Jurisprudence : CEDH, 28-10-1999, Req. 24846/94, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France

CEDH, 28-10-1999, Req. 24846/94, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France

A7567AW8

Référence

CEDH, 28-10-1999, Req. 24846/94, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064486-cedh-28101999-req-2484694-zielinski-et-pradal-gonzalez-et-autres-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

28 octobre 1999

Requête n°24846/94

Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France



AFFAIRE ZIELINSKI ET PRADAL ET GONZALEZ ET AUTRES

c. FRANCE

(Requêtes jointes n°s 24846/94 et 34165/96 à 34173/96)


ARRÊT

STRASBOURG

28 octobre 1999

En l'affaire Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), telle qu'amendée par le Protocole n° 11 et aux clauses pertinentes de son règlement, en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. L. Wildhaber, président,

L. Ferrari Bravo,

L. Caflisch,

J. Makarczyk,

W. Fuhrmann,

K. Jungwiert,

M. Fischbach,

B. Zupancic,

Mme N. Vajic,

M. J. Hedigan,

Mmes W. Thomassen,

M. Tsatsa-Nikolovska,

MM. T. Pantîru,

E. Levits,

K. Traja,

Mme S. Botoucharova,

M. A. Bacquet, juge ad hoc,

ainsi que de Mme M. de Boer-Buquicchio, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 mai et 29 septembre 1999,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire Zielinski et Pradal c. France a été déférée à la Cour, telle qu'établie en vertu de l'ancien article 19 de la Convention3, par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 29 octobre 1997 et par le gouvernement français (« le Gouvernement ») le 11 décembre 1997. L'affaire Gonzalez et autres c. France a été déférée à la Cour, telle qu'établie en vertu de l'article 19 amendé, par la Commission le 9 décembre 1998. La Cour a été saisie dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A l'origine de ces deux affaires se trouvent dix requêtes (n° 24846/94 et n°s 34165/96 à 34173/96, ces dernières ayant été jointes par la Commission le 9 avril 1997) dirigées contre la République française et dont onze ressortissants de cet Etat avaient saisi la Commission en vertu de l'ancien article 25. La première requête a été introduite par MM. Benoît Zielinski et Patrick Pradal le 5 juillet 1994, la deuxième par Mme Jeanine Gonzalez le 19 août 1996, et les huit autres par Mmes Martine Mary et Anita Delaquerrière, M. Guy Schreiber, Mme Monique Kern, M. Pascal Gontier, Mmes Nicole Schreiber et Josiane Memeteau et M. Claude Cossuta le 9 septembre 1996.

Les demandes de la Commission renvoient aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46), la requête du Gouvernement à l'ancien article 48. Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) de l'ancien règlement A1, MM. Zielinski et Pradal ont exprimé le désir de participer à l'instance et désigné leur conseil (article 30).

3. En sa qualité de président de la chambre initialement constituée pour la première affaire (ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement A) pour connaître notamment des questions de procédure pouvant se poser avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. R. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le conseil de MM. Zielinski et Pradal et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure écrite. Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires des requérants et du Gouvernement le 27 avril 1998.

4. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 5 dudit Protocole, l'examen de l'affaire a été confié à la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. J.-P. Costa, juge élu au titre de la France (articles 27 § 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente de la Cour, ainsi que M. M. Fischbach, vice-président de section (articles 27 § 3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 a) du règlement). Ont en outre été désignés pour compléter la Grande Chambre : MM. L. Ferrari Bravo, Gaukur Jörundsson, L. Caflisch, W. Fuhrmann, K. Jungwiert, M. Fischbach, B. Zupancic, Mme N. Vajic, M. J. Hedigan, Mmes W. Thomassen, M. Tsatsa-Nikolovska, MM. T. Pantîru, E. Levits, et K. Traja.

Ultérieurement, M. Costa s'est déporté de la Grande Chambre (article 28 du règlement). Par conséquent, le Gouvernement a désigné M. A. Bacquet pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement). Par la suite, Mme Palm et M. Gaukur Jörundsson, empêchés, ont été remplacés par M. Makarczyk et Mme Botoucharova, juges suppléants (article 24 § 5 b) du règlement).

5. Conformément aux dispositions de l'article 5 § 4 du Protocole n° 11, lu en combinaison avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement, un collège de juges de la Grande Chambre a décidé, le 14 janvier 1999, que l'affaire Gonzalez et autres serait examinée par la même Grande Chambre que celle déjà constituée pour l'affaire Zielinski et Pradal. Par la suite, la Grande Chambre a décidé, faisant droit à la demande du Gouvernement, de joindre les deux affaires (article 43 § 1 du règlement).

6. M. Wildhaber a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le conseil des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure écrite. Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires des requérants le 23 mars 1999 et celui du Gouvernement le 25 mars 1999.

7. A l'invitation de la Cour (article 99 § 1 du règlement), la Commission a délégué l'un de ses membres, M. M. Nowicki, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre.

8. Ainsi qu'en avait décidé le président, une audience s'est déroulée en public le 26 mai 1999, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

MM. R. Abraham, directeur des affaires juridiques,

ministère des Affaires étrangères, agent,

P. Boussaroque, sous-direction des droits de l'homme,

direction des affaires juridiques,

ministère des Affaires étrangères,

Mme E. Ducos, bureau des droits de l'homme,

service des affaires européennes

et internationales,

ministère de la Justice, conseils ;

pour les requérants

Me H. Masse-Dessen, avocate au Conseil d'Etat

et à la Cour de cassation, conseil ;

pour la Commission

M. M. Nowicki, délégué,

Mme M.-T. Schoepfer, secrétaire de la Commission.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Nowicki, Me Masse-Dessen et M. Abraham.

EN FAIT

9. Ressortissants français, MM. Zielinski et Pradal, Mmes Gonzalez, Mary et Delaquerrière, M. Schreiber, Mme Kern, M. Gontier, Mmes Schreiber et Memeteau et M. Cossuta sont respectivement nés en 1954, 1955, 1956, 1953, 1955, 1948, 1949, 1957, 1950, 1954 et 1957. Les requérants, qui résident dans les départements de la Meurthe-et-Moselle pour M. Zielinski, de la Moselle pour M. Pradal, du Bas-Rhin pour Mme Mary et du Haut-Rhin pour tous les autres requérants, sont employés dans des organismes de sécurité sociale en Alsace-Moselle.

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPèCE

A. La genèse de l'affaire

1. Les préliminaires

10. Le 28 mars 1953, les représentants des caisses de sécurité sociale de la région de Strasbourg ont signé un protocole d'accord avec les représentants régionaux des syndicats. Ce protocole mit en place, au profit du personnel des organismes de sécurité sociale, une « indemnité de difficultés particulières » (IDP) justifiée par la complexité de l'application de la législation du droit local des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. L'accord précisa que cette indemnité est égale à douze fois la valeur du point, fixée par la convention nationale du personnel des organismes sociaux.

Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale donna son agrément par une lettre du 2 juin 1953. Ce protocole fut donc normalement appliqué.

11. A la suite de deux avenants des 10 juin 1963 et 17 avril 1974, relatifs au mode de calcul des salaires et à la classification des emplois et des répercussions de ces modifications sur la valeur du point, les conseils d'administration des organismes de sécurité sociale ont réduit l'IDP. Ainsi, l'IDP fut fixée à six points en 1963 puis à 3,95 points en 1974, au lieu des douze points prévus dans l'accord de 1953. De plus, ils ne tinrent pas compte de l'IDP pour le calcul du treizième mois prévu par la convention collective.

12. En 1988, plusieurs organismes de sécurité sociale décidèrent toutefois d'intégrer l'IDP dans la base de calcul de l'indemnité annuelle, avec rappel de cinq ans. La direction régionale des affaires sanitaires et sociales, autorité de tutelle de ces organismes publics, annula les décisions permettant le transfert des crédits nécessaires pour ces versements aux agents.

2. Les recours exercés par certains agents – autres que les requérants – des organismes de sécurité sociale concernés

a) Les jugements des conseils de prud'hommes de Forbach, Sarrebourg et Sarreguemines

13. Cinq conseils de prud'hommes furent saisis par 136 agents des caisses concernées, afin d'obtenir l'application stricte du protocole d'accord signé en 1953 et l'octroi des rappels de salaires correspondants depuis le 1er décembre 1983 (du fait de la prescription quinquennale en matière de salaires).

14. Par jugements des 22 décembre 1989 et 26 avril 1990 (conseil de prud'hommes de Sarrebourg, section activités diverses), 20 décembre 1989 (conseil de prud'hommes de Sarrebourg, section encadrement), ainsi que des 10 avril et 12 juin 1990 (conseil de prud'hommes de Forbach, section encadrement), les agents furent déboutés de leur demande de rappel de l'IDP sur la base de douze fois la valeur du point.

15. Par jugements des 23 avril et 14 mai 1990 (conseil de prud'hommes de Forbach, section activités diverses) et du 19 mars 1990 (conseil de prud'hommes de Sarreguemines, section encadrement), la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Sarreguemines fut condamnée à verser aux agents les montants réclamés au titre du rappel de l'IDP calculée sur la base de douze points.

b) Les arrêts de la cour d'appel de Metz, du 26 février 1991

16. Par vingt-cinq arrêts du 26 février 1991, concernant 136 agents, la cour d'appel de Metz fit droit à leur demande. Les représentants de l'Etat – le préfet de région et, par délégation, le directeur régional des affaires sanitaires et sociales – formèrent un pourvoi en cassation.

c) Les décisions ministérielles relatives à l'agrément, des 30 juillet 1991 et 8 juillet 1992

17. Le 30 juillet 1991, le ministre des Affaires sociales retira l'agrément ministériel donné le 2 juin 1953. Le 8 juillet 1992, le ministre des Affaires sociales rapporta ce retrait d'agrément.

d) Les arrêts de la Cour de cassation, du 22 avril 1992

18. Par trois arrêts du 22 avril 1992, dans le cadre des recours intentés par 136 agents et ayant donné lieu aux vingt-cinq arrêts de la cour d'appel de Metz le 26 février 1991, la Cour de cassation cassa partiellement ces arrêts. Elle estima que le changement de classification intervenu en 1963 avait entraîné la disparition de l'indice de référence de l'accord de 1953. En conséquence, la Cour de cassation ordonna le renvoi des affaires devant les juges du fond pour rechercher si un usage avait été créé ou, à défaut d'usage, pour déterminer le taux qu'aurait atteint l'indice de référence s'il avait été maintenu.

19. La Cour de cassation désigna la cour d'appel de Besançon comme cour de renvoi.

e) Les arrêts de la cour d'appel de Colmar, du 23 septembre 1993

20. La cour d'appel de Colmar, également saisie de recours relatifs à l'IDP, rendit des arrêts le 23 septembre 1993, par lesquels elle estima, compte tenu des termes des arrêts de la Cour de cassation en date du 22 avril 1992, que l'indice de référence avait disparu et qu'un usage s'était créé pour le paiement de l'IDP à 3,95 fois la valeur du point depuis l'avenant du 17 avril 1974.

f) L'arrêt de la cour d'appel de Besançon, statuant sur renvoi après cassation, du 13 octobre 1993

21. Par arrêt du 13 octobre 1993, la cour d'appel de Besançon, statuant sur renvoi de la Cour de cassation, jugea que le protocole d'accord du 28 mars 1953 était régulier, qu'il n'était pas caduc et qu'aucun usage n'avait été créé. En conséquence, elle indiqua que l'IDP serait calculée sur la base de 6,1055 % du salaire minimum, ce pourcentage correspondant au montant de l'IDP calculée sur douze points au 1er janvier 1953. La cour d'appel de Besançon jugea notamment que :

« Attendu que l'accord de 1953 n'ayant pas été dénoncé et l'IDP devant continuer à être versée, la seule discussion, après la cassation partielle des arrêts rendus par la cour d'appel de Metz, porte sur le nouveau mode de calcul de l'indemnité en 1963, qui peut être fondé soit sur un usage, soit, à défaut, sur la détermination du taux qu'aurait atteint l'indice de référence à la date de chaque échéance de la prime, si cet indice avait été maintenu.

(...) Attendu que la modification unilatérale en 1963 du mode de calcul de l'IDP ne peut avoir entraîné la création d'un usage qui de surcroît, aurait lui-même été modifié unilatéralement en 1974 au mépris des règles en la matière ; (...)

Attendu qu'en cas de disparition d'indice de référence, il est nécessaire de créer un indice de raccordement, conforme à la volonté des parties contractantes ;

Attendu que la méthode retenue par les Caisses en 1963 et 1974, consistant à considérer le montant de l'IDP comme fixe et à diviser ce montant par la nouvelle valeur du point pour obtenir le nombre de points nécessaire au calcul de l'IDP, fait abstraction de l'évolution générale des salaires et a consacré une érosion progressive de l'IDP, ainsi que le démontrent les demandeurs en versant aux débats des études sur l'évolution de l'IDP par rapport aux salaires de base ;

Attendu que pour respecter l'intention commune des parties, la prime doit être uniforme pour les agents des trois départements, quelle que soit la qualification de l'agent, et que les avantages acquis par les salariés doivent être maintenus ;

Attendu que la comparaison de l'IDP avec le salaire minimum est éloquente ; (...) ; qu'ainsi, en janvier 1990, l'IDP calculée sur la base de 3,95 points, le point ayant une valeur de 38,6520 FRF s'élevait à 152,67 FRF, alors qu'en prenant pour base 6,1055 % du SMPG, alors fixé à 5 596 FRF, l'IDP aurait été de 341,66 FRF ;

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