Jurisprudence : CEDH, 23-05-2000, Req. 31070/96, Van Pelt c. France

CEDH, 23-05-2000, Req. 31070/96, Van Pelt c. France

A7629AWH

Référence

CEDH, 23-05-2000, Req. 31070/96, Van Pelt c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064548-cedh-23052000-req-3107096-van-pelt-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

23 mai 2000

Requête n°31070/96

Van Pelt c. France



TROISIÈME SECTION

AFFAIRE VAN PELT c. FRANCE

(Requête n° 31070/96)

ARRÊT

STRASBOURG

23 mai 2000

DÉFINITIF

23/08/2000


En l'affaire Van Pelt c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme(troisième section), siégeant en une chambre composée de :

M. W. Fuhrmann, président,

M. J.-P. Costa,

M. L. Loucaides,

M. P. Kûris,

Mme F. Tulkens,

M. K. Jungwiert,

Sir Nicolas Bratza, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 novembre 1999 et 4 mai 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête dirigée contre la République française et dont un ressortissant néerlandais, M. Leonardus Van Pelt, avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 17 avril 1996 en vertu de l'ancien article 25. La requête a été enregistrée le 19 avril 1996 sous le numéro de dossier 31070/96. Le requérant est représenté par Me Claire Waquet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français est représenté par son agent, Mme Michèle Dubrocard, sous-directrice de la sous-direction des Droits de l'Homme, à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

2. Le 10 septembre 1997, la Commission a décidé de porter partiellement la requête à la connaissance du Gouvernement, en l'invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Elle l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Le Gouvernement a présenté ses observations le 19 janvier 1998, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 14 avril 1998.

3. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément aux clauses de l'article 5 § 2 de celui-ci, l'affaire est examinée par la Cour, conformément aux dispositions dudit Protocole.

4. Conformément à l'article 52 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), le président de la Cour, M. Luzius Wildhaber, a attribué l'affaire à la troisième section.

5. Le 30 mars 1999, la chambre a déclaré le restant de la requête recevable et a décidé d'inviter les parties à lui présenter, au cours d'une audience, leurs observations sur le fond.

6. Une audience s'est déroulée en public le 16 novembre 1999 au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

Mmes Michèle Dubrocard, sous-directrice de la sous-direction

des Droits de l'Homme, à la direction des

affaires juridiques du ministère

des Affaires étrangères, agent,

Claire d'Urso, magistrat au bureau des Droits de

l'Homme du Service des affaires européennes

et internationales, au ministère de la Justice,

M. François Capin-Dulhoste, magistrat au bureau de la

justice pénale et des libertés individuelles,

à la Direction des affaires criminelles et

des grâces du ministère de la Justice, conseils ;

pour le requérant

Mes Claire Waquet, avocat au Conseil d'Etat

et à la Cour de cassation,

Jacoba de Jongh-Dunand, avocate au barreau de Paris,

P.A.M. Gruijthuissen, avocat

au barreau d'Eindhoven, conseils.

La Cour a entendu en leurs déclarations, Mes Gruijthuissen, de Jong-Dunand et Waquet, et Mme Dubrocard.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. Le requérant, né en 1950 à Geldrop, est néerlandais et réside à Eindhoven.

8. Dans le cadre de l'enquête sur un trafic international de stupéfiants, un mandat d'arrêt fut délivré à l'encontre du requérant le 12 décembre 1986 et exécuté en Espagne le 30 janvier 1987, d'où le requérant fut extradé vers la France le 6 novembre 1987. Le 8 novembre 1987, il fut inculpé d'infraction à la législation sur les stupéfiants, de contrebande et d'intérêt à la fraude.

9. L'instruction concernait un groupe de personnes de nationalités et de pays de résidence différents, ayant des comptes en banque également dans plusieurs Etats, ainsi que des sociétés fictives situées pour la plupart en Espagne, mais également aux Etats-Unis, en Allemagne et à Jersey.

10. Ainsi, le juge d'instruction fut-il amené à délivrer treize commissions rogatoires internationales et quatre commissions rogatoires générales ou spéciales au plan national et à opérer deux transports sur les lieux, dont un en Espagne.

11. La traduction des documents recueillis grâce à ces commissions rogatoires ainsi que des courriers écrits en langues étrangères par le requérant et ses coïnculpés nécessita la délivrance de près de quarante ordonnances de commission d'experts traducteurs.

12. Au cours de l'instruction, le juge procéda à vingt-cinq interrogatoires au fond des différents inculpés. Il entendit le requérant les 17 décembre 1987, 27 juillet 1988, 28 juin, 28 juillet, 26 octobre et 27 novembre 1989. Il géra par ailleurs tout le contentieux relatif à la détention de six prévenus, y inclus le requérant.

13. Par ailleurs, trois personnes, dont le requérant, furent extradées vers la France suite à des procédures diligentées par le juge d'instruction.

14. Renvoyé devant le tribunal avec sept autres personnes le 11 janvier 1990, le requérant fut condamné le 22 février 1990 par le tribunal de grande instance de Bobigny à dix-huit ans d'emprisonnement et à l'interdiction définitive du territoire français pour entente en vue du trafic de stupéfiants par importation, exportation, fabrication ou production, contrebande de marchandise prohibée, trafic de stupéfiants par importation, exportation, fabrication ou production.

15. Le tribunal se fonda notamment sur le témoignage de D.S. qui, détenu aux Etats-Unis, avait été entendu sur commission rogatoire internationale le 24 octobre 1989 au centre pénitentiaire de Lafayette (Floride). Le tribunal estima que « le témoignage de M.E. et celui de M.S. établissent les faits reprochés à M. Van Pelt. » Il se référa également aux lettres écrites par le requérant à sa compagne lors de son incarcération en Espagne, aux objets trouvés lors de la perquisition de sa villa à Marbella, au fait qu'il avait été soupçonné d'être impliqué aux Pays-Bas en 1974 dans une vente d'opium, en 1983 dans une affaire de contrebande d'héroïne et en 1985 dans un trafic de cannabis.

16. De même, le tribunal releva que le requérant était mis en cause en Angleterre pour avoir été l'organisateur et le financier d'une importation de 200 kg de résine de cannabis.

17. Le tribunal se référa encore aux déclarations d'un autre témoin, au fait que le requérant avait toujours refusé de s'expliquer sur l'origine des ressources que supposait son train de vie et, qu'alors qu'il avait toujours soutenu n'être titulaire que d'un seul compte en banque, il s'était révélé en fin d'instruction qu'il avait ouvert un compte au Luxembourg à part égale avec son frère.

18. Il conclut que l'ensemble de ces éléments confortait les témoignages de M.E. et de M.S.

19. Par arrêt du 31 janvier 1991, la cour d'appel de Paris considéra que « s'il existe à l'encontre de Van Pelt les charges très lourdes de culpabilité relevées par le tribunal, il subsiste néanmoins un très léger doute, mais qui doit lui profiter et entraîner sa relaxe. »

20. Sur pourvoi du procureur général, la Cour de cassation cassa le 3 février 1992 l'arrêt de la cour d'appel en estimant que « si les juges apprécient librement la valeur des éléments de preuve qui leur sont soumis et se décident d'après leur intime conviction, ils ne sauraient sans se contredire ou mieux s'en expliquer, après avoir reconnu la réunion de charges lourdes de culpabilité, se borner, pour prononcer la relaxe, à affirmer l'existence d'un doute ».

21. L'affaire fut renvoyée devant la cour d'appel d'Amiens. Une première audience eut lieu le 25 mars 1993, qui fut renvoyée au 7 octobre 1993 aux fins notamment de citation du requérant et de signification à son profit de l'arrêt de la Cour de cassation.

22. A l'audience du 7 octobre 1993, le requérant comparut assisté de ses conseils et déposa des conclusions aux fins de l'audition de deux témoins et d'un complément d'information. En raison de problèmes nécessitant le remplacement de l'interprète, l'audience fut renvoyée au 16 décembre 1993.

23. Les 3 et 7 décembre 1993 respectivement, les deux avocats néerlandais du requérant demandèrent le report de l'audience pour préserver les droits de la défense.

24. A l'audience du 16 décembre 1993, les deux avocats français du requérant produisirent deux certificats médicaux datés du 15 décembre 1993 et indiquant que le requérant avait été hospitalisé la veille, et demandèrent le renvoi de l'audience. Après traduction de ces certificats, le substitut du procureur général et l'un des avocats du requérant plaidèrent sur la demande de renvoi puis la cour se retira pour délibérer.

25. A la reprise de l'audience après délibéré, furent entendus le président en son rapport et le substitut du procureur en ses réquisitions. Le président indiqua ensuite que l'arrêt serait rendu le 14 janvier 1994 et la cour se retira pour délibérer.

26. Il ne ressort pas de l'arrêt que les conseils du requérant aient pu plaider sur le fond de l'affaire.

27. Dans son arrêt contradictoire du 11 janvier 1994, la cour d'appel se prononça comme suit concernant la demande de renvoi :

« Attendu que les conseils du prévenu ont sollicité le renvoi de l'affaire au motif que Leonardus Van Pelt était hospitalisé à la suite d'un accident ;

Attendu qu'ils ont remis à la cour deux documents en langue néerlandaise que la cour a demandé aux deux interprètes, présents à l'audience, (...) de traduire ;

Attendu que le premier document est un certificat médical délivré le 15 décembre 1993 par le médecin traitant du prévenu qui certifie qu'à la suite d'une chute sur la tête, l'hospitalisation de son patient au service EHBO (lit) premier secours lors de l'accident, est absolument nécessaire ;

Attendu que le second document précise que M. Van Pelt a été hospitalisé le 15 décembre 1993 à 18 h par l'intermédiaire du EHBO, qu'il lui est impossible de se rendre à l'audience et que de plus amples renseignements peuvent être obtenus auprès de son neurologue traitant, le docteur Van Lieshout ;

Mais attendu que le certificat médical du médecin traitant ne donne aucune précision sur la nature exacte de l'affection qu'aurait provoquée la chute dont aurait été victime Leonardus Van Pelt ;

Attendu que le second document manuscrit, non signé, non délivré sur papier à entête, simplement revêtu de deux cachets, ne donne non plus aucune indication précise sur le motif exact de l'hospitalisation ;

Attendu qu'il ne résulte pas de ces documents que Van Pelt est dans l'impossibilité de se présenter à l'audience ; qu'aussi bien, il échet de rejeter la demande de renvoi et d'examiner l'affaire ; (...) »

28. Sur le fond, la cour d'appel rejeta la demande d'audition du témoin D.S. au motif que la mesure sollicitée s'avérait impossible, qu'en effet D.S. étant incarcéré aux Etats-Unis, cette situation mettait obstacle à sa comparution en France.

Elle reprit par ailleurs les motifs des premiers juges et ajouta que les accusations et témoignages étaient corroborés par des éléments objectifs du dossier : faux passeport utilisé par le requérant, possession d'une carte bancaire identique à celle de H., convoyeur de la drogue, numéro de téléphone du requérant possédé par M., organisateur de l'importation de la drogue, présence du requérant à Marbella jusqu'au 26 août 1986, époque où l'arrivée de la drogue dans cette ville était prévue, lettres écrites par le requérant à sa concubine alors qu'il était incarcéré en Espagne et desquelles il ressortait qu'il cherchait à savoir si un traître avait parlé, renseignements défavorables sur le requérant connu comme un trafiquant de drogue et ressources insuffisamment justifiées alors que le requérant se déclarait homme d'affaires opérant dans l'immobilier.

29. La cour d'appel confirma le jugement de première instance et délivra mandat d'arrêt à l'encontre du requérant.

30. Le pourvoi formé le 14 janvier 1994 contre cet arrêt par le requérant fut déclaré irrecevable le 19 octobre 1995. La Cour de cassation considéra en effet que le requérant, qui n'avait pas déféré au mandat d'arrêt décerné à son encontre, ne justifiait d'aucune circonstance l'ayant mis dans l'impossibilité absolue de se soumettre en temps utile à l'action de la justice.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

31. Code de procédure pénale

Article 410

(Ordonnance n° 60-529 du 4 juin 1960, Journal officiel du 8 juin 1960)

« Le prévenu régulièrement cité à personne doit comparaître, à moins qu'il ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle il est appelé. Le prévenu a la même obligation lorsqu'il est établi que, bien que n'ayant pas été cité à personne, il a eu connaissance de la citation régulière le concernant dans les cas prévus par les articles 557, 558 et 560.

Si ces conditions sont remplies, le prévenu non comparant et non excusé est jugé contradictoirement. »

Article 411

« Le prévenu cité pour une infraction passible d'une peine d'amende ou d'une peine d'emprisonnement inférieure à deux années peut, par lettre adressée au président et qui sera jointe au dossier de la procédure, demander à être jugé en son absence.

Dans ce cas, son défenseur est entendu.

Toutefois, si le tribunal estime nécessaire la comparution du prévenu en personne, il est procédé à la réassignation du prévenu, à la diligence du ministère public, pour une audience dont la date est fixée par le tribunal.

Le prévenu qui ne répondrait pas à cette invitation est jugé contradictoirement.

Il est également jugé contradictoirement dans le cas prévu par le premier alinéa du présent article. »

Article 416

(Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 article 224, Journal officiel du 5 janvier 1993, en vigueur le 1er mars 1993)

Si le prévenu ne peut, en raison de son état de santé, comparaître devant le tribunal et s'il existe des raisons graves de ne point différer le jugement de l'affaire, le tribunal ordonne, par décision spéciale et motivée, que le prévenu, éventuellement assisté de son avocat, sera entendu à son domicile ou à la maison d'arrêt dans laquelle il se trouve détenu, par un magistrat commis à cet effet, accompagné d'un greffier. Procès-verbal est dressé de cet interrogatoire. Le débat est repris après citation nouvelle du prévenu, et les dispositions de l'article 411, alinéas 1 et 2, sont applicables, quel que soit le taux de la peine encourue. Dans tous les cas, le prévenu est jugé contradictoirement. »

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