Jurisprudence : Cass. soc., 13-03-2024, n° 22-18.758, FS-B, Cassation

Cass. soc., 13-03-2024, n° 22-18.758, FS-B, Cassation

A05042U9

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:SO00291

Identifiant Legifrance : JURITEXT000049291017

Référence

Cass. soc., 13-03-2024, n° 22-18.758, FS-B, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105552733-cass-soc-13032024-n-2218758-fsb-cassation
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Abstract

Il résulte des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail que l'employeur peut licencier le salarié s'il justifie du refus par celui-ci d'un emploi proposé dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 du code du travail, conforme aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite. Viole ces dispositions la cour d'appel qui juge dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude d'un salarié qui avait refusé un poste à mi-temps, conforme aux préconisations du médecin du travail, proposé par l'employeur au motif qu'il entraînait, par la baisse de rémunération qu'il générait, une modification de son contrat de travail que le salarié pouvait légitimement refuser


SOC.

ZB1


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 mars 2024


Cassation partielle


M. SOMMER, président


Arrêt n° 291 FS-B

Pourvoi n° U 22-18.758


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 MARS 2024


La société Judis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 22-18.758 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [Aa] [H], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Judis, de Me Haas, avocat de Mme [H], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 février 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Ab Ac, A, Palle, conseillers, Mmes Ad, Pecqueur, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 11 mai 2022), Mme [H] a été engagée en qualité d'employée commerciale par la société Judis le 21 septembre 1998.

2. En arrêt de travail pour maladie continu à compter du 15 mars 2016, la salariée a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail à l'issue d'un examen médical du 4 janvier 2019, le médecin préconisant un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges. Le 4 février 2019, le médecin du travail a confirmé son avis dans les mêmes termes.

3. Après consultation des délégués du personnel le 7 février suivant, l'employeur a transmis une proposition de reclassement à la salariée qu'elle a refusée. L'intéressée a été licenciée pour inaptitude le 14 mai 2019.


Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement de la salariée sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛, et d'ordonner le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage versées dans la limite de six mois d'indemnités, alors « que l'obligation de reclassement du salarié inapte est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 du code du travail🏛, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué que Mme [Ae] a été déclarée, par le médecin du travail, ''inapte à son poste de travail et à tout poste à temps complet. Possibilité de reclassement à un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges'' et que les délégués du personnel ont validé un reclassement sur un poste de caissière à mi-temps ; que le médecin du travail a donné son accord de principe à cette proposition ; qu'en reprochant à la SAS Judis de n'avoir pas exécuté son obligation de reclassement, qui était pourtant réputée satisfaite par la proposition d'un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, prenant en compte l'avis du médecin du travail, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail🏛. »


Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La salariée conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau, l'employeur ne s'étant pas prévalu de la présomption de l'article L. 1226-2-1 du code du travail devant les juges du fond.

6. La cour d'appel ayant fait application de ce texte, le moyen, né de l'arrêt, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail, le premier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017🏛 :

7. Selon le premier de ces textes, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

8. Selon le second, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

9. Il résulte de ces textes que l'employeur peut licencier le salarié s'il justifie du refus par celui-ci d'un emploi proposé dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 du code du travail, conforme aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite.

10. Pour dire que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement et que le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt relève que le médecin du travail a déclaré la salariée « inapte au poste et à tout poste à temps complet. Possibilité de reclassement à un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges ». Il ajoute que l'employeur a proposé à la salariée le 8 février 2019 un poste de caissière à mi-temps, qu'il l'a informée le 26 février de l'absence d'objection du médecin du travail sur la proposition de reclassement et l'a invitée à reprendre son poste immédiatement, en précisant la durée hebdomadaire de travail de 17h30 et sa répartition de celle-ci entre les jours de la semaine. Il relève ensuite que le médecin du travail avait donné son accord à cette proposition le 4 mars 2019 et que l'employeur a, par lettre du même jour, informé la salariée de cet accord et maintenu sa proposition de reclassement en prétendant à l'absence de baisse de rémunération en raison du maintien du taux horaire.

11. L'arrêt retient enfin que la salariée a refusé cette proposition en raison d'une baisse de rémunération.

12. La cour d'appel en a déduit que la proposition de poste d'une durée de 17h30 avec maintien du taux horaire initial implique de facto une diminution substantielle de la rémunération de l'intéressée, engagée à temps complet, et que la salariée pouvait par conséquent légitimement refuser le poste proposé, entraînant, par la baisse de rémunération qu'il générait, une modification de son contrat de travail.

13. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que l'employeur avait proposé à la salariée un poste conforme aux préconisations du médecin du travail et que celle-ci l'avait refusé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation des chefs de dispositif disant le licenciement de la salariée sans cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur à lui verser diverses sommes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse n'emporte pas cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Judis à payer à Mme [Ae] les sommes de 4 563,75 euros à titre de rappel de salaire, 456,37 euros au titre des congés payés afférents, 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 11 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-quatre.

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