COUR DE CASSATION
Chambre commerciale
Audience publique du 19 juin 2001
Pourvoi n° 99-12.635
société anonyme Groupe Volkswagen France (dont l'ancienne dénomination est VAG France) ¢
M. Joseph Y
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Groupe Volkswagen France (dont l'ancienne dénomination est VAG France), dont le siège social est Villers Cotterets,
en cassation d'un arrêt rendu le 11 décembre 1998 par la cour d'appel de Paris (5ème chambre civile, section B), au profit
1°/ de M. Joseph Y, demeurant Foix,
2°/ de la société à responsabilité limitée d'Exploitation des Établissements Joseph Y, dont le siège social est Foix,
3°/ de Mme Jeanine X, demeurant Foix,
4°/ de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Méditerranée, dont le siège social est Foix,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 9 mai 2001, où étaient présents M. Dumas, président, Mme Mouillard, conseiller référendaire rapporteur, M. Leclercq, conseiller, M. Feuillard, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Mouillard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Defrenois et Lévis, avocat de la société Groupe Volkswagen France, de la SCP Lesourd, avocat de M. Y, de la société d'Exploitation des Établissements Joseph Y et de Mme X, M. Feuillard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, 11 décembre 1998) que la société VAG France, devenue SA Groupe Volkswagen France (société Volkswagen), a résilié le 25 octobre 1990, avec un préavis d'un an, le contrat de concession à durée indéterminée qui la liait depuis le 14 février 1990 à la société d'exploitation des établissements Joseph Marhuenda (société Marhuenda), concessionnaire de la marque depuis 1964 ; que cette dernière, ainsi que ses dirigeants, l'ont assignée en paiement de dommages et intérêts, en lui reprochant diverses fautes commises au cours du préavis ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches et sur le deuxième moyen, pris en ses six branches, les moyens étant réunis
Attendu que la société Volkswagen fait grief à l'arrêt d'avoir retenu sa responsabilité alors, selon les moyens
1°) qu'en se contentant d'affirmer, sans autre précision, que les modalités de diminution des encours "ne pouvaient que" déstabiliser la société Marhuenda et engendrer, en 1991, des pertes d'exploitation ayant rendu insuffisants les apports de capitaux opérés, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2°) que, si les juges du fond ne sont pas liés par l'avis des experts qu'ils ont commis, ils sont tenus, lorsqu'ils écartent celui-ci en totalité ou en partie, d'énoncer les motifs qui ont entraîné leur conviction ; que dans son rapport du 17 février 1997 (p. 66), l'expert judiciaire commis par la cour d'appel avait estimé que les pertes de la société Marhuenda constatées en 1991 "trouvaient leur source pour une part significative dans l'exploitation des exercices antérieurs (pertes latentes)" ; qu'en se bornant à affirmer, pour écarter l'avis de l'expert, que les modalités de diminution des encours "ne pouvaient que déstabiliser la société Marhuenda et engendrer en 1991 les importantes pertes d'exploitation qui ont rendu insuffisants les apports de capitaux opérés", sans énoncer aucunement les motifs qui ont entraîné sa conviction, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3°) que, dans ses conclusions régulièrement signifiées le 5 mai 1997 (p. 7), la société Volkswagen avait fait valoir que le rapport d'expertise confirmait sa position selon laquelle la société Marhuenda n'avait pas utilisé toutes les lignes de crédit autorisées, ni avant la décision de réduction progressive des encours, ni après celle-ci, en sorte qu'elle n'avait commis aucune faute de nature à engendrer sa responsabilité ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, de nature à établir que la réduction des encours par le concédant n'avait eu aucune conséquence sur la situation du concessionnaire, ce dernier n'ayant jamais utilisé l'intégralité des possibilités de crédit qui lui étaient offertes avant et après la décision du concédant, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4°) qu'après avoir constaté qu'au regard de la situation compromise du concessionnaire au 25 octobre 1990, le concédant pouvait légitimement exiger une restructuration des finances et de l'organisation de la concession, la cour d'appel a ensuite relevé, d'une part, que les pourparlers avaient été poursuivis à l'initiative du concessionnaire après le rejet par le concédant d'un premier plan de restructuration et, d'autre part, que dans les courriers adressés par le concédant au concessionnaire, le premier avait maintenu sa décision de résilier le contrat, y indiquant simplement ses exigences, qu'il restait à la disposition de ce dernier pour étudier ses propositions, que le plan présenté allait dans le bon sens, que ses propositions étaient étudiées avec le plus grand soin et lui a suggéré d'accentuer ses efforts ; que la cour d'appel a enfin retenu que le 11 juillet 1991, le concédant avait mis fin aux négociations au motif que les propositions de restructuration de la concession ne résolvaient pas les problèmes relatifs à la structure financière ; qu'il résultait de l'ensemble de ces constatations que le concédant n'avait pas agi avec une légèreté blâmable dans la conduite des négociations, ni laissé le concessionnaire espérer qu'il reviendrait sur sa décision de résilier le contrat de concession; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
5°) que la cour d'appel, qui a constaté, d'une part, que les pourparlers s'étaient poursuivis "à l'initiative de la société Marhuenda en vue d'une amélioration et d'une acceptation du plan de restructuration présenté" et, d'autre part, que la société VAG France avait "encouragé" la société Marhuenda "à présenter trois plans successifs de restructuration", a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en méconnaissance de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
6°) qu'après avoir relevé que si le concédant ne s'était pas opposé à la poursuite de négociations engagées par le concessionnaire en vue du renouvellement du contrat de concession, le premier avait "maintenu sa décision de résiliation par lettres des 16 janvier, 10 juin et 11 juillet 1991", la cour d'appel, qui a considéré que le concédant avait laissé espérer au concessionnaire, pendant près de neuf mois, qu'il reviendrait sur sa décision de résiliation, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 du Code civil ;
7°) qu'en se bornant à affirmer, sans autre précision, que le concédant avait encouragé le concessionnaire à présenter des plans de restructuration qu'il "savait devoir demeurer sans effet", la cour d'appel a privé sa décision de motif et méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
8°) que le concédant peut résilier le contrat de concession, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuel, sans donner de motif à sa décision ; qu'après avoir constaté que la société VAG France avait résilié le contrat de concession en respectant le délai de préavis d'un an qui y était prévu, la cour d'appel, qui a considéré que cette société avait abusé de son droit de rompre le contrat en le résiliant sans raison suffisante pour permettre au concessionnaire de sauver l'essentiel de ses actifs, a violé les dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil ;
9°) que le concédant peut résilier le contrat de concession sans donner de motifs, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuel ; que dès lors qu'il n'a pas encouragé le concessionnaire à réaliser des investissements, le concédant qui résilie le contrat n'a pas à permettre au concessionnaire de préserver ses actifs et n'a pas l'obligation de faciliter la reprise de la concession dans des conditions financières acceptables pour ce dernier ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu que, sous le couvert des griefs infondés de violation de la loi et défaut de motifs, les moyens ne tendent qu'à remettre en question l'appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause par les juges du fond, dont ils ont tiré la conviction que la société Volkswagen, qui avait laissé espérer à la société Marhuenda pendant près de neuf mois qu'elle reviendrait sur sa décision de résiliation en l'encourageant à présenter trois plans successifs de restructuration comportant des engagements financiers importants de ses dirigeants, qu'elle savait devoir demeurer sans effet, et qui connaissait les efforts accomplis pour parvenir à lui donner satisfaction en dépit de sa décision trop brutale de réduction des encours, avait eu un comportement déloyal en ne prolongeant pas la durée du préavis afin de permettre à la société Marhuenda de préserver ses actifs et de faciliter la reprise de la concession dans des conditions financières acceptables ; que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches
Attendu que la société Volkswagen fait aussi grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Marhuenda une certaine somme à titre de dommages et intérêts alors, selon le moyen
1°) que dans ses conclusions régulièrement signifiées le 5 mai 1997 (p. 8), la société Volkswagen faisait valoir, s'agissant du dommage invoqué par la société Marhuenda, que la vente du fonds de commerce pour la somme de 1 000 000 francs avait été réalisée dans de très bonnes conditions dès lors que ce fonds présentait une valeur négative ; que la cour d'appel, après avoir relevé que la société Marhuenda demandait réparation "d'une perte de 2 440 000 francs de la valeur du fonds de commerce", a considéré que le chiffrage proposé n'a pas été contesté ; qu'elle a ainsi dénaturé les conclusions d'appel de la société Volkswagen en méconnaissance des dispositions de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
2°) qu'en se contentant d'affirmer qu'elle "dispose d'éléments suffisants pour chiffrer à 2 200 000 francs la part du dommage subi par la société Marhuenda qui doit être mise à la charge de la société Volkswagen", sans préciser aucunement si cette somme représentait une perte de marge brute, des frais d'embauche et de licenciement ou une perte de la valeur du fonds de commerce, chefs de préjudices dont la société Marhuenda réclamait l'indemnisation, la cour d'appel a privé sa décision de motif en violation des dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, à qui il incombait d'évaluer le montant du préjudice, a statué par une décision motivée, exempte de dénaturation, en tenant compte des éléments en débats ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Groupe Volkswagen France aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Volkswagen et la condamne à payer à M. Y, à la société Marhuenda et à Mme X une somme de 20 000 francs ou 3 048,98 euros ;
Condamne la société Groupe Volkswagen France à une amende civile de 20 000 francs envers le Trésor public ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille un.