Jurisprudence : CEDH, 06-06-2000, Req. 34130/96, Morel c. France

CEDH, 06-06-2000, Req. 34130/96, Morel c. France

A7094AWN

Référence

CEDH, 06-06-2000, Req. 34130/96, Morel c. France. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064013-cedh-06062000-req-3413096-morel-c-france
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Cour européenne des droits de l'homme

6 juin 2000

Requête n°34130/96

Morel c. France



TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MOREL c. FRANCE

(Requête n° 34130/96)

ARRÊT

STRASBOURG

6 juin 2000

DÉFINITIF

18/10/2000


Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention.

En l'affaire Morel c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

M. W. Fuhrmann, président,

M. J.-P. Costa,

M. L. Loucaides,

Mme F. Tulkens,

M. K. Jungwiert,

Sir Nicolas Bratza,

M. K. Traja, juges,

et de M
me S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 novembre 1999 et le 16 mai 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 34130/96) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Hubert Morel (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 20 juillet 1996 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par M
e M. Puechavy. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham.

3. Le requérant alléguait notamment que la non-communication du rapport du juge-commissaire et des pièces l'accompagnant devant le tribunal de commerce ainsi que la présence du juge-commissaire au sein de ce tribunal méconnaissaient l'article 6 § 1 de la Convention en tant qu'il garantit le droit à un procès équitable par un tribunal impartial.

4. La requête a été transmise à la Cour le 1
er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6. Par une décision du 6 juillet 1999, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

8. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 23 novembre 1999.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M. R. Abraham, directeur des affaires juridiques

au ministère des Affaires étrangères, agent,

M
me M. Dubrocard, sous-directrice des droits de l'homme

à la direction des affaires juridiques

du ministère des Affaires étrangères,

M. O. Douvreleur, sous-directeur du droit commercial,

du droit immobilier et de l'entraide judiciaire civile

au ministère de la Justice, conseils ;

pour le requérant

M
e M. Puechavy, avocat au barreau de Paris, conseil.

Le requérant était également présent à l'audience.

La Cour a entendu M
e Puechavy et M. Abraham en leurs déclarations et en leurs réponses aux questions posées par Mme la juge Tulkens.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

9. Le requérant avait créé cinq sociétés de travaux de construction afin de réaliser des bâtiments de restauration et d'hébergement à la suite d'une commande du Comité d'organisation des Jeux Olympiques (ci-après « le COJO »). Le requérant était le gérant de ces sociétés. Il détenait 99 % des parts sociales de l'une d'elles, laquelle possédait la totalité des parts sociales des quatre autres. Il était également caution de la quasi-totalité des créances détenues à l'encontre de ces sociétés.

10. Les travaux n'ayant pas été achevés dans les délais, le COJO suspendit le paiement des travaux. Le 24 février 1992, le requérant déposa une déclaration de cessation de paiement de ses sociétés au greffe du tribunal de commerce de Nanterre.

11. Par un jugement du 25 février 1992, le tribunal de commerce de Nanterre ouvrit une procédure de redressement judiciaire à l'égard des cinq sociétés du requérant. Il désigna Maître A. en qualité de juge-commissaire, ainsi qu'un suppléant, un administrateur judiciaire et un représentant des créanciers. Il ordonna l'ouverture d'une période d'observation de six mois en vue de l'établissement, par l'administrateur judiciaire, d'un bilan économique et social et de propositions concluant à la continuation ou à la cessation des activités des sociétés. Cette période d'observation fut reconduite à deux reprises.

12. Durant la phase d'observation, le juge-commissaire prit des ordonnances de différentes natures : désignation d'un expert en contrôle de gestion (11 mars 1992), d'un commissaire-priseur (6 avril 1992) et d'un expert-comptable (22 avril 1992) ; prononcé de forclusion de créances (par deux fois le 13 octobre 1992 et le 16 novembre 1992, le 17 février 1993, les 10 et 30 mars 1993, le 5 mai 1993, le 1
er juin 1993 et le 25 mars 1994) ; restitution de matériel (les 8 septembre et 14 décembre 1992 et le 30 mars 1993) ; autorisation d'intervention dans la gestion des hôtels par le requérant (le 15 septembre 1992) ; rejet de requêtes en restitution de matériel (16 novembre 1992), en introduction d'action contre un des cocontractants et d'autres mesures (même date) et en restitution de matériel (30 mars 1993) ; licenciements de treize personnes (le 7 avril 1992) et d'une autre (le 8 septembre 1992) ; et enfin mise sous séquestre des comptes (le

8 septembre 1992).

13. Le 23 septembre 1993, l'administrateur judiciaire saisit le tribunal afin qu'il se prononce sur le plan de redressement par continuation proposé par le requérant.

14. Le requérant comparut à l'audience et fut entendu en qualité de dirigeant des sociétés en cause. L'administrateur judiciaire et le représentant des créanciers furent également entendus. L'administrateur judiciaire présenta un rapport : il exposa au tribunal l'historique des opérations ayant conduit le requérant à déclarer la cessation de paiement de ses sociétés ; il informa ensuite le tribunal du déroulement de la période d'observation ; il souligna que le plan de redressement présenté par le requérant avait été accepté par la majorité des créanciers ; il releva des incertitudes qu'il appartenait selon lui au requérant de lever par la présentation de garanties financières et professionnelles.

15. Le tribunal décida (sur réquisitions du procureur) qu'avant d'homologuer le plan de redressement proposé par le requérant, il devait se persuader que le maintien de l'activité économique de ses sociétés serait durable. Dans ce but, il devait obtenir du requérant des garanties financières et professionnelles. Il demanda donc au requérant de produire certains documents complémentaires afin de s'assurer de l'existence de telles garanties. Le requérant déposa en retour un dossier complémentaire. Au vu de ce nouveau dossier présenté par le requérant, l'administrateur présenta un rapport complémentaire.

16. Par un jugement du 26 octobre 1993, le tribunal mit fin à la période d'observation et prononça la liquidation judiciaire des cinq sociétés. Il estima que le plan de redressement proposé ne présentait pas de garanties suffisamment fiables pour assurer la continuation des sociétés. Le jugement contenait notamment les passages suivants :

« Qu'il échet en conséquence de dire que le plan proposé n'est pas assorti des garanties requises pour assurer la pérennité d'une activité économique qui se situe dans un secteur difficile.

Il y a donc lieu, en application des dispositions des articles 1
er, 36 et 146 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 de prononcer la liquidation judiciaire des sociétés ci-dessus prévue par les dispositions du Titre III de ladite loi, en statuant dans les termes ci-après ;

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement en premier ressort,

Vu le rapport de Monsieur le juge-commissaire,

Vu le rapport de l'Administrateur Judiciaire (...)

Met fin à la période d'observation (...) »

17. Le tribunal maintint le juge-commissaire dans ses fonctions, mit fin à la mission de l'administrateur et nomma le représentant des créanciers en qualité de liquidateur des sociétés. Le juge-commissaire faisait partie de la formation de jugement en qualité de président de la chambre, assisté du vice-président du tribunal et d'un autre magistrat.

18. Par un arrêt du 31 janvier 1994, la cour d'appel de Versailles confirma en tous points le jugement attaqué. La cour rendit sa décision après avoir examiné le plan de continuation proposé par le requérant qui, présent aux débats, fut entendu en ses observations, le rapport de l'administrateur judiciaire et les conclusions du liquidateur.

Le 7 avril 1994, le requérant forma un pourvoi en cassation. Il présenta deux moyens tirés de la violation de l'article 6 de la Convention. Par un arrêt du 23 janvier 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Sur le moyen tiré de ce que le tribunal n'était pas impartial du fait de la présence du juge-commissaire, qui avait participé activement à la phase d'observation des sociétés, dans la formation de jugement du tribunal qui a ensuite statué sur la liquidation de ces sociétés, la Cour jugea ce qui suit :

« (...) la présence, conformément à l'article 24 du décret du 27 décembre 1985, du juge-commissaire dans la juridiction qui prononce la liquidation judiciaire n'est pas contraire aux dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; que le moyen n'est pas fondé ; (…) »

Le deuxième moyen du requérant était ainsi libellé :

« (...) le rapport du juge-commissaire et les pièces qui l'accompagnaient n'ont pas été communiqués aux exposants ; ce en quoi le procès n'était pas équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention et en quoi les droits de la défense n'étaient pas respectés au sens de l'article 16 du nouveau code de procédure civile. Le procès ne peut être dit équitable – toujours au sens de la Convention européenne – que si l'égalité des armes est assurée, en d'autres termes que si chaque partie dispose de la connaissance de la totalité des éléments au vu desquels statuera le tribunal. Parmi ces éléments, le rapport du juge-commissaire joue un rôle prépondérant pour orienter la décision de la juridiction. Or il s'agit d'une pièce secrète, que le débiteur ne peut ni connaître (elle n'est pas transmise, ne figure pas au dossier officiel communicable, n'est pas lue à l'audience) ni par suite discuter. Le principe du procès équitable est ainsi méconnu selon la Convention ; les droits de la défense sont ignorés selon le Nouveau code de procédure civile. »

La Cour répondit ce qui suit :

« (...) aux termes de l'article 111 du décret du 27 décembre 1985, le rapport du juge-commissaire peut être présenté oralement ; que cette disposition n'est pas contraire à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; que, dès lors qu'il n'est pas soutenu que le juge-commissaire n'a pas oralement présenté son rapport, le moyen ne peut être accueilli ; (…) »

Le requérant soulevait également un moyen tiré de l'absence de convocation et d'audition, devant la cour d'appel, d'un cocontractant. La Cour rejeta également ce moyen au motif suivant :

« (...) la convocation du cocontractant devant la cour d'appel ne s'impose que lorsque la cession du contrat, dans le cadre d'un plan de cession de l'entreprise, est envisagée ; qu'aucune disposition ne prévoit la convocation du cocontractant en cas de prononcé de la liquidation judiciaire ; que le moyen n'est donc pas fondé ; (…) »

Parallèlement, le 27 février 1995, le requérant déposa une requête auprès du président du tribunal de commerce afin d'obtenir communication du rapport du juge-commissaire. Par une ordonnance du 15 mars 1995, le président du tribunal de commerce de Nanterre débouta le requérant au motif que :

« le rapport du juge-commissaire est enfermé dans le secret du délibéré et ne peut être communiqué à quiconque ».

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

19. Loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises et son décret d'application n° 85-1388 du 27 décembre 1985

Objet des procédures de redressement et de liquidation

Article 1
er – « Il est institué une procédure de redressement judiciaire destinée à permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif.

Le redressement judiciaire est assuré selon un plan arrêté par décision de justice à l'issue d'une période d'observation. Ce plan prévoit, soit la continuation de l'entreprise, soit sa cession. Lorsque aucune de ces solutions n'apparaît possible, il est procédé à la liquidation judiciaire. »

Article 8 – « Le jugement de redressement judiciaire ouvre une période d'observation en vue de l'établissement d'un bilan économique et social et de propositions tendant à la continuation ou à la cession de l'entreprise. Dès lors qu'aucune de ces solutions n'apparaît possible, le tribunal prononce la liquidation judiciaire. »

Article 10 – « Dans le jugement d'ouverture, le tribunal désigne le juge-commissaire [sur une liste établie par le président parmi les juges ayant au moins deux ans d'ancienneté] et deux mandataires de justice qui sont l'administrateur et le représentant des créanciers. Il invite le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel ou, à défaut de ceux-ci, les salariés à désigner, au sein de l'entreprise, un représentant des salariés (...) »

Fonctions du juge-commissaire durant la période d'observation

Article 14 – « Le juge-commissaire est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence. »

Article 20 – « L'administrateur reçoit du juge-commissaire tous renseignements et documents utiles à l'accomplissement de sa mission et de celles des experts. »

Pouvoirs du juge-commissaire durant la période d'observation

Pouvoir de contrôle de la situation de la société

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