COUR DE CASSATION
Chambre sociale
Audience publique du 27 février 2001
Pourvoi n° 98-44.761
Mme Annie ...
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société Cit Alcatel
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par Mme Annie ..., demeurant Perros Guirec,
en cassation d'un arrêt rendu le 15 mai 1998 par la cour d'appel d'Angers (3e Chambre), au profit de la société Cit Alcatel, société anonyme, dont le siège est Paris,
défenderesse à la cassation ;
La société Cit Alcatel a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 9 janvier 2001, où étaient présents M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Poisot, conseiller référendaire rapporteur, M. Brissier, conseiller, Mmes ..., ..., conseillers référendaires, Mme Barrairon, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Poisot, conseiller référendaire, les observations de Me Le ..., avocat de la société Cit Alcatel, les conclusions de Mme Barrairon, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident réunis
Attendu que la société CIT Alcatel ayant décidé, à la fin de l'année 1986, de procéder au licenciement collectif d'une partie du personnel de son établissement de Guingamp, a proposé un plan social prévoyant notamment le versement d'une indemnité d'aide à la réorientation pour tout départ volontaire, option que devaient retenir 523 salariés sur 708 ; que la question de savoir si cette indemnité était ou non soumise à l'impôt sur le revenu ayant été posée, la direction a été amenée à donner sur ce point certaines informations au cours d'une réunion du comité d'établissement des 5 et 6 novembre 1986 ; que les salariés concernés s'étant vu ultérieurement imposer sur cette indemnité, certains d'entre eux, dont Mme Annie ..., ont alors saisi la juridiction prud'homale d'une action en dommages-intérêts en soutenant que la société CIT Alcatel leur avait donné des informations erronées ;
Attendu que l'arrêt attaqué (Angers, 15 mai 1998), rendu sur renvoi après cassation, a condamné la société à payer à chacun des intéressés la moitié de leur préjudice en retenant, d'une part, la faute de l'employeur qui avait manqué à son obligation de renseignement et d'autre part, le choix des salariés d'acquiescer à la décision d'imposition ;
Attendu que la salariée et l'employeur font grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors que, selon la salariée, d'une part, le seul "refus d'entreprendre sans frais une procédure auprès de la juridiction administrative", dont l'issue, selon les propres constatations de l'arrêt, était d'ailleurs aléatoire puisque "la jurisprudence en la matière était fluctuante ainsi que chacune des parties tend à l'admettre", ne saurait constituer une faute engageant même partiellement la responsabilité des salariés; que le préjudice dont les salariés demandaient réparation avait pour seule cause la faute commise par la société Alcatel dans son obligation de renseignement de bonne foi, peu important la validité des redressements ; qu'en considérant que les salariés avaient commis une faute en n'agissant pas en justice la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil, alors, d'autre part, que, la faculté d'ester ou non en justice relève d'une liberté fondamentale qui ne saurait être source de responsabilité, sous réserve de l'abus dans son exercice, tel que prévu par l'article 32-1 du nouveau Code de procédure civile ; qu'en reprochant aux salariés de ne pas avoir introduit une instance en contestation des redressements fiscaux qui leur étaient adressés, la cour d'appel a violé l'article 30 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, selon l'employeur ayant constaté que dès qu'elle avait été avisée du redressement fiscal frappant les salariés, la société Alcatel Cit avait proposé à ces derniers d'engager une procédure devant les juridictions administratives, dont elle s'engageait à supporter les frais, afin d'obtenir la mise à néant de ce redressement et que les salariés, qui ont accepté cette proposition, ont obtenu la décharge intégrale du complément d'impôts injustifié qui leur était réclamé sur la prime perçue dans le cadre du plan social au titre de la négociation de leur départ, la cour d'appel aurait dû en déduire que le refus des salariés d'entreprendre sans frais une procédure auprès de la juridiction administrative était à l'origine de l'intégralité de leur préjudice ; qu'en jugeant que le refus des salariés n'avait contribué que partiellement à leur préjudice, elle n'a pas déduit de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient et violé l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu, d'une part, que l'employeur aurait dû informer les salariés afin qu'ils soient à même de négocier leur départ en pleine connaissance de cause des risques de redressement que l'administration des impôts lui avait signalés, d'autre part, que le refus des salariés d'entreprendre une action en annulation de l'imposition devant la juridiction administrative a contribué à la réalisation de leur préjudice ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, elle a pu en déduire, d'une part, que la faute de l'employeur était en relation de cause à effet avec le préjudice, d'autre part, que l'attitude passive des salariés exonérait partiellement l'employeur de sa responsabilité ; que les moyens ne sont pas fondés ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident ;
Laisse à chaque partie la charge respective de ses dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille un.