COUR DE CASSATION
Chambre sociale
Audience publique du 21 mars 2001
Pourvoi n° 99-60.516
société Marks et Spencer
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Fédération CGT du Commerce
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société Marks et Spencer, société anonyme, dont le siège est Paris , ayant un magasin Centre commercial Rosny II, dont le siège est Rosny-sous-Bois,
en cassation d'un jugement rendu le 8 octobre 1999 par le tribunal d'instance de Bobigny, au profit
1°/ de la Fédération CGT du Commerce, de la Distribution et des Services, dont le siège est Paris Montreuil ,
2°/ de MmeWW. Zennadi, déléguée syndicale centrale de la société Marks et Spencer, domiciliée à la Fédération CGT du Commerce, de la Distribution et des Services, Paris Montreuil cedex,
3°/ de la CSL, dont le siège est Paris,
4°/ de Mme U, déléguée syndicale centrale de la société Marks et Spencer, domiciliée CSL Paris,
5°/ du syndicat CGT-FO, dont le siège est Paris,
6°/ de MmeSS. Boullenger, déléguée syndicale centrale de la société Marks et Spencer, domiciliée CGT-FO Paris,
7°/ du syndicat CFTC, dont le siège est Paris,
8°/ de MmeQQ. Mangin, domiciliée CFTC Paris,
9°/ du syndicat CFDT, dont le siège est CFDT Pantin ,
10°/ de MmeOO. N, déléguée syndicale centrale de la société Marks et Spencer, domiciliée CFDT Pantin ,
défendeurs à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 31 janvier 2001, où étaient présents M. Boubli, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Bouret, conseiller rapporteur, M. Lanquetin, conseiller, Mme Andrich, conseiller référendaire, M. Kehrig, avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Bouret, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Marks et Spencer, les conclusions de M. Kehrig, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen
Attendu qu'il est fait grief au jugement attaqué (tribunal d'instance de Bobigny, 8 octobre 1999) d'avoir dit qu'en vue des élections des membres du comité d'établissement, les effectifs salariés à prendre en considération pour le magasin de Rosny-sous-Bois appartenant à la société Marks et Spencer devaient être appréciés à la date du 30 septembre 1999 et d'avoir, au vu du prétendu dépassement de l'effectif de 50 salariés à cette date, prescrit la mise en place d'un comité d'établissement légal aux lieu et place du comité d'établissement conventionnel, alors, selon le moyen, que la question de savoir si un établissement doit être doté d'un comité d'établissement légal aux lieu et place du comité conventionnel concerne la mise en place de l'institution et non son renouvellement ; qu'elle suppose en conséquence de rechercher si l'effectif de 50 salariés a été atteint sur une durée de 12 mois consécutifs ou non au cours des trois dernières années précédentes ; que c'est uniquement lorsqu'il s'agit d'apprécier l'effectif en vue de déterminer le nombre des représentants du personnel à élire, à l'occasion du renouvellement de l'institution, que les effectifs à prendre en compte doivent alors être appréciés à la date de l'élection ; qu'en l'espèce, la décision d'imposer à la société Marks et Spencer l'institution d'un comité d'établissement légal pour son établissement de Rosny-sous-Bois, jusqu'alors doté d'un comité d'établissement conventionnel, portait sur la mise en place et non sur le renouvellement de l'institution et impliquait de rechercher si l'effectif de l'établissement avait atteint ou dépassé 50 salariés sur une durée de 12 mois consécutifs ou non, au cours des trois dernières années précédentes ; qu'en considérant qu'il convenait de se placer à la seule date du 30 septembre 1999, date de l'élection, d'où il conclut que le seuil de 50 salariés était franchi, le juge d'instance a violé les articles L. 431-1 et L. 433-1 du Code du travail ;
Mais attendu que le tribunal d'instance, qui a constaté que la condition d'effectif était remplie pour l'élection des membres de l'institution, échappe aux critiques du moyen ;
Sur le deuxième moyen
Attendu qu'il est encore fait grief au jugement attaqué d'avoir, pour la détermination de l'effectif atteint par l'établissement de Rosny-sous-Bois de la société Marks et Spencer en vue de la mise en place d'un comité d'établissement légal, inclus dans le décompte de l'effectif le personnel employé par la société Elan, entreprise de nettoyage titulaire d'un marché de prestations de services, alors, selon le moyen
1°/ que seuls les salariés d'une entreprise extérieure "mis à disposition" de l'entreprise utilisatrice peuvent être pris en compte dans le calcul de l'effectif de ladite entreprise ; que la mise à disposition implique, indépendamment de toute qualification juridique, l'existence d'un lien de subordination unissant en fait lesdits salariés et l'entreprise d'accueil ; qu'ainsi la seule référence à la description figurant dans le marché de prestation de services, des tâches confiées par le donneur d'ouvrage à l'entreprise chargée du nettoyage et de l'entretien des locaux, ne saurait suffire à caractériser l'existence d'un tel lien de subordination entre le personnel de l'entreprise de nettoyage et le donneur d'ouvrage ; qu'en sedéterminant néanmoins en l'espèce au seul vu de l'énumération contractuelle des travaux confiés à la société Elan, entreprise de nettoyage, sans rechercher si le personnel affecté par cette entreprise au nettoyage et à l'entretien des locaux du magasin de Rosny-sous-Bois de la société Marks et Spencer se trouvait en fait, pour l'exécution de son travail, soumis aux ordres et aux instructions de salariés de la société Marks et Spencer, le jugement n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 431-2 du Code du travail ;
2°/ que le seul fait, pour le prestataire, d'exécuter le contrat de prestation de services conformément aux conditions contractuellement définies entre les parties signataires dudit contrat, n'était pas susceptible d'établir un quelconque lien de dépendance du personnel de nettoyage et d'entretien à l'égard de la société donneur d'ouvrage ; qu'ainsi, le fait d'imposer à son personnel le respect des conditions contractuelles du contrat de nettoyage et d'entretien ne permettait pas de caractériser l'existence d'une subordination de fait des salariés de la société Elan vis-à-vis de la société Marks et Spencer ; qu'en décidant le contraire au motif que la société Elan jouait un rôle "d'interface" entre ses propres salariés et la société donneur d'ouvrage, ce qui impliquait nécessairement que lesdits salariés n'étaient pas directement soumis, pour l'exécution de leurs tâches, aux ordres de la société de nettoyage, le tribunal a violé l'article L. 431-2 du Code du travail ;
3°/ que les documents contractuels (contrat de nettoyage et d'entretien et annexes) définissant précisément les conditions d'intervention de l'entreprise prestataire au sein des locaux de la société Marks et Spencer, constituait le fruit d'une négociation entre les deux sociétés contractantes ; qu'en considérant néanmoins que la minutie des tâches décrites était révélatrice de l'absence complète d'autonomie de l'entreprise extérieure par rapport au donneur d'ouvrage, le jugement, qui a méconnu l'origine contractuelle des relations entre les parties, a violé les articles 1134 et 1787 du Code civil et L. 431-2 du Code du travail
4°/ que la société faisait valoir dans ses conclusions qu'il résultait de l'annexe 2 au contrat, relative à la composition de l'équipe de nettoyage intervenant au sein du magasin de Rosny-sous-Bois, que les salariés étaient placés sous la direction d'un chef d'équipe, salarié de la société Elan ; qu'en affirmant néanmoins que l'équipe de nettoyage obéissait à des instructions de la société Marks et Spencer, sans préciser sur quel élément reposait une telle affirmation ni rechercher quel était le rôle exact joué par le chef d'équipe de la société prestataire de service à l'égard du personnel de cette société, le Tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 431-2 du Code du travail ;
5°/ qu'au vu des horaires respectifs de l'équipe de nettoyage (de 8 H à 11 H) et du personnel du magasin (ouvrant à partir de 10 heures) la société indiquait dans ses conclusions que le personnel de la société Elan n'accomplissait pas son activité sous la subordination de dirigeants du magasin ; qu'en se bornant à affirmer que les opérations de nettoyage sont accomplies au moment le moins gênant pour les autres salariés et pour la fréquentation commerciale, sans rechercher si compte tenu de ses horaires d'intervention, le personnel d'entretien se trouvait soumis dans l'exécution de ses tâches à des salariés de la société Marks et Spencer, le jugement, qui a déduit un motif inopérant, n'a pas là encore justifié légalement sa décision au regard de l'article L. 431-2 du Code du travail ;
6°/ que méconnaît le principe du contradictoire le juge qui retient d'office à l'encontre d'une partie le défaut de production d'un document dont le versement aux débats n'aà aucun moment été réclamé à cette dernière ; qu'en l'espèce, le tribunal d'instance a retenu comme valant preuve de la subordination des salariés de la société Elan à l'égard de la société Marks et Spencer le fait que le document intitulé "Manuel de nettoyage des magasins" n'ait pas été fourni par ladite société ; qu'en statuant ainsi, sans que le versement aux débats de ce document n'ait à aucun moment été réclamé par les parties ou par le juge, le tribunal d'instance a violé les articles 16 et 142 et suivants du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir exactement rappelé que selon l'article L. 431-2 du Code du travail, les salariés mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure, y compris les travailleurs temporaires, sont pris en compte dans l'effectif de l'entreprise au prorata du temps de présence dans l'entreprise au cours des 12 mois précédents, sans autres conditions, le tribunal d'instance a, à bon droit, calculé l'effectif en prenant en compte le personnel mis à disposition par la société Elan ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de cassation
Attendu qu'il est encore fait grief au jugement attaqué d'avoir, pour la détermination de l'effectif atteint par l'établissement de Rosny-sous-Bois de la société Marks et Spencer en vue de la mise en place d'un comité d'établissement légal, inclus dans le décompte de l'effectif le directeur du magasin, M. O, alors, selon le moyen, que pour tout établissement reconnu comme distinct, le chef d'établissement est membre de plein droit du comité et le préside ; qu'étant à ce titre investi de la fonction de représenter l'employeur dans ses relations avec la représentation salariale, il ne saurait être pris en compte dans l'effectif de l'établissement en vue de l'organisation des opérations électorales ; qu'en décidant le contraire faute de délégation expresse de pouvoir conférée par l'employeur à M. O, quand ce dernier assurait la représentation du chef d'entreprise en vertu d'un pouvoir propre inhérent à sa qualité même de chef d'établissement du magasin de Rosny-sous-Bois, le jugement a violé les articles L. 431-2 et L. 435-2 du Code du travail ;
Mais attendu que le tribunal d'instance a retenu que l'effectif de l'établissement était égal à 52,60 personnes ; d'où il suit que la décision se trouve légalement justifiée, dès lors que l'effectif était en tout état de cause supérieur à 50 salariés ; que le moyen est inopérant ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Marks et Spencer ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mars deux mille un.