Jurisprudence : CEDH, 28-10-1998, Req. 116/1997/900/1112, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne

CEDH, 28-10-1998, Req. 116/1997/900/1112, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne

A7537AW3

Référence

CEDH, 28-10-1998, Req. 116/1997/900/1112, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064456-cedh-28101998-req-11619979001112-perez-de-rada-cavanilles-c-espagne
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Cour européenne des droits de l'homme

28 octobre 1998

Requête n°116/1997/900/1112

Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne



AFFAIRE PÉREZ DE RADA CAVANILLES c. ESPAGNE

CASE OF PÉREZ DE RADA CAVANILLES v. SPAIN

(116/1997/900/1112)


ARRÊT/JUDGMENT

STRASBOURG

28 octobre 1998

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

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Liste des agents de vente

Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,

B-1000 Bruxelles)

Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher

(place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)

Pays-Bas : B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat

A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC La Haye)

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Belgium: Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,

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(place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)

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A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC 's-Gravenhage)

SOMMAIRE

Arrêt rendu par une chambre

Espagne – irrecevabilité, pour tardiveté, d'un recours de reposición contre une décision judiciaire qui déclara nul un acte de conciliation dont la requérante avait demandé l'exécution

I. ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

A. Applicabilité de l'article 6

La procédure d'exécution de l'acte de conciliation a été déterminante pour la réalisation effective du droit de la requérante – absence de controverse.

B. Observation de l'article 6

Rappel de la jurisprudence : l'interprétation de la législation interne incombe au premier chef aux autorités nationales – les juridictions internes ont déclaré irrecevable, pour tardiveté, un recours de reposición expédié dans le délai de trois jours prévu par la loi mais reçu deux jours après l'expiration du délai, au motif que les recours doivent être présentés devant le tribunal compétent ou le juge de permanence de la ville, en particulier lorsque le justiciable est représenté par un conseil – le rôle de la Cour se limite à vérifier la conformité avec la Convention des effets de pareille interprétation.

Rappel de la jurisprudence sur le « droit à un tribunal » – les limitations implicitement admises dans ce droit ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels qu'il s'en trouve atteint dans sa substance même – en l'espèce, l'application particulièrement rigoureuse faite par les juridictions espagnoles d'une règle de procédure a privé la requérante du droit d'accès à un tribunal.

Conclusion : violation (unanimité).

II. ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

Dommage moral : suffisamment réparé par le constat de violation.

Frais et dépens : octroi d'une certaine somme.

Conclusion : Etat défendeur tenu de verser une certaine somme à la requérante pour frais et dépens (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

26.9.1996, Di Pede c. Italie ; 26.9.1996, Zappia c. Italie ; 16.12.1997, Tejedor García c. Espagne ; 19.12.1997, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne ; 19.2.1998, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne ; 21.4.1998, Estima Jorge c. Portugal

En l'affaire Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A, en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM. R. Bernhardt, président,

F. Gölcüklü,

N. Valticos,

Mme E. Palm,

MM. J.M. Morenilla,

G. Mifsud Bonnici,

J. Makarczyk,

K. Jungwiert,

U. Lôhmus,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 juin et 25 septembre 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 15 décembre 1997, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 28090/95) dirigée contre le Royaume d'Espagne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme María Gloria Pérez de Rada Cavanilles, avait saisi la Commission le 20 juin 1995 en vertu de l'article 25.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration espagnole reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 § 1.

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du règlement A, la requérante a exprimé le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 30), Me M. Dopico Fradrique, avocat aux barreaux de Madrid, Pampelune, Oviedo et Alcalá de Henares. Désignée devant la Commission par les initiales M.P., la requérante a consenti ultérieurement à la divulgation de son identité.

3. Le 26 janvier 1998, le président a autorisé l'agent du gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») à employer la langue espagnole à l'audience (article 27 § 2 du règlement A).

4. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. J.M. Morenilla, juge élu de nationalité espagnole (article 43 de la Convention), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 31 janvier 1998, en présence du greffier, le vice-président de la Cour, M. R. Bernhardt, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Gölcüklü, M. N. Valticos, Mme E. Palm, M. G. Mifsud Bonnici, M. J. Makarczyk, M. K. Jungwiert et M. U. Lôhmus (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A). Par la suite, M. Bernhardt a remplacé M. Ryssdal, décédé le 18 février 1998 (article 21 § 6, second alinéa, du règlement A).

5. En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Ryssdal avait consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, le conseil de la requérante et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et de la requérante les 14 et 17 avril 1998 respectivement.

6. Le 23 avril 1998, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président de la chambre.

7. Par une lettre du 5 mai 1998, l'avocat de la requérante a informé le greffe que la requérante ne participerait pas à l'audience du 23 juin 1998 et n'y serait pas représentée.

8. Les débats se sont déroulés en public le 23 juin 1998, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M. J. Borrego Borrego, chef du service juridique

pour la Commission et la Cour européennes

des Droits de l'Homme, ministère de la Justice, agent ;

pour la Commission

M. F. Martínez, délégué.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Martínez et M. Borrego Borrego.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Genèse de l'affaire

9. Dans le cadre d'un litige opposant la requérante à un voisin au sujet d'une vue sur sa propriété sise à Lumbier, dans la province de Navarre, un acte de conciliation fut conclu, le 28 juillet 1992, entre les parties par-devant le juge d'instance suppléant d'Aoiz (Navarre). Par cet acte, le voisin, usufruitier de l'immeuble qu'il occupait, s'engageait à supprimer, dans un délai de six mois, la vue depuis sa terrasse sur la propriété de la requérante.

10. Passé ce délai sans que le voisin exécutât ses engagements, le 6 mai 1993, la requérante demanda, devant le juge d'instance d'Aoiz, l'exécution de l'acte de conciliation.

B. Procédure devant le juge d'instance d'Aoiz

11. Le 25 mai 1993, le juge accueillit la demande de la requérante et accorda un délai supplémentaire de quinze jours à la partie adverse pour qu'elle exécutât les engagements découlant de l'acte de conciliation.

12. Le 11 juin 1993, le défendeur fit savoir devant le juge d'instance d'Aoiz que, n'étant pas propriétaire de l'immeuble, il ne pouvait pas effectuer les travaux nécessaires pour répondre aux exigences dudit acte. Le 24 août 1993, la requérante réitéra sa demande et précisa que la partie adverse n'avait pas entamé d'action en nullité contre l'acte de conciliation litigieux en vertu de l'article 477 du code de procédure civile (paragraphe 27 ci-dessous).

13. Par une décision (auto) du 7 septembre 1993, le juge d'instance suppléant d'Aoiz (différent du premier juge) rejeta la demande de la requérante et déclara nul l'acte de conciliation : le voisin, simple usufruitier de l'immeuble, ne pouvait, sans l'accord du nu-propriétaire, réaliser les travaux destinés à la suppression de la vue dans la mesure où ceux-ci changeraient la forme et la substance de l'immeuble. Le juge précisa que rien n'empêcherait la conclusion de l'acte avec celui ayant la qualité nécessaire pour agir.

Au sujet de l'allégation de la requérante selon laquelle la partie adverse n'avait pas soulevé la nullité de l'acte de conciliation dans les délais prescrits (paragraphe 27 ci-dessous), le juge précisa que l'article 477 du code de procédure civile ne visait que les cas où la conclusion même de l'acte n'aurait pas respecté les conditions ou les formalités requises par la loi, et non les vices de nature à annuler un accord de volonté. L'acte de conciliation comportait un vice en raison de l'absence de capacité d'une des parties pour conclure un tel accord.

1. Notification de la décision du 7 septembre 1993 à Lumbier

14. Le 8 septembre 1993, le greffier du tribunal d'instance d'Aoiz ordonna la notification de la décision au domicile de la requérante dans le village de Lumbier, situé à vingt kilomètres d'Aoiz.

15. Par un acte du 27 septembre 1993, le juge de paix de Sangüesa (du ressort duquel relève le village de Lumbier) constata que la requérante ne se trouvait pas à son domicile de Lumbier et fit savoir au greffe d'Aoiz que l'époux, qui était en même temps l'avocat de la requérante, avait exprimé par téléphone le souhait que la décision fût notifiée à la résidence de cette dernière à Madrid.

16. Le 6 octobre 1993, la décision litigieuse fut notifiée à la partie adverse.

2. Notification de la décision du 7 septembre 1993 à Madrid

17. Par une ordonnance du 21 octobre 1993, le juge de première instance d'Aoiz, ville située à quelque quatre cents kilomètres de Madrid, ordonna que la décision fût notifiée à la résidence de la requérante à Madrid ; le 26 novembre 1993, la requérante reçut enfin notification de ladite décision en la personne de sa femme de ménage puisqu'elle se trouvait absente à ce moment-là.

3. Recours contre la décision du 7 septembre 1993

18. Contre la décision du 7 septembre 1993 la requérante présenta, le 30 novembre 1993, un recours de reposición et subsidiairement d'appel auprès du greffe du tribunal de permanence de Madrid qui, dans un premier temps, y apposa son cachet ; toutefois, s'apercevant que ledit recours devait être déposé au tribunal d'Aoiz, le responsable du greffe barra et invalida ainsi ledit cachet.

Le même jour, la requérante expédia, par courrier recommandé avec accusé de réception, ledit recours de reposición et subsidiairement d'appel auprès du juge d'instance d'Aoiz. Le recours était daté du 27 novembre 1993 et signé par la requérante et son conseil à Lumbier. Sur sa première page figurait le cachet de la poste avec, comme date d'envoi, le 30 novembre 1993.

19. Le courrier fut reçu au greffe du juge d'instance d'Aoiz le 2 décembre 1993.

20. Par une décision (providencia) du 13 décembre 1993, le juge de première instance déclara le recours de reposición et subsidiairement d'appel irrecevable pour tardiveté. Après quelques tentatives infructueuses des juges de paix de Sangüesa et d'instance d'Aoiz dans leurs ressorts respectifs, la requérante reçut notification de cette décision à sa résidence à Madrid le 15 avril 1994.

4. Recours contre la décision du 13 décembre 1993

21. Le 15 avril 1994, la requérante déposa, par courrier recommandé avec accusé de réception, un recours de reposición contre la décision précitée auprès du tribunal d'instance d'Aoiz, qui fut reçu au greffe le lendemain.

22. Le 25 mai 1994, le juge d'instance rejeta le recours et confirma la décision entreprise : le recours contre la décision du 7 septembre 1993 aurait dû être enregistré au greffe du tribunal dans le délai prescrit de trois jours, soit au plus tard le 30 novembre 1993. Par ailleurs, le juge nota que la législation en matière administrative citée par la requérante (paragraphe 30 ci-dessous) n'était pas applicable en l'espèce, les procédures judiciaires étant régies par la loi organique du pouvoir judiciaire et le code de procédure civile (paragraphes 27–29 ci-dessous). La décision concluait que le dépôt d'un recours par courrier porterait atteinte au concept de « foi publique judiciaire », ce qui battrait en brèche le principe de la sécurité juridique, dans la mesure où un bureau de poste (entité administrative) ne pouvait pas être assimilé à un organe judiciaire.

Quant au recours d'appel, le juge ajouta qu'il ne pouvait être déposé qu'après la décision concernant le recours de reposición et pas en même temps que ce dernier, de sorte qu'il était inutile d'examiner s'il avait été introduit dans les délais.

C. Procédure devant l'Audiencia Provincial de Navarre

23. Le 7 septembre 1994, la requérante interjeta appel devant l'Audiencia Provincial de Navarre. Celle-ci rejeta le recours par une décision (auto) du 23 décembre 1994, insistant sur la nécessité de présenter les recours devant le tribunal compétent ou devant le juge de permanence de la même ville, en particulier lorsque le justiciable est assisté d'un conseil.

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