Jurisprudence : CEDH, 09-12-1994, Req. 22/1993/417/496, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce

CEDH, 09-12-1994, Req. 22/1993/417/496, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce

A6629AWG

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CEDH, 09-12-1994, Req. 22/1993/417/496, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1063548-cedh-09121994-req-221993417496-raffineries-grecques-stran-et-stratis-andreadis-c-grece
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Cour européenne des droits de l'homme

9 décembre 1994

Requête n°22/1993/417/496

Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce



En l'affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce*,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A**, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,
B. Walsh,
R. Macdonald,
C. Russo,
N. Valticos,
S.K. Martens,
R. Pekkanen,
F. Bigi,
L. Wildhaber, ainsi que de M. H. Petzold, greffier f.f.,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 avril et 21 novembre 1994,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:



Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 22/1993/417/496. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.


PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 12 juillet 1993, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 13427/87) dirigée contre la République hellénique et dont une société anonyme grecque, les Raffineries grecques Stran, ainsi que l'unique actionnaire de celle-ci, M. Stratis Andreadis, avaient saisi la Commission le 20 novembre 1987 en vertu de l'article 25 (art. 25). Le second requérant étant décédé en 1989, son fils et héritier, M. Petros Andreadis, avait exprimé le souhait de maintenir la requête.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration grecque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 (art. 6) de la Convention et de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, les requérants ont manifesté le désir de participer à l'instance et désigné leur conseil (article 30).

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. N. Valticos, juge élu de nationalité grecque (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 25 août 1993, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. B. Walsh, R. Macdonald, C. Russo, S.K. Martens, R. Pekkanen, F. Bigi et L. Wildhaber, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement grec ("le Gouvernement"), le conseil des requérants et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 13 janvier 1994 et celui des requérants le 19 janvier. Le 21 février, le secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait en plaidoirie.

5. Ainsi qu'en avait décidé le président, l'audience s'est déroulée en public le 19 avril 1994, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La chambre avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. P. Georgakopoulos, assesseur au Conseil juridique de l'Etat,
délégué de l'agent, Mme K. Grigoriou, auditeur au Conseil juridique de l'Etat,
conseil;

- pour la Commission

M. C.L. Rozakis,
délégué;

- pour les requérants

M. M. Beloff, QC,
conseil, M. P. Martyr, solicitor, Mme T. Foster, solicitor, M. K.D. Kerameus, professeur de droit à l'université d'Athènes,
conseillers.

La Cour a entendu en leur déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, MM. Georgakopoulos, Rozakis et Beloff.


EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

6. Les Raffineries grecques Stran ("Stran") sont une société actuellement en liquidation de biens et dont le siège se trouve à Athènes. M. Stratis Andreadis était son unique actionnaire.

A. La genèse de l'affaire

7. Aux termes d'un contrat passé le 22 juillet 1972 avec l'Etat grec alors sous régime militaire, M. Andreadis assuma l'obligation de monter une raffinerie de pétrole brut dans la région de Megara, près d'Athènes. La construction, dont le coût s'élèverait à 76 000 000 dollars américains, incomberait à une société à créer, les Raffineries grecques Stran, dont le requérant serait l'unique propriétaire. Tous les droits et obligations de ce dernier seraient automatiquement transférés à la société dès sa constitution.

Le gouvernement ratifia le contrat par le décret-loi n° 1211/1972, publié au Journal officiel du 26 juillet 1972; l'article 21 du contrat stipulait que l'Etat s'engageait à acquérir à Megara, jusqu'au 31 décembre 1972 au plus tard, un terrain propice à la construction de la raffinerie. Le 27 juillet 1972, l'Etat autorisa M. Andreadis, par un décret royal (n° 450) adopté en vertu du décret-loi n° 2687/1953 concernant "les investissements et la protection des capitaux étrangers", à importer 58 millions de dollars américains pour financer l'investissement.

8. Toutefois, le projet stagna car l'Etat ne s'acquitta pas de son obligation: le 28 novembre 1973, les ministres de l'Industrie et de l'Agriculture annoncèrent, lors d'une conférence de presse à Megara, la décision du gouvernement de rendre à leurs propriétaires les terrains qui étaient déjà expropriés en exécution de l'article 21 du contrat; le lendemain la police de Megara interdit la continuation des travaux.

En décembre 1973, Stran protesta auprès des autorités compétentes et sollicita la permission de continuer les travaux. Le 27 février 1974, elle assigna même l'Etat pour qu'il approuve l'acquisition des terrains litigieux mais ce dernier refusa de révoquer l'interdiction.

9. Après le rétablissement de la démocratie, le gouvernement estima le contrat et le décret n° 450 préjudiciables à l'économie nationale; il se prévalait de l'article 2 par. 5 de la loi n° 141/1975 sur la résiliation des contrats de faveur (kharistikes symvasseis) passés pendant le régime militaire (1967-1974). Promulguée en vertu d'une autorisation spéciale de la Constitution de 1975 (article 107 - paragraphe 24 ci-dessous), cette loi avait une valeur supralégislative.

Les intéressés ne donnèrent aucune suite à une proposition tendant à négocier la révision ou la résiliation du contrat, que le ministre de la Coordination leur avait adressée le 19 novembre 1975. Partant, un comité ministériel de l'Economie résilia ledit contrat le 14 octobre 1977. Les requérants n'engagèrent aucune action en justice contre cette décision.

B. La procédure devant le tribunal de grande instance d'Athènes

10. Avant la rupture du contrat, Stran avait engagé des dépenses relatives à la réalisation du projet; elle avait en particulier passé des contrats de fournitures et de prestations de services avec des entreprises grecques et étrangères et souscrit des emprunts.

Un litige s'éleva alors entre elle et l'Etat; le 10 novembre 1978, elle introduisit devant le tribunal de grande instance d'Athènes une action en déclaration (anagnoristiki agogi) visant à faire reconnaître que l'Etat devait lui rembourser à titre de dommage les sommes de 251 113 978 drachmes, 22 799 782 dollars américains et 877 466 francs français. Elle soutenait que l'Etat avait manqué à ses obligations pendant la durée du contrat, notamment en ayant interdit depuis le 27 novembre 1973 la poursuite des travaux d'installation de la raffinerie à Megara et en n'ayant pas procédé depuis le 9 février 1974 à l'expropriation des terrains dans ce but; elle réclamait en outre la restitution d'un chèque de cautionnement de 240 millions de drachmes qu'elle avait déposé au ministère de l'Economie nationale pour garantir la bonne exécution du contrat, ainsi que le remboursement de la commission et du timbre fiscal versés à la Banque du commerce.

De son côté, l'Etat contesta la compétence du tribunal. Il alléguait que le litige devait être soumis à l'arbitrage conformément à l'article 27 du contrat, dont les paragraphes pertinents se lisaient ainsi:

"1. Tout différend, litige ou désaccord entre l'Etat et le concessionnaire résultant de l'application du présent contrat et concernant l'exécution ou l'interprétation des dispositions de celui-ci, ainsi que sur la portée des droits et obligations qui en découlent sera résolu exclusivement par l'arbitrage de trois arbitres conformément à la procédure suivante; aucune autre convention d'arbitrage n'est requise.

(...)

9. La sentence arbitrale est définitive et irrévocable. Elle constitue un acte exécutoire ne nécessitant aucune autre mesure supplémentaire d'exécution ni aucune autre formalité. Elle n'est susceptible d'aucun recours judiciaire ordinaire ou extraordinaire, ni d'un recours en annulation devant les juridictions ordinaires ni d'opposition. La partie qui ne respectera pas les dispositions de la sentence sera tenue de réparer tout damnum emergens ou lucrum cessans causé à l'autre partie."

11. Par un jugement avant dire droit (n° 13910/1979) du 29 septembre 1979, le tribunal de grande instance d'Athènes réfuta la thèse principale de l'Etat: la clause d'arbitrage visait uniquement le règlement des litiges nés de l'exécution du contrat et non de l'inexécution par l'une des parties des obligations qui en découlaient; d'autre part, le comité ministériel de l'Economie avait résilié le contrat litigieux dans sa totalité (paragraphe 9 ci-dessus) et la clause d'arbitrage, faute d'existence autonome, se trouvait par conséquent annulée. Il repoussa ensuite l'argument de l'Etat selon lequel deux des conditions résolutoires contenues dans le contrat - le défaut du dépôt d'un chèque de cautionnement et du versement de la seconde partie du capital social - se trouvaient remplies. Enfin, il ordonna un complément d'instruction, en particulier l'examen de cinq témoins, afin de se prononcer sur l'existence et l'ampleur du préjudice allégué par Stran.

C. La procédure devant le tribunal arbitral

12. Le 12 juin 1980 l'Etat déposa une requête d'arbitrage et désigna son arbitre. Il invitait le tribunal arbitral à déclarer non fondées toutes les demandes en indemnisation introduites par Stran contre l'Etat devant le tribunal de grande instance d'Athènes (paragraphe 10 ci-dessus).

Dans son mémoire du 28 juin 1980, Stran - qui nomma comme arbitre un professeur de droit de l'université d'Athènes - alléguait à titre principal l'incompétence du tribunal arbitral et invitait ce dernier à surseoir à statuer jusqu'à ce que la procédure engagée le 10 novembre 1978 fût terminée; à titre subsidiaire et afin de réfuter les arguments de l'Etat quant au fond, elle renvoyait à ses observations devant le tribunal de grande instance d'Athènes.

13. Le tribunal arbitral se constitua le 3 juillet 1980; son président fut choisi d'un commun accord par les deux autres arbitres (article 27 par. 3 du contrat). Il rendit sa sentence le 27 février 1984.

Pour affirmer sa compétence, il estima que se trouvaient soumis à l'arbitrage les litiges survenant aussi en raison de la non-exécution complète du contrat, et pas seulement en raison de celle de dispositions isolées comme le soutenait l'Etat; la clause d'arbitrage de l'article 27 (paragraphe 10 ci-dessus) était formulée en des termes généraux et limpides, ce qui excluait de pareilles distinctions.

Quant au fond, le tribunal arbitral s'appuya sur le dossier soumis par les parties au tribunal de grande instance d'Athènes le 10 novembre 1978 (paragraphe 10 ci-dessus). Il admit un partage de responsabilité dans le dommage subi par la société, à concurrence de 70 % pour l'Etat et 30 % pour Stran; celle-ci avait en réalité commencé les travaux sur un terrain ayant fait l'objet d'une expropriation contestée et sans obtenir au préalable le permis de construire nécessaire. Il déclara donc fondées les réclamations de Stran pour un montant ne dépassant pas 116 273 442 drachmes, 16 054 165 dollars américains et 614 627 francs français, auquel il faudrait ajouter des intérêts moratoires au taux de 6 % à compter du 10 novembre 1978; toutefois, cette référence à l'attribution d'intérêts ne figurait pas dans le dispositif de la sentence. Enfin, le tribunal releva que l'Etat retenait illégalement le chèque de cautionnement (paragraphe 10 ci-dessus).

14. Le 24 juillet 1984, la société requérante demanda au tribunal de grande instance d'Athènes d'enjoindre à l'Etat de restituer le chèque en question, mais le tribunal décida de surseoir à statuer jusqu'à la fin de la procédure engagée le 10 novembre 1978 (paragraphe 10 ci-dessus).

D. Les recours contre la sentence arbitrale du 27 février 1984

1. Devant le tribunal de grande instance d'Athènes

15. Le 2 mai 1984, l'Etat avait saisi le tribunal de grande instance d'Athènes en demandant l'annulation de la sentence arbitrale du 27 février 1984.

Il soutenait que le tribunal arbitral manquait de la compétence pour connaître des litiges découlant du contrat litigieux ainsi que des prétentions financières de Stran à l'encontre de l'Etat. A titre subsidiaire, il alléguait que les contractants avaient entendu limiter la compétence du tribunal arbitral aux différends portant sur l'exécution ou l'interprétation des clauses du contrat, ainsi que sur l'étendue des droits et obligations qui en découleraient, écartant ainsi ceux concernant sa non-exécution totale; par conséquent, le litige incriminé devait relever des juridictions civiles ordinaires, comme l'avait d'ailleurs reconnu le jugement n° 13910/1979 du tribunal de grande instance d'Athènes. A titre plus subsidiaire encore, l'Etat déclarait que l'incompétence du tribunal arbitral se trouvait confirmée par le fait que les prétentions de Stran contre l'Etat avaient été prescrites après la résiliation du contrat. Enfin, il soulignait le caractère déclaratoire de l'action intentée par Stran le 10 novembre 1978 (paragraphe 10 ci-dessus).

16. Par un jugement (n° 5526/1985) du 21 avril 1985, le tribunal débouta l'Etat au motif que la décision résiliant le contrat n'avait pas rendu caduque la clause d'arbitrage; celle-ci continuait à produire ses effets à l'égard des contestations nées pendant la période de validité du contrat.

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