Jurisprudence : CEDH, 03-05-2001, Req. 31827/96, J.B. c/ SUISSE

CEDH, 03-05-2001, Req. 31827/96, J.B. c/ SUISSE

A7081AW8

Référence

CEDH, 03-05-2001, Req. 31827/96, J.B. c/ SUISSE . Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064000-cedh-03052001-req-3182796-jb-c-suisse
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Cour européenne des droits de l'homme

3 mai 2001

Requête n°31827/96

J.B. c. Suisse



DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE J.B. c. SUISSE

(Requête n° 31827/96)

ARRÊT

STRASBOURG

3 mai 2001

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire J.B. c. Suisse,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,

A.B. Baka,

L. Wildhaber,

G. Bonello,

P. Lorenzen,

Mme M. Tsatsa-Nikolovska,

M. A. Kovler, juges,

et de M. E. Fribergh, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 6 avril 2000 et 12 avril 2001,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 31827/96) dirigée contre la Suisse et dont un ressortissant de cet Etat, J. B. (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 6 juin 1996 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant était représenté par Mes U. Behnisch et M. Lustenberger, avocats au barreau de Zurich, Suisse. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») était représenté par son agent suppléant, M. F. Schürmann, chef de la Section droits de l'homme et Conseil de l'Europe, Office fédéral de la Justice. Le président de la chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

3. Le requérant alléguait que la procédure le concernant n'avait pas été équitable et avait contrevenu à l'article 6 § 1 de la Convention en ce qu'il avait été contraint de soumettre des documents qui auraient pu l'incriminer.

4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5. Elle a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6. Par une décision du 6 avril 2000, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). Après avoir consulté les parties, la Cour a décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 2 in fine).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8. Le requérant est un ressortissant suisse né en 1914. Moniteur de ski et guide de montagne à la retraite, il est domicilié à X., en Suisse.

A. La procédure administrative engagée contre le requérant

9. En 1987, l'Administration fédérale des contributions (Eidgenössische Steuerverwaltung) consulta le dossier de P., directeur financier. Elle constata qu'entre 1979 et 1985, le requérant avait effectué des investissements auprès de P. et de ses sociétés. Toutefois, ces montants n'avaient pas été déclarés pour les périodes fiscales de 1981/1982 et 1987/1988.

10. Eu égard à ces éléments, la commission fiscale du district de X. (Bezirkssteuerkommission) ouvrit le 11 décembre 1987 une procédure pour soustraction d'impôt (Steuerhinterziehungsverfahren) concernant les impôts fédéraux du requérant. Celui-ci fut invité à soumettre tous les documents en sa possession ayant trait à ces sociétés.

11. Le 22 décembre 1987, le requérant reconnut avoir « effectivement effectué des investissements auprès de P. et de ses sociétés de 1979 à 1985 et n'en [avoir] pas dûment déclaré les revenus sur sa déclaration d'impôt personnelle ». Toutefois, il ne produisit pas les documents requis.

12. Le 24 juin 1988, le requérant fut de nouveau invité à déclarer la source des investissements, s'élevant à 238 000 francs suisses (CHF), qu'il avait effectués auprès de P. Il ne répondit pas.

13. Le 2 septembre 1988, la commission fiscale du district décida d'émettre un rappel d'impôt (Nachsteuer) concernant les intérêts perçus sur les investissements que le requérant avait effectués auprès de P. pour les années 1979 à 1986. Par deux lettres datées des 29 septembre et 11 octobre 1988, l'intéressé fut informé de sa taxation (Steuerveranlagung) et des arriérés dus.

14. A la suite de l'intervention de l'inspecteur des impôts fédéraux, le président de la commission fiscale du district retira sa décision relative au rappel d'impôt dans deux lettres datées des 7 et 20 octobre 1988. En même temps, il invita de nouveau le requérant à expliquer la source des revenus investis. Il réitéra sa demande le 19 janvier 1989.

15. Le requérant n'ayant pas répondu à ces demandes, l'administration cantonale de l'impôt fédéral direct (kantonale Verwaltung für die direkte Bundessteuer), s'appuyant sur l'article 131 § 1 de l'arrêté du Conseil fédéral sur la perception d'un impôt fédéral direct (Bundesratsbeschluss über die Erhebung einer direkten Bundessteuer), lui infligea le 28 février 1989 une amende d'ordre (Ordnungsbusse) de 1 000 CHF.

16. Le 7 avril 1989 et les 19 juin, 17 juillet et 16 août 1990, la commission fiscale du district adressa un nouvel avertissement au requérant car il n'avait toujours pas fourni les renseignements demandés.

17. Les 3 août et 5 septembre 1990, le requérant répondit que, selon lui, la décision de lui réclamer un rappel d'impôt était passée en force de chose jugée (Rechtskraft) les 29 septembre et 11 octobre 1988, et qu'il n'était donc pas tenu de donner d'autres informations.

18. Sur quoi, le 29 octobre 1990, l'administration cantonale de l'impôt fédéral direct lui infligea, en vertu de l'article 131 § 1 de l'arrêté du Conseil fédéral, une deuxième amende d'ordre de 2 000 CHF concernant les impôts fédéraux.

19. Les 4 décembre 1990 et 22 janvier 1991, l'administration fiscale cantonale condamna l'intéressé à une troisième amende d'ordre d'un montant de 2 000 CHF concernant les impôts cantonaux.

20. Le recours que le requérant forma contre la deuxième amende d'ordre du 29 octobre 1990 fut rejeté par la commission de recours en matière fiscale (Steuerrekurskommission) du canton du Valais le 18 décembre 1992.

21. Dans sa décision, la commission de recours estima que le requérant avait intentionnellement refusé de répondre à la demande de renseignements des autorités fiscales. Or, conformément à l'article 131 § 1 de l'arrêté du Conseil fédéral, toute personne astreinte à l'impôt était tenue de coopérer avec l'administration fiscale, en particulier de soumettre les livres, documents et autres pièces justificatives en sa possession susceptibles de présenter un intérêt pour sa taxation. En outre, la décision d'imposer le requérant n'avait pas acquis force de chose jugée étant donné que le président de la commission fiscale du district l'avait retirée les 7 et 20 octobre 1988.

B. La procédure devant le Tribunal fédéral

22. Le requérant saisit le Tribunal fédéral (Bundesgericht) d'un recours de droit administratif, alléguant notamment qu'en vertu de l'article 6 de la Convention, il ne devait pas être contraint de s'incriminer en tant qu'accusé.

23. Dans l'intervalle, il contesta également la troisième amende d'ordre infligée les 4 décembre 1990 et 22 janvier 1991, bien que la procédure devant le tribunal de district (Bezirksgericht) compétent fût suspendue dans l'attente de l'issue du recours devant le Tribunal fédéral.

24. Le 7 juillet 1995, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit administratif du requérant ; l'arrêt fut notifié à l'intéressé le 12 décembre 1995.

25. Dans son arrêt, le Tribunal fédéral releva que le requérant avait sans conteste effectué auprès de P. et des sociétés de celui-ci des investissements qu'il n'avait pas déclarés. Les autorités fiscales n'avaient pu considérer que les fonds investis provenaient des revenus et de la fortune déjà imposés. Elles avaient donc à juste titre invité le requérant à en démontrer l'origine.

26. Le Tribunal fédéral récapitula ensuite la jurisprudence pertinente. Il releva que la procédure pour soustraction d'impôt constituait une véritable procédure pénale à laquelle s'appliquaient les garanties procédurales, y compris celles de l'article 6 de la Convention. En effet, l'infraction de soustraction était passible d'une amende qui devait être payée en plus des impôts soustraits. L'amende constituait une sanction revêtant un caractère à la fois dissuasif et punitif. Son montant, jusqu'à quatre fois celui des impôts soustraits, avait le même effet pour l'intéressé qu'une condamnation pénale.

27. Par ailleurs, pour le Tribunal fédéral, l'obligation d'acquitter des arriérés d'impôt ne s'analysait pas en une sanction pénale. Cette obligation n'était pas distincte de la créance fiscale initiale ; il s'agissait plutôt d'un supplément d'impôt résultant de l'examen de la taxation de l'intéressé et servant à percevoir l'impôt non payé. En tant que telle, elle n'avait aucun caractère punitif. Le Tribunal poursuivit :

« même si le rappel d'impôt n'est pas une sanction pénale au sens de l'article 129 de l'arrêté fédéral, l'impôt sera déterminé dans le cadre d'une procédure pour soustraction d'impôt à laquelle s'appliquent les garanties de la procédure pénale. Se pose donc la question de savoir si une personne qui doit acquitter des impôts peut être tenue, dans une procédure pour soustraction d'impôt et en vue de déterminer le montant des arriérés, de fournir des informations sur sa situation financière. »

28. Le Tribunal fédéral réitéra ensuite le principe de la procédure de taxation selon lequel il appartient aux autorités fiscales de démontrer qu'une personne n'a pas déclaré certains revenus imposables. On ne pouvait affirmer que la personne concernée était contrainte de s'incriminer. En revanche, elle était simplement appelée à donner des informations sur la provenance des revenus non imposés dont les autorités fiscales avaient déjà connaissance. Si l'intéressé avait le droit de garder le silence en pareille situation, le système fiscal dans son ensemble se trouverait remis en cause. La procédure de taxation ordinaire devrait alors être conduite conformément aux principes de la procédure pénale. Le droit de garder le silence rendrait le contrôle plus complexe, voire impossible. Tel ne pouvait être le but de l'article 6 de la Convention.

29. Pour le Tribunal fédéral, le droit pénal renfermait un certain nombre d'obligations contraignant une personne à agir d'une certaine manière afin que les autorités puissent obtenir sa condamnation. Il mentionna en particulier les poids lourds qui devaient être équipés de tachygraphes permettant de contrôler la vitesse et le nombre d'heures de conduite. En cas d'accident, le conducteur était tenu de remettre l'appareil. De même, un automobiliste pouvait être invité à subir une analyse de sang ou d'urine et, en cas de refus, était puni.

30. Le Tribunal fédéral releva une différence essentielle avec l'arrêt Funke c. France (arrêt du 25 février 1993, série A n° 256), à savoir que dans cette affaire, les autorités fiscales avaient pensé que certaines pièces existaient, bien qu'elles n'en fussent pas certaines. En l'espèce, les autorités connaissaient le montant des investissements effectués par le requérant. Elles avaient voulu s'assurer que ces fonds provenaient des ressources ou de la fortune de l'intéressé qui avaient été dûment imposés. Le requérant était seulement appelé à expliquer l'origine de ces revenus. En réalité, il aurait dû le faire au cours de la procédure de taxation ordinaire.

31. Enfin, le Tribunal fédéral renvoya à l'arrêt Salabiaku c. France selon lequel les présomptions de fait et de droit sont compatibles avec l'article 6 § 2 de la Convention pour autant qu'elles soient enserrées dans des limites raisonnables et préservent les droits de la défense (arrêt du 7 octobre 1988, série A n° 141-A, p. 16, § 28).

32. Le Tribunal fédéral conclut qu'il n'y avait pas eu violation du droit du requérant à la présomption d'innocence ou de son droit à ne pas s'incriminer.

C. Evénements ultérieurs

33. Le 5 juin 1996, les autorités cantonales infligèrent au requérant une quatrième amende de 5 000 CHF, qui n'entra toutefois jamais en force de chose jugée.

34. A la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral du 7 juillet 1995, le requérant et l'administration fiscale cantonale conclurent le 28 novembre 1996 un règlement mettant fin à toutes les procédures fiscales et fiscales pénales pour les années 1981/1982 jusqu'à 1995/1996. D'une part, le règlement fixait le montant à payer par le requérant, soit une somme totale de 81 878,95 CHF, dont l'amende, réduite d'un tiers, s'élevait à 21 625,95 CHF. D'autre part, il fut convenu de clôturer toutes les procédures pendantes, y compris la procédure concernant les amendes d'ordre, et que l'amende déjà payée serait déduite du montant total des impôts et des amendes pour soustraction d'impôt. Enfin, le règlement disposait :

« la procédure pendante devant les organes de la Convention européenne des Droits de l'Homme à Strasbourg contre l'arrêt du Tribunal fédéral concernant l'amende d'ordre n'est pas visée par le présent règlement ».

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La procédure en rappel d'impôt et la procédure pour soustraction d'impôt

35. La procédure en rappel d'impôt (Nachsteuerverfahren) tend au recouvrement d'arriérés (Nachsteuer) lorsque certains impôts n'ont pas été dûment acquittés. La procédure pour soustraction (Steuerhinterziehungsverfahren) peut aboutir, outre au rappel d'impôt, à une amende dont le montant est fonction de celui de l'impôt soustrait.

B. L'arrêté du Conseil fédéral sur la perception d'un impôt fédéral direct

36. L'arrêté de 1940 du Conseil fédéral sur la perception d'un impôt fédéral direct, en vigueur à l'époque des faits, traitait dans sa neuvième partie des « infractions » (Widerhandlungen).

37. Les articles 129 et 130 de la neuvième partie portaient sur la « soustraction d'impôt », qui était passible d'une amende. Par exemple, l'article 129 § 1 visait le contribuable qui commettait une soustraction d'impôt en remplissant de manière incorrecte sa déclaration. L'article 130 bis était consacré à l'« usage de faux et escroquerie à l'inventaire » (Steuer-und Inventarbetrug), infraction passible d'une amende ou de l'emprisonnement.

38. L'article 131 § 1 de l'arrêté disposait :

« Toute personne astreinte à l'impôt ou tenue de fournir des renseignements qui (…) enfreint, intentionnellement ou par négligence, les ordonnances officielles et les dispositions d'exécution prises en vertu du présent arrêté concernant l'obligation :

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