Jurisprudence : CEDH, 26-10-2000, Req. 30210/96, Kud³a c. Pologne

CEDH, 26-10-2000, Req. 30210/96, Kud³a c. Pologne

A7218AWA

Référence

CEDH, 26-10-2000, Req. 30210/96, Kud³a c. Pologne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064137-cedh-26102000-req-3021096-kud-a-c-pologne
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Cour européenne des droits de l'homme

26 octobre 2000

Requête n°30210/96

Kud³a c. Pologne





AFFAIRE KUD£A c. POLOGNE

(Requête n° 30210/96)

ARRÊT

STRASBOURG

26 octobre 2000

En l'affaire Kud³a c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

M. L. Wildhaber, président,

Mme E. Palm,

MM. J.-P. Costa,

A. Pastor Ridruejo,

G. Bonello,

J. Makarczyk,

P. Kûris,

R. Türmen,

Mmes F. Tulkens,

V. Strážnická,

MM. P. Lorenzen,

M. Fischbach,

J. Casadevall,

Mme H.S. Greve,

M. A.B. Baka,

Mme S. Botoucharova,

M. M. Ugrekhelidze,

ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 juin et 18 octobre 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s'appliquaient avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 30 octobre 1999, puis par un ressortissant polonais, M. Andrzej Kud³a (« le requérant »), le 2 décembre 1999 (article 5 § 4 du Protocole n° 11 et anciens articles 47 et 48 de la Convention).

2. A son origine se trouve une requête (n° 30210/96) dirigée contre la République de Pologne et dont le requérant avait saisi la Commission le 12 avril 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention.

3. Le requérant alléguait en particulier qu'il n'avait pas reçu un traitement psychiatrique adéquat pendant sa détention provisoire, que celle-ci avait connu une durée excessive, que son droit à faire entendre sa cause « dans un délai raisonnable » avait été méconnu, et qu'il n'avait eu à sa disposition aucun recours interne effectif au travers duquel il aurait pu se plaindre de la durée excessive de la procédure pénale intentée contre lui.

4. La Commission a déclaré la requête partiellement recevable le 20 avril 1998. Dans son rapport du 26 octobre 1999 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention (quatorze voix contre treize), de l'article 5 § 3 (unanimité) et de l'article 6 § 1 (unanimité), mais qu'il ne s'impose pas de rechercher s'il y a eu violation de l'article 13 (dix-huit voix contre neuf).

5. Devant la Cour, le requérant, qui s'est vu accorder le bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Mes K. Tor et P. So³haj, avocats inscrits au barreau de Cracovie (Pologne). Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. K. Drzewicki, du ministère des Affaires étrangères.

6. Le 6 décembre 1999, un collège de la Grande Chambre a décidé que l'affaire devait être examinée par celle-ci (article 100 § 1 du règlement). La composition de la Grande Chambre a été fixée conformément aux dispositions des articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Le président de la Cour a décidé que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice (articles 24, 43 § 2 et 71 du règlement), l'affaire devait être attribuée à la même Grande Chambre que l'affaire Mikulski c. Pologne (requête n° 27914/95).

7. Le requérant et le Gouvernement ont chacun déposé un mémoire.

8. Par la suite, le président de la Grande Chambre a invité le Gouvernement à produire le dossier médical du requérant constitué par la maison d'arrêt de Cracovie pendant la détention provisoire subie par l'intéressé après le 4 octobre 1993. Le Gouvernement a fourni les documents pertinents le 12 mai 2000. Des copies en ont été envoyées au requérant le 25 mai 2000.

9. Une audience a eu lieu en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 7 juin 2000 (article 59 § 2 du règlement).

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M. K. Drzewicki, agent,

Mme M. W¹sek-Wiaderek,

MM. K. Kaliñski, conseils,

W. Dziuban, conseiller ;

pour le requérant

Mes K. Tor,

P. So³haj, conseils.

La Cour a entendu Me So³haj, M. Drzewicki, M. Kaliñski, Mme W¹sek-Wiaderek et Me Tor.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. La détention du requérant et les poursuites dirigées contre lui

10. Le 8 août 1991, le requérant fut déféré au procureur régional (Prokurator Wojewódzki) de Cracovie, inculpé d'escroquerie et de faux et placé en détention provisoire. L'intéressé ayant signalé au procureur qu'il souffrait de divers maux, et notamment de dépression, les autorités ordonnèrent qu'il fût examiné par un médecin. A l'issue de l'examen, effectué quelques jours plus tard, le requérant fut déclaré apte à séjourner en prison. Il fut incarcéré à la maison d'arrêt (Areszt Œledczy) de Cracovie.

11. Plus tard, à une date non précisée, il interjeta appel de l'ordonnance de placement en détention. Le 21 août 1991, le tribunal régional (S¹d Wojewódzki) de Cracovie rejeta le recours, estimant qu'il y avait de forts indices donnant à penser que l'appelant avait commis les infractions qui lui étaient reprochées. Se référant aux résultats de l'examen médical pratiqué, le tribunal constata qu'aucune raison tenant à l'état de santé du requérant ne justifiait qu'il fût libéré.

12. D'août 1991 à fin juillet 1992, le requérant introduisit une trentaine de demandes de libération et recours contre les décisions de rejet rendues à leur propos.

13. Dans l'intervalle, en octobre 1991, le requérant avait tenté de mettre fin à ses jours en prison. Le 4 novembre 1991, il entama une grève de la faim, qu'il interrompit après une période non précisée.

14. En novembre 1991, les autorités ordonnèrent que le requérant fût examiné par des médecins. Daté du 25 novembre 1991, le rapport établi à la suite de ces examens par des experts de la faculté de psychiatrie criminelle de l'université jagellonienne affirmait que, vu son état, le requérant ne pouvait être détenu dans une prison ordinaire. Les experts concluaient que si l'intéressé devait être maintenu en détention, il y avait lieu de l'interner dans le service psychiatrique d'un hôpital carcéral. Le requérant fut par la suite transféré à l'hôpital carcéral de Bytom, où il fut placé dans un service de maladies internes et reçut un traitement pour son état mental. Il y demeura pendant une période non déterminée, à la suite de laquelle il fut ramené à la maison d'arrêt de Cracovie.

15. Le 20 janvier et le 27 février 1992, le requérant fut examiné par des médecins légistes. Ceux-ci conclurent que l'intéressé était justiciable d'un traitement psychiatrique en prison mais qu'il ne devait pas nécessairement être interné dans le service psychiatrique d'un hôpital carcéral.

16. Le 30 avril 1992, un acte d'accusation dirigé contre le requérant fut déposé devant le tribunal régional de Cracovie. Au total, vingt-neuf charges y étaient portées contre le requérant et ses neuf coaccusés. Le dossier comportait dix-neuf volumes. L'accusation invita le tribunal à entendre les dépositions de quatre-vingt-dix-huit témoins.

17. Le 15 juin 1992, à la demande du tribunal, des médecins de la clinique psychiatrique de Cracovie et de la faculté de médecine de l'université jagellonienne rédigèrent un rapport relatif à l'état psychologique du requérant. Il comportait notamment le passage suivant :

« Le patient présente des tendances suicidaires persistantes. Après l'avoir examiné, nous estimons qu'il souffre d'un profond syndrome de dépression, aggravé de pensées suicidaires. Eu égard à l'intensité de celles-ci et au fait qu'il a déjà tenté de mettre fin à ses jours, il est justiciable d'un traitement psychiatrique. Son maintien en détention provisoire comporte un danger sérieux pour sa vie (un risque grave de le voir à nouveau faire une tentative de suicide) (…) »

18. Le 27 juillet 1992, le tribunal régional de Cracovie annula l'ordonnance de placement en détention.

19. Les 26, 27 et 28 octobre et les 14 et 15 décembre 1992, le tribunal tint des audiences. Une autre, fixée au 8 février 1993, fut annulée pour défaut de comparution du requérant. L'avocat de l'intéressé soumit un certificat médical attestant que son client était malade pour cinq jours, mais le tribunal ordonna la production, dans les trois jours, d'un certificat médical établi par un médecin légiste, « faute de quoi, des mesures préventives (œrodki zapobiegawcze) destinées à assurer sa présence au procès ser[aie]nt imposées à l'endroit de l'accusé ». Le requérant ne présenta pas le certificat requis mais, le 12 février 1993, il informa le tribunal qu'il suivait un traitement climatique à Œwinoujœcie, où il devait demeurer jusqu'au 7 mars 1993. Le 18 février 1993, le requérant n'ayant pas indiqué l'adresse à laquelle la citation à comparaître devait lui être notifiée, le tribunal ordonna la diffusion d'un avis de recherche en vue de localiser l'intéressé et de le replacer en détention au motif qu'il n'avait pas comparu aux audiences. La suivante, fixée au 16 mars 1993, fut annulée en raison de l'absence du requérant.

20. L'ordonnance de placement en détention du 18 février 1993 n'avait toujours pas été exécutée lorsque, le 4 octobre 1993, le requérant fut arrêté par la police en rapport avec une infraction au code de la route. Il fut incarcéré à la maison d'arrêt de Cracovie.

21. Le tribunal programma des audiences pour le 6 octobre et les 15 et 17 novembre 1993, mais dut les annuler toutes au motif que l'état mental du requérant (en particulier ses difficultés de concentration) ne lui permettait pas de participer utilement au procès. Une note rédigée le 17 novembre 1993 par un médecin de la prison décrivait son état comme suit :

« Est apte à participer aux débats de ce jour (avec une participation active limitée, eu égard à ses [mots illisibles] difficultés de concentration). »

D'après un autre rapport d'expert (recueilli par le tribunal fin 1993), le requérant « ne souffr[ait] pas d'une maladie mentale » et son état mental ne « form[ait] pas obstacle à son maintien en détention ».

22. Entre-temps, le 18 octobre 1993, l'avocat du requérant avait vainement interjeté appel de l'ordonnance de placement en détention, faisant valoir que, depuis sa libération le 27 juillet 1992, son client était traité en permanence pour sa grave dépression et que c'était son état psychologique qui l'avait empêché de comparaître devant le tribunal.

23. Entre octobre 1993 et novembre 1994, le requérant déposa sans succès vingt et une nouvelles demandes de libération et attaqua, sans plus de succès, chacune des décisions de rejet rendues à leur propos.

24. Les 13, 14 et 16 décembre 1993, le tribunal tint des audiences. D'autres, programmées pour fin janvier 1994, furent annulées au motif que, le 26 janvier 1994, le requérant avait tenté de se suicider par overdose (paragraphes 63-64 ci-dessous).

25. Le procès se poursuivit les 14, 15 et 16 février 1994. Les audiences fixées aux 9 et 10 mars 1994 furent annulées pour cause de maladie du président. De nouvelles audiences eurent lieu les 14, 15 et 16 juin 1994. Dans l'intervalle, le requérant avait été placé en observation psychiatrique à l'hôpital carcéral de Wroc³aw (paragraphe 58 ci-dessous).

26. L'audience suivante eut lieu le 11 juillet 1994. D'autres, prévues pour les 12 et 14 juillet 1994, furent annulées au motif que le requérant avait retiré la procuration donnée à son avocat. Le procès se poursuivit les 20, 21 et 22 septembre, les 25 et 26 octobre et les 14 et 15 novembre 1994. Les audiences fixées aux 20, 21 et 22 décembre 1994 furent annulées au motif que l'un des coaccusés du requérant était hospitalisé.

27. Entre-temps, le 17 novembre 1994, le requérant s'était plaint au président du tribunal régional de Cracovie de la durée de sa détention provisoire et de la manière dont la procédure était menée. Il faisait valoir, en particulier, que l'ensemble de ses neuf coaccusés avaient été élargis, alors que lui-même se trouvait toujours détenu et que la durée totale de sa détention provisoire excédait à présent deux ans. Il soutenait que les comptes rendus des audiences tenues dans sa cause ne reflétaient pas les dépositions des témoins et que le tribunal avait omis de consigner par écrit les observations présentées par lui-même et par son avocat et ne l'avait pas laissé exposer librement sa version des faits. Enfin, il affirmait que la durée de la procédure pénale engagée à son encontre plus de quatre ans auparavant constituait pour lui un « cauchemar ».

28. Le 7 décembre 1994, le requérant se plaignit au tribunal du traitement psychiatrique qu'il recevait en prison. Le président demanda des explications aux autorités carcérales. Celles-ci l'informèrent du nombre des examens médicaux subis par le requérant, donnèrent le détail de ces examens et produisirent des copies des dossiers médicaux pertinents.

29. A la même époque, le requérant demanda une nouvelle fois au tribunal de le libérer pour motifs de santé. Il invoqua également sa situation familiale, soutenant que sa longue détention provisoire mettait sa famille à rude épreuve. Le 8 décembre 1994, le tribunal régional de Cracovie rejeta la requête.

30. Le 4 janvier 1995, la cour d'appel (S¹d Apelacyjny) de Cracovie, qui avait été saisie par le requérant, confirma la décision du tribunal régional et jugea que M. Kud³a devait être maintenu en détention aux motifs que l'on pouvait raisonnablement le soupçonner d'avoir commis les infractions qui lui étaient reprochées et qu'il avait été placé en détention eu égard au risque de le voir se soustraire à la justice. La cour d'appel estima également que, bien qu'elle fût difficile, la situation de la famille du requérant ne constituait pas une circonstance pouvant militer en faveur de son élargissement.

31. Le 25 janvier 1995, l'avocat du requérant sollicita du tribunal régional de Cracovie l'annulation de l'ordonnance de placement en détention et la libération de l'intéressé, moyennant son placement sous contrôle judiciaire. Il souligna que, le 23 janvier 1995, son client avait une nouvelle fois cherché à mettre fin à ses jours en prison (il avait tenté de se pendre, paragraphes 69-70 ci-dessous), ce qui, compte tenu de sa dépression chronique, constituait un indice sérieux de ce qu'un maintien en détention risquait de compromettre sa vie. Il affirmait de plus que si le requérant avait été réincarcéré c'était uniquement parce qu'il n'avait pas comparu aux audiences. Or ce motif ne pouvait d'après lui justifier le maintien en détention de son client, dès lors que les preuves à charge avaient déjà été recueillies et que le maintien en détention ne visait pas à assurer le bon déroulement du procès.

32. Le 13 février 1995, le tribunal régional de Cracovie rejeta la demande de mise en liberté. Il observa que, d'après un rapport des autorités carcérales, la tentative de suicide du requérant n'était qu'une manœuvre destinée à attirer l'attention sur l'intéressé, et que les motifs justifiant le maintien en détention n'avaient pas cessé d'exister. Daté du 10 février 1995, le rapport était ainsi libellé :

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