COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
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ARRÊT DU : 14 MARS 2024
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 21/05930 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MMNL
S.A. [12]
c/
URSSAF AQUITAINE
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 septembre 2021 (R.G. n°16/03683) par le Pole social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d'appel du 29 octobre 2021.
APPELANTE :
S.A. [12] venant aux droits de la SAS [14], agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 5]
représentée par Me Vincent DELAGE de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE substitué par Me BIRGY Victor
INTIMÉE :
URSSAF AQUITAINE prisez en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]
représentée par Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'
article 945-1 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue le 15 janvier 2024, en audience publique, devant Madame Marie-Paule Menu, présidente chargée d'instruire l'affaire et madame Valérie Collet, conseillère, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente
Madame Sophie Lésineau, conseillère
Madame Valérie Collet, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'
article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile🏛.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
EXPOSE DU LITIGE
La sas [14] a fait l'objet d'un contrôle par un inspecteur du recouvrement de l'Urssaf Aquitaine portant sur l'application de la législation sociale sur la période courant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014.
Le 28 juillet 2015, l'Urssaf Aquitaine a notifié une lettre d'observations à la société [14] chiffrant un rappel total de cotisations sociales de 885.160 euros, portant sur 23 chefs de redressement, réparti sur 73 établissements, et formulé 3 observations pour l'avenir.
La société [14] a fait valoir ses remarques dans un courrier du 18 septembre 2015 et versé la somme de 295 284 euros le 25 septembre 2015 à titre conservatoire.
L'Urssaf Aquitaine a répondu aux observations de la société dans un courrier du 12 octobre 2015.
La société [14] a reçu 73 mises en demeure:
Mises en demeure émises le 24 novembre 2015 :
n°0051339911 - 33. 514 euros - [Localité 18]
n°0051339785 - 6 441 euros - [Localité 41]
n°0051339958 - 243 euros - [Localité 38]
n°0051339877 - 682 euros - [Localité 17]
n°0051339981 - 1 466 euros - [Localité 34]
n°0051339843 - 531 euros - [Localité 3]
n°0051340013 - 319 euros - [Localité 61]
n°0051339598 - 1 279 euros - [Localité 53]
n°0051339931 - 991 euros - [Localité 42]
Mises en demeure émises le 25 novembre 2015 :
n°0051342490 - 1147 euros - [Localité 60]
n°0051342761 - 2 334 euros - [Localité 26]
n°0051342672 - 1518 euros - [Localité 28]
n°0051342689 - 1 883 euros - [Localité 57]
n°0051342522 - 1 944 euros - [Localité 23]
n°0051342600 - 1 985 euros - [Localité 8]
n°0051342617 - 4 540 euros - [Localité 59]
n°0051342782 - 1 771 euros - [Localité 15]
n°0051342738 - 1 800 euros - [Localité 25]
n°0051342748 - 434 euros - [Localité 9]
n°0051342453 - 462 euros - [Localité 40]
n°0051342469 - 3 525 euros - [Localité 29]
n°0051342499 - 3 520 euros - [Localité 35]
n°0051342805 - 416 euros - [Localité 50]
n°0051342661 - 843 euros - [Localité 37]
n°0051342462 - 1109 euros - [Localité 2]
n°0051342640 - 12. 626 euros - [Localité 22]
n°0051342580 - 426 euros - [Localité 16]
n°0051342446 - 759 euros - [Localité 31]
Mises en demeure émises le 26 novembre 2015 :
n°0051343585 - 4 663 euros - [Localité 30]
n°0051343613 - 61. 737 euros - [Localité 33]
n°0051343439 - 23. 513 euros - [Localité 24]
n°0051343271 - 17. 175 euros - [Localité 7]
n°0051343685 - 23. 159 euros - [Localité 44]
n°0051343289 - 22. 408 euros - [Localité 6]
n°0051343628 - 5 951 euros - [Localité 33]
n°0051343311 - 31. 062 euros - [Localité 55]
n°0051343577 - 8 591 euros - [Localité 33]
n°0051343556 - 14. 458 euros - [Localité 45]
n°0051343690 - 1 996 euros - [Localité 44]
n°0051343563 - 698 euros - [Localité 45]
n°0051343671 - 2 060 euros - [Localité 47]
n°0051343322 - 1 133 euros - [Localité 55]
n°0051343294 - 1 347 euros - [Localité 6]
n°0051343498 - 758 euros - [Localité 46]
n°0051343280 - 2 703 euros - [Localité 7]
n°0051343453 - 3 224 euros - [Localité 24]
n°0051343582 - 3 395 euros - [Localité 33]
n°0051343591 - 2 157 euros - [Localité 30]
Mises en demeure émises le 27 novembre 2015 :
n°0051344438 - 177. 399 euros - [Localité 33]
n°0051344447 - 67. 760 euros - [Localité 33]
n°0051344350 - 96. 999 euros - [Localité 20]
n°0051344266 - 43. 621 euros - [Localité 56]
n°0051344176 - 37.777 euros - [Localité 36]
n°0051344319 - 42. 532 euros - [Localité 10]
n°0051344202 - 30. 288 euros - [Localité 58]
n°0051344397 - 50. 958 euros - [Localité 49]
n°0051344001 - 32. 182 euros - [Localité 19]
n°0051344043 - 669 euros - [Localité 32]
n°0051344415 - 3 436 euros - [Localité 49]
n°0051344282 - 3 647 euros - [Localité 48]
n°0051344108 - 3 912 euros - [Localité 27]
n°0051344333 - 1 121 euros - [Localité 10]
n°0051344144 - 1 729 euros - [Localité 51]
n°0051344371 - 10. 419 euros - [Localité 20]
n°0051344241 - 15. 041 euros - [Localité 4]
n°0051344034 - 18. 897 euros - Le [Localité 32]
n°0051344182 - 2 464 euros - [Localité 36]
n°0051344007 - 5 625 euros - [Localité 19]
n°0051344158 - 21. 933 euros - [Localité 52]
n°0051344249 - 6 221 euros - [Localité 4]
n°0051344209 - 3 603 euros - [Localité 58]
Mise en demeure émise le 30 novembre 2015 :
n°0051344709 - 224 euros - [Localité 39].
La société [14] les a contestées devant la commission de recours amiable le 18 décembre 2015.
Par 73 décisions du 26 juillet 2016, la commission de recours amiable a rejeté l'ensemble des contestations.
La société [14] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde les 25 août et18 octobre 2016.
Par jugement du 29 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- ordonné la jonction des recours;
- débouté la société de l'ensemble de ses demandes;
- validé les mises en demeure n°0051339785, n°0051339958, n°0051339877, n°0051339981, n°0051339843, n°0051340013, n°0051339598, n°0051339931, n°0051342450, n°0051342761, n°0051342672, n°0051342689, n°0051342522, n°0051342600, n°0051342617, n°0051342782, n°0051342738, n°0051342748, n°0051342453, n°0051342469, n°0051342499, n°0051342805, n°0051342661, n°0051342462, n°0051342640, n°0051342580, n°0051342446, n°0051344209, n°0051343585, n°0051343613, n°0051343439, n°0051343271, n°0051343685, n°0051343289, n°0051343628, n°0051343311, n°0051343577, n°0051343556, n°0051343690, n°0051343563, n°0051343671, n°0051343322, n°0051343294, n°0051343498, n°0051343280, n°0051343453, n°0051343582, n°0051343591, n°0051344438, n°0051344447, n°0051344350, n°0051344266, n°0051344176, n°0051344319, n°0051344202, n°0051344397, n°0051344001, n°0051344043, n°0051344415, n°0051344282, n°0051344108, n°0051344333, n°0051344144, n°0051344371, n°0051344241, n°0051344034, n°0051344182, n°0051344007, n°0051344158, n°0051344249, n°0051344709;
- constaté le paiement par la société de la somme de 295. 284 euros le 25 septembre 2015;
- déclaré acquise à l'Urssaf Aquitaine la somme de 295. 284 euros;
- condamné la société [14] à payer à l'Urssaf la somme restant due de 725. 376 euros;
- condamné la société [14] aux entiers dépens;
- condamné la société [14] à verser la somme de 2 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
La société [12], venant aux droits de la société [14], a relevé appel total de ce jugement par une déclaration du 29 octobre 2021.
L'affaire a été fixée à l'audience du 27 septembre 2023, renvoyée à celle du 15 janvier 2024.
Sur l'audience, reprenant ses dernières conclusions, notifiées le 22 septembre 2023, la société [12] demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté la société de l'ensemble de ses demandes,
- validé les mises en demeure n°0051339785, n°0051339958, n°0051339877, n°0051339981, n°0051339843, n°0051340013, n°0051339598, n°0051339931, n°0051342450, n°0051342761, n°0051342672, n°0051342689, n°0051342522, n°0051342600, n°0051342617, n°0051342782, n°0051342738, n°0051342748, n°0051342453, n°0051342469, n°0051342499, n°0051342805, n°0051342661, n°0051342462, n°0051342640, n°0051342580, n°0051342446, n°0051344209, n°0051343585, n°0051343613, n°0051343439, n°0051343271, n°0051343685, n°0051343289, n°0051343628, n°0051343311, n°0051343577, n°0051343556, n°0051343690, n°0051343563, n°0051343671, n°0051343322, n°0051343294, n°0051343498, n°0051343280, n°0051343453, n°0051343582, n°0051343591, n°0051344438, n°0051344447, n°0051344350, n°0051344266, n°0051344176, n°0051344319, n°0051344202, n°0051344397, n°0051344001, n°0051344043, n°0051344415, n°0051344282, n°0051344108, n°0051344333, n°0051344144, n°0051344371, n°0051344241, n°0051344034, n°0051344182, n°0051344007, n°0051344158, n°0051344249, n°0051344709 émises par l'Urssaf Aquitaine,
- constaté le paiement par la société de la somme de 295. 284 euros le 25 septembre 2015,
- déclaré la somme de 295. 284 euros acquise à l'Urssaf Aquitaine,
- condamné la société à payer à l'Urssaf Aquitaine la somme restant due de 725. 376 euros,
- condamné la société aux entiers dépens,
- condamné la société à verser à l'Urssaf Aquitaine la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- prononcer la nullité du contrôle, des mises en demeure et des redressements litigieux,
- condamner l'Urssaf Aquitaine à lui rembourser le règlement partiel intervenu le 25 septembre 2015 pour un montant de 295. 284 euros,
- la condamner à lui payer les intérêts légaux à compter du règlement partiel le 25 septembre 2015 pour un montant de 295.284 euros et en ordonner la capitalisation;
A titre subsidiaire,
- constater le caractère infondé des différents chefs de redressement;
En tout état de cause,
- annuler les décisions implicites et explicites de rejet de la commission de recours amiable de l'Urssaf du 26 juillet 2016, des 73 mises en demeures des 24, 25, 26, 27 et 30 novembre 2015 et, plus généralement, le redressement entrepris,
- condamner l'Urssaf Aquitaine à verser 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les éventuels dépens,
- la débouter de l'ensemble de ses demandes.
Sur l'audience, reprenant ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 septembre 2023, l'Urssaf Aquitaine demande à la cour de :
- la recevoir en ses demandes et l'en déclarer bien fondée;
- statuer ce que de droit sur l'appel de la société [12] et la validation des chefs de redressement frais professionnels, limites d'exonération, et CSG/CRDS - déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels : principe et évaluation;
- confirmer le jugement pour le surplus et débouter la société [21] de ses demandes;
- si la cour procédait à l'annulation des chefs de redressement précités, condamner la société [12] au paiement de la somme de 452.191 euros au titre du solde des mises en demeure;
- condamner la société [12] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
MOTIFS DE LA DECISION
La cour relève à titre liminaire que les dispositions du jugement déféré ordonnant la jonction des différentes instances ne sont pas discutées en l'état des conclusions de la société [12], de sorte qu'il y a lieu de confirmer ce chef du jugement qui était parfaitement justifié, dans le cadre d'une bonne administration de la justice.
I - Sur la nullité des opérations de contrôle
La société [12] soutient à titre principal la nullité de la procédure de contrôle et fait valoir à ce titre que les opérations de contrôle, prévues selon l'avis préalable pour commencer le 3 février 2015, ont en réalité débuté le 28 janvier 2015 lorsque les inspecteurs du recouvrement se sont présentés au siège sis à [Localité 33] et ont commencé à interroger les responsables en charge du traitement de la paie et du paiement des cotisations sur les pratiques de l'entreprise en matière de cotisations, la privant ainsi de la possibilité d'organiser utilement sa défense en étant assistée de son avocat ; qu' une telle visite en amont du contrôle n'est prévue ni par le code de la sécurité sociale ni par la Charte du cotisant.
L'Urssaf Aquitaine fait valoir en réponse qu'elle a le 15 décembre 2014 adressé deux courriers à la société, le premier émanant des inspecteurs du recouvrement consistant en l'avis de contrôle de l'
article R.243-59 du code de la sécurité sociale🏛, le second adressé par le responsable du département inspection du recouvrement relativement à la réunion préalable mise en place dans le cadre du dispositif Très Grandes Entreprises pour améliorer la qualité du service et perturber le moins possible l'organisation desdites entreprises à l'occasion des opérations de contrôle; qu'au-delà du peu de crédibilité à accorder aux témoignages de deux cadres de la société encore tenus dans un lien de subordination et établis plus de six années après la réunion querellée, la société n'établit pas en quoi les réponses aux questions prétendûment posées ont contribué au redressement; qu'il ne ressort d'aucune des mentions figurant dans la lettre d'observations que des informations tenant aux indemnités de repas et à l'avantage en nature AUV ont été recueillies à cette occasion.
Sur ce,
L'article R.243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue du
décret n° 2013-1107 du 3 décembre 2013🏛, applicable à la date du contrôle litigieux, dispose :
' Tout contrôle effectué en application de l'article L. 243-7 est précédé de l'envoi par l'organisme chargé du recouvrement des cotisations d'un avis adressé à l'employeur ou au travailleur indépendant par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception, sauf dans le cas où le contrôle est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l'
article L. 8221-1 du code du travail🏛. Cet avis fait état de l'existence d'un document intitulé " Charte du cotisant contrôlé " présentant au cotisant la procédure de contrôle et les droits dont il dispose pendant son déroulement et à son issue, tels qu'ils sont définis par le présent code. Il précise l'adresse électronique où ce document, dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, est consultable, et indique qu'il est adressé au cotisant sur sa demande.
L'employeur ou le travailleur indépendant a le droit pendant le contrôle de se faire assister du conseil de son choix. Il est fait mention de ce droit dans l'avis prévu à l'alinéa précédent.
Les employeurs, personnes privées ou publiques, et les travailleurs indépendants sont tenus de présenter aux agents chargés du contrôle mentionnés à l'article L. 243-7, dénommés inspecteurs du recouvrement, tout document et de permettre l'accès à tout support d'information qui leur sont demandés par ces agents comme nécessaires à l'exercice du contrôle.
Ces agents peuvent interroger les personnes rémunérées notamment pour connaître leurs nom et adresse ainsi que la nature des activités exercées et le montant des rémunérations y afférentes, y compris les avantages en nature. (...)'.
Il résulte de ces dispositions que tous les contrôles sur place par l'Urssaf de l'application des dispositions sociales, à l'exception de ceux effectués dans le but de rechercher des infractions de travail dissimulé, doivent être précédés de l'envoi d'un avis de contrôle.
En l'espèce, l'avis de contrôle de contrôle exigé par l'article R.243-59 du code de la sécurité sociale a bien été adressé le 15 décembre 2014 à la société [14]; il précise que Messieurs [S] et [D], inspecteurs du recouvrement, se présenteront le mardi 3 février 2015 à [Localité 33] afin de procéder au contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, de l'assurance chômage et de la garantie des salaires AGS à compter du 1er janvier 2011, la vérification pouvant porter sur la totalité des établissements de l'entreprise.
Le même jour, l'Urssaf Aquitaine a également adressé à la société [14] un courrier distinct, mentionnant comme objet 'Réunion d'ouverture' , par lequel M. [Aa], responsable du département inspection du recouvrement, annonce une première rencontre fixée 28 janvier 2015, dont il est précisé qu'elle est « préalable à l'intervention » et qu'elle a pour objet la présentation des deux inspecteurs du recouvrement en charge de la vérification, ce par M. [Aa] lui-même et de son adjoint ainsi que M. [T], inspecteur coordonnateur. Le signataire de ce courrier ajoute : « La méthodologie du contrôle vous sera exposée ainsi que le déroulement des opérations et les modalités d'intervention.»
En ce qui concerne le déroulement de cette réunion du 28 janvier 2015, l'appelante produit les attestations de M. [Ab], directeur des ressources humaines, et de M. [Ac], responsable ressources humaines.
Le premier écrit :' Le 28 janvier 2015 (...) Ils nous ont demandé de nous positionner sur le sujet de l'échantillonnage concernant les frais et les allégements Fillon. Ils nous ont également demandé si notre position sur l'AUV avait changé. Ils nous ont indiqué que les sociétés filles de [13] seraient également contrôlées sur les mêmes sujets. Ils nous ont également indiqué qu'ils avaient la DADS 2014 par la CARSAT. Au travers des sujets abordés et du souvenir de nos discussions, il me semble que, dès cette réunion, nous étions entrés dans le vif du sujet, notamment sur l'AUV qui est un des sujets sensibles entre leur position et la nôtre. À la fin de la réunion nous avons abordé la logistique (ordinateur, bureau, badge, café...) ce qui aurait dû être l'essentiel de cette entrevue.'
Le second témoigne :
' Dans le cadre du contrôle de [14] et ses filiales par l'Urssaf Aquitaine qui a démarré le 3 février 2015, j'ai été amené à participer à un premier rendez-vous préalable à l'intervention en date du 28 janvier 2015. Ce rendez-vous était l'occasion de nous présenter les inspecteurs allant procéder à la vérification. (...) Nous avons échangé sur le fait qu'une fusion des sociétés [11]/[54]/[43] avait eu lieu au 01/01/2013 et qu'un accord d'harmonisation était en place depuis le 01/01/2014 dans notre société. Les inspecteurs nous ont interrogés sur certaines de nos pratiques et notamment celle qui avait donné lieu à régularisation lors du dernier contrôle. Dans ce cadre nous avons abordé le sujet des véhicules mis à disposition par l'AUV. Les inspecteurs nous ont demandé si les changements de gestion étaient intervenus durant la période vérifiée. Nous avons répondu que sur ces périodes différents systèmes coexistent ([11] AUV/[54] IK). Il nous a été demandé quel système subsistait après l'harmonisation. Nous avons expliqué que c'est le système AUV qui serait appliqué chez [14] à l'avenir.
De même nous avons abordé le sujet des frais professionnels. Il nous a été demandé si nos pratiques avaient changé en la matière. Nous avons répondu qu'à compter du 0101/ 2014, date de mise en place de l'accord d'harmonisation, nous avions changé nos pratiques. Monsieur [T] nous a demandé des précisions. Nous avons expliqué que jusqu'en 2013, nos paniers étaient totalement exonérés mais qu'à compter du 0101/ 2014, ils n'étaient plus exonérés que dans la limite de 8,70 euros.
De même en ce qui concerne les grands déplacements nous avons été questionnés sur l'évolution de nos pratiques. Nous avons précisé qu'à compter du 0101/ 2014 leur justification avait été améliorée par la mise en place de codes partages dédiés. Nous avons pris l'exemple d'une semaine de grand déplacement et détaillé comment elle était maintenant indemnisée. (...)
Nous avons ensuite abordé la liste des matériels et documents à tenir à leur disposition le 3 février 2015, leurs jours de présence ( mardi à jeudi) et le calendrier prévisonnel de leur présence en nos locaux.
Cette réunion d'ouverture a permis de mieux connaître les inspecteurs du recouvrement appelés à intervenir chez nous.
Au-delà de cette présentation, nous avons précisément évoqué le fond du redressement et notamment deux sujets qui donnent habituellement lieu à des redressements de la part de l'Urssaf : l'AUV et les frais professionnels.
La présence de M. [T] qui avait déjà procédé à un contrôle de notre société n'y est sûrement pas étrangère.Nous avons été néanmoins surpris de répondre à de telles questions lors de la réunion d'ouverture. Habituellement ces sujets sont abordés à partir du premier jour du contrôle'.
Il en ressort que M. [Ab] et M. [X] ont été interrogés sur les pratiques de l'entreprise en matière de frais professionnels et pour le remboursement des kilomètres effectués pour son compte par les salariés avec leurs véhicules personnels.
Ces témoignages sont clairs et précis, la date à laquelle ils ont été recueillis et le lien de subordination existant entre leurs auteurs et l'appelante étant insuffisants pour en entamer la force probante; l'Urssaf Aquitaine ne soutient d'ailleurs pas avoir engagé une action pénale pour faux et/ou usage de faux. Ils ne sont pas utilement contredits par l'attestation, au demeurant non conforme aux prescriptions de l'
article 202 du code de procédure civile🏛, établie par M. [T] le 29 août 2023. Ils complètent enfin les notes manuscrites prises lors de la réunion du 28 janvier 2015 produites par la société [12].
La procédure de contrôle, réglementée par les
articles L. 243-7 et suivants et R.243-59 et suivants du code de la sécurité sociale🏛, définit les pouvoirs des agents de contrôle mais également les droits et garanties des cotisants. En particulier, l'impératif de l'avis préalable à la mise en oeuvre du contrôle a notamment pour but de porter à la connaissance du redevable la date de la première visite de l'inspecteur, ce qui permet à l'entreprise de préparer sa défense et de choisir éventuellement un conseil qui l'assistera tout au long des opérations de contrôle dans le cadre du principe du contradictoire.
En interrogeant les cadres de la société [14] en charge des ressources humaines sur plusieurs éléments relatifs à la définition des frais professionnels et avantages bénéficiant aux salariés de l'entreprise, les agents de l'Urssaf Aquitaine ont engagé les opérations de contrôle, qui n'avaient pourtant été annoncées qu'à compter du 3 février suivant, dès le 28 janvier 2015.
Il en résulte que, incorrectement informée de la nature de ce rendez-vous du 28 janvier 2015, la société n'a pu organiser sa défense utilement, cela en violation du respect du contradictoire.
L'irrégularité de la procédure entraîne l'annulation de l'ensemble des mises en demeure et des redressements notifiés. Le jugement est infirmé dans ses dispositions qui valident les mises en demeure, qui déclarent la somme de 295.284 euros déjà versée acquise à l'Urssaf Aquitaine, qui condamnent la société [12] au paiement de la somme de 725.376 euros encore due.
La société [11] est, par l'effet de l'annulation des mises en demeure, fondée à solliciter le remboursement de la somme de 295.284 euros qu'elle a versée à titre conservatoire, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière.
II - Sur les frais du procès
L'Urssaf Aquitaine, qui succombe, doit les dépens de première instance, le jugement déféré étant infirmé de ce chef, et les dépens d'appel et sera en conséquence déboutée de la demande qu'elle a formée au titre de ses frais irrépétibles.
Il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la société [12] la charge de ses frais irrépétibles. Elle est en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré dans ses dispositions qui ordonnent la jonction des procédures;
Infirme le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions;
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Prononce la nullité de la procédure de contrôle et des redressements subséquents;
Condamne l'Urssaf à restituer à la société [12] la somme de 295.284 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts échus dûs pour au moins une année entière ;
Condamne l'Urssaf Aquitaine aux dépens de première instance et d'appel;
Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Paule Menu, présidente, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu