requérant sous curatelle. Le jugement indiquait notamment ce qui suit :
« Vu le rapport d'expertise établi par le Dr L., médecin spécialiste inscrit sur la liste établie par Monsieur le Procureur de la république, en date du 16 septembre 1994,
Vu le certificat médical du Dr M., médecin traitant, en date du 16 septembre 1994,
Vu le procès-verbal d'audition de la personne à protéger en date du 1er février 1995,
Vu les procès-verbaux d'audition de Monsieur Vaudelle Alain et Madame N. en date du 1er février 1995
Vu l'avis écrit de Monsieur le Procureur de la République en date du 14 février 1995 concluant à dire qu'il y a lieu de placer Monsieur Vaudelle Marcel sous curatelle,
Attendu qu'il résulte du rapport du médecin expert et des renseignements recueillis qu'en raison de l'altération de ses facultés, Monsieur Marcel Vaudelle a besoin d'être représenté et assisté dans les actes de la vie civile ; qu'il y a lieu en conséquence de le placer sous le régime de la curatelle (...)
Le tribunal rappelle que le majeur protégé ne pourra, sans l'assistance de son curateur, faire aucun acte qui, sous le régime de la tutelle des mineurs (sic) requerrait une autorisation du conseil de famille, notamment il ne pourra pas, sans l'assistance de son curateur, procéder à des partages, recevoir des capitaux ou en faire emploi, donner ou prendre des biens en location, ester en justice, faire des donations (...) »
13. Avis du jugement portant ouverture de la curatelle fut transmis au procureur de la République de Paris.
14. Le 30 mars 1995, le parquet du tribunal de grande instance de Tours ordonna de soumettre le requérant à un examen psychiatrique. Le requérant ne répondit à aucune des deux convocations de l'expert, respectivement pour les 20 avril et 11 mai 1995.
15. Le 19 octobre 1995, suivant audience du même jour, le tribunal correctionnel de Tours déclara le requérant coupable d'atteintes sexuelles avec violence, contrainte, menace et surprise sur des mineurs âgés de moins de quinze ans. Le tribunal s'exprima ainsi :
« (...) attendu que les faits reprochés au prévenu sont établis tant par les pièces du dossier que par les débats ;
qu'il y a lieu de retenir sa culpabilité et de lui faire application de la loi pénale ;
attendu que les faits sont d'une particulière gravité s'agissant d'attouchements répétés commis sur des mineurs âgés de moins de 15 ans ; que, dans ces conditions, le prononcé d'une peine d'emprisonnement pour partie ferme s'impose (...) »
Le tribunal condamna le requérant à douze mois d'emprisonnement dont huit avec sursis probatoire et mise à l'épreuve pendant dix-huit mois, ainsi qu'à des dommages et intérêts.
16. Le tribunal releva que le requérant avait été régulièrement cité à comparaître à l'audience, et qu'il résultait de l'accusé de réception de la lettre recommandée envoyée par l'huissier (que le requérant avait signé le 7 octobre 1995), qu'il avait été touché par la citation et avait donc eu connaissance de la citation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Tours. Toutefois, il ne comparaissait pas en personne, n'était pas représenté et ne justifiait d'aucun motif légitime de non-comparution. Il fut donc statué à son égard par jugement réputé contradictoire.
17. Le 8 novembre 1995, le juge des tutelles procéda à une nouvelle audition du fils du requérant, en sa qualité de curateur, concernant le changement de domicile de son père et les poursuites pénales engagées contre celui-ci. Au cours de cette audition, le juge lui indiqua qu'il devait transmettre à son père son courrier. Le fils du requérant affirma n'avoir pas de nouvelles depuis mars 1995 de la procédure pénale conduite contre son père.
18. Le 10 novembre 1995, à la suite du changement de domicile du requérant, le juge des tutelles du tribunal d'instance du XVIe arrondissement de Paris rendit une ordonnance de dessaisissement au profit du juge des tutelles de Loches.
19. Le jugement du 19 octobre 1995 fut signifié au requérant le 5 décembre 1995. Celui-ci exécuta sa peine du 16 avril au 19 juillet 1996.
20. Le requérant affirme que son fils, en sa qualité de curateur, n'a été informé de son arrestation ainsi que du jugement de condamnation du 19 octobre 1995, que le 16 avril 1996, puisque toutes les convocations relatives à la procédure pénale lui avaient été directement communiquées. Son fils s'est ensuite adressé au juge des tutelles, en lui faisant part de l'arrestation de son père et lui indiqua ne rien savoir de la procédure pénale diligentée contre lui. Le 20 avril 1996, son fils s'adressa également au procureur de la République près du tribunal de grande instance de Tours pour se plaindre de ne pas avoir été informé des poursuites engagées contre son père. Il indiqua que lorsqu'il prit connaissance de la plainte déposée à l'encontre de son père, il s'informa auprès de la gendarmerie en vue d'obtenir des renseignements supplémentaires. Il indique avoir été avisé qu'aucune poursuite n'avait été engagée à l'encontre de son père, et que seule une demande d'expertise psychiatrique avait été requise.
21. Le Gouvernement souligne qu'il ressort du jugement en date du 1er mars 1995 que le juge des tutelles du tribunal d'instance du XVIe arrondissement de Paris, appelé à se prononcer sur le placement sous curatelle du requérant, décida de surseoir à statuer en raison de l'existence de la procédure pénale diligentée contre lui. Il ressort du jugement que le juge des tutelles convoqua le fils du requérant pour obtenir des éléments d'information à ce sujet.
22. Par une lettre du 24 avril 1996, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Loches informa le fils du requérant qu'il était impossible d'exercer une voie de recours contre le jugement du 19 octobre 1995, devenu définitif faute d'appel. Le juge précisa que le régime de curatelle sous lequel avait été placé le requérant, était un régime de simple assistance, ne comportant pas l'obligation d'aviser le curateur de la procédure pénale dirigée contre la personne placée sous curatelle.
23. Par une lettre du 25 avril 1996, le procureur de la République près du tribunal de grande instance de Tours, en réponse au courrier du fils du requérant en date du 20 avril 1996, fit remarquer que le requérant n'était pas présent à l'audience du tribunal bien qu'il eût reçu la citation par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 7 octobre 1995. Il n'avait pas jugé utile de se déplacer à l'audience du tribunal, pas plus qu'il ne s'était présenté à la convocation de l'expert psychiatre, mandaté par le parquet pour l'examiner les 20 avril et 11 mai 1995. Par ailleurs, le procureur releva que le requérant n'avait en aucune façon fait mention de la curatelle à laquelle il était soumis. Enfin, il rappela que le requérant avait reçu la notification du jugement.
24. Le 10 mai 1996, l'avocat du fils du requérant adressa une lettre au juge d'application des peines par laquelle il demanda à ce dernier de lui faire part des mesures à prendre en faveur du requérant dès lors qu'il était « insolite » qu'une personne sous curatelle soit condamnée sans avoir la possibilité de se faire assister à l'audience par (...) son curateur. L'avocat indiqua ce qui suit :
« (...) Marcel Vaudelle a reçu personnellement les convocations qui lui ont été adressées tant par les greffes que par la gendarmerie, mais son fils Alain Vaudelle n'a jamais été informé de l'ensemble de ces correspondances alors qu'il avait indiqué à la gendarmerie compétente que son père faisait l'objet d'une mesure de curatelle (...) »
25. Le 24 juin 1996, le curateur du requérant déposa un recours à l'encontre du jugement en date du 19 octobre 1995 au motif que le requérant « était malade lors de l'audience et n'a pu se rendre à la convocation du tribunal ni faire appel ». Le 28 juin 1996, il lui fut répondu qu'il n'avait pas qualité pour faire un recours et qu'en tout état de cause, la décision de condamnation était devenue définitive, faute d'appel de la part du requérant. Le 30 mai 1997, le curateur s'adressa une nouvelle fois au procureur pour s'opposer au jugement du 19 octobre 1995.
26. Une expertise effectuée à la demande du juge des tutelles de Loches du 22 août 1996, à laquelle le requérant se rendit, conclut que les données de l'entretien « ne mettent pas en évidence de déficit intellectuel. Il n'y a pas d'altération majeure de la mémoire, des capacités d'attention et du raisonnement logique ».
27. Le 27 août 1996, le juge des tutelles entendit le requérant qui se plaignait de ce que son curateur lui prenait son argent sans lui en rendre compte. Il demanda à changer de curateur. Le 29 août 1996, le fils du requérant, entendu par le juge des tutelles, admit que les relations avec son père étaient perturbées et demanda à ce que son père soit placé sous tutelle.
28. Par une ordonnance du 25 septembre 1996, le tribunal de grande instance de Loches déchargea le fils du requérant de ses fonctions de curateur. Cette décision fut confirmée par un jugement du 9 janvier 1997.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
29. Dispositions pertinentes du code civil :
Article 490
« Lorsque les facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l'âge, il est pourvu aux intérêts de la personne par l'un des régimes de protection prévus aux chapitres suivants.
Les mêmes régimes de protection sont applicables à l'altération des facultés corporelles, si elle empêche l'expression de la volonté.
L'altération des facultés mentales ou corporelles doit être médicalement établie. »
Article 492
« Une tutelle est ouverte quand un majeur, pour l'une des causes prévues à l'article 490, a besoin d'être représenté d'une manière continue dans les actes de la vie civile. »
Article 508
« Lorsqu'un majeur, pour l'une des causes prévues à l'article 490, sans être hors d'état d'agir lui-même, a besoin d'être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile, il peut être placé sous un régime de curatelle. »