La société Stealth Software a interjeté appel par acte du 16 mars 2023.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 15 juin 2023, la société Stealth Software demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnations du Crédit Lyonnais à lui verser les sommes de 1.194.457 euros au titre de sa perte d'activité, 49.290 euros HT au titre des frais de recrutement et 50.000 euros au titre de son préjudice d'image et en ce qu'il l'a condamnée à rembourser au Crédit Lyonnais la somme de 5.000 euros accordée par le juge des référés à titre provisionnel outre l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
statuant à nouveau,
- condamner le Crédit Lyonnais à lui verser une somme de 1.194.457 euros en indemnisation du préjudice subi au titre de sa perte d'activité,
- condamner le Crédit Lyonnais à lui verser une somme de 49.290 euros HT au titre des frais de recrutement,
- condamner le Crédit Lyonnais à lui verser une somme de 50.000 euros au titre de son préjudice d'image,
- dire n'y avoir lieu à s'opposer à l'exécution provisoire,
- condamner le Crédit Lyonnais à lui verser une somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 21 septembre 2023, la société Crédit Lyonnais demande à la cour de :
- confirmer le jugement attaqué,
- débouter la société Stealth Software de toutes ses demandes,
- ajoutant au jugement, condamner la société Stealth Software à lui payer 5.000 euros supplémentaires au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens d'appel avec application de l'
article 699 du même code🏛.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 2 janvier 2024, les débats étant fixés à l'audience du 11 janvier 2024.
Conformément aux dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la faute de la banque
La société Stealth Software fait valoir que la banque a commis une faute en procédant à la suspension de l'accès en ligne de son compte puis à la clôture de celui-ci, en ne respectant pas les dispositions contractuelles et légales applicables à la situation, en ce que le motif invoqué ne relève pas de ceux permettant la clôture du compte et en ce que la banque n'a pas respecté le préavis de deux mois ; qu'elle a bloqué des virements et refusé de lui accorder un prêt garanti par l'Etat alors que la Banque de France, saisie pour médiation, avait indiqué que rien ne s'opposait à l'octroi de ce crédit.
La banque fait valoir que :
- la suspension de l'accès en ligne au compte était justifié par le refus de la société Stealth Software de lui communiquer l'identité de son dirigeant et un spécimen de sa signature, en contradiction avec l'article A 1.3 des dispositions générales de banque ;
- la clôture du compte a été prononcée avec un préavis d'un mois, conformément aux dispositions de la convention de compte, seules applicables à l'exclusion de l'
article L. 312-1-1, V, du code monétaire et financier🏛 ;
- postérieurement à l'ordonnance de référé, elle n'a pas refusé ou omis d'exécuter des ordres régulièrement passés par la société Stealth Software ;
- alors qu'elle avait déjà manifesté son intention de mettre fin aux relations commerciales avec la société Stealth Software, celle-ci a demandé un prêt garanti par l'Etat qu'elle-même n'avait aucune obligation d'accorder.
Sur ce,
Selon l'
article 1103 du code civil🏛, dans sa rédaction issue de l'
ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016🏛 applicable au litige, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont fait.
Et selon l'
article 1104 du même code🏛, dans sa rédaction issue de la même ordonnance, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
En l'espèce, la société Stealth Softwear a conclu une convention de compte courant avec la société Crédit Lyonnais le 9 juin 2020, laquelle renvoie aux Dispositions générales de banque - Clientèle des professionnels et des petites entreprises.
Aux termes de ces dispositions générales, l'article A. 1.3 dispose, au titre des modalités de souscription et conditions d'accès à la convention de compte courant, que 'le cas échéant, le client doit veiller à fournir à la banque toutes information utiles au fonctionnement de son compte, comme par exemple : les modifications de statuts, les changements de dirigeants ou de personnes habilitées, de siège social ou d'adresse de correspondance. (...) Concernant les personnes morales, la banque est tenue d'identifier la ou les personne(s) physique(s) détentrice(s) du capital ou exerçant ou pouvoir de contrôle sur la société et de vérifier ces éléments d'identification sur présentation de tout document écrit probant.'
L'article A. 5.1 relatif à la clôture de la convention de compte courant prévoit que 'la convention de compte courant est conclue pour une durée indéterminée. Elle peut être résiliée à tout moment, soit à l'initiative du client sans préavis, soit moyennant préavis d'un mois à l'initiative de la banque, sauf irrégularité grave ou désaccord entre les parties exposant LCL à un risque légal ou financier.'
Et l'article C. 2.6.3, régissant le service spécifique de banque en ligne 'LCL Access', prévoit, au titre de la suspension de ce service : 'LCL peut suspendre l'utilisation du service LCL Access dans un des cas suivants :
- impossibilité de prélever le prix pour quelque cause que ce soit ;
- existence d'un incident bancaire affectant un des comptes du client, notamment blocage ;
- avis à tiers détenteur ou saisie-attribution ;
- procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire du client.
Dans le cadre de son obligation de vigilance et en vue de protéger le client contre toute opération frauduleuse, LCL se réserve le droit de suspendre l'accès au service LCL Access afin de procéder aux vérifications complémentaires d'usage.'
Par un e-mail du 20 mai 2021, la banque indiquait à la société Stealth Software qu'elle avait été informée d'un changement de dirigeant et sollicitait en conséquence, la transmission d'un extrait Kbis ainsi qu'une copie de la pièce d'identité du nouveau dirigeant.
En l'absence de réponse, la banque a réitéré sa demande par e-mail du 23 juin 2021.
Or, par e-mail du lendemain, M. [Aa] agissant pour la société Stealth Software répondait 'Comme vous l'indiquez, ces éléments sont disponibles au travers du greffe'.
Outre qu'une telle réponse n'est que partiellement exacte, pour ce qui concerne l'extrait Kbis, elle relève d'une parfaite désinvolture à l'égard de la banque compte tenu de la légitimité de cette dernière à connaître l'identité du dirigeant de la société et à réclamer à son client les documents nécessaires sans avoir à procéder elle-même à des recherches, mais relève également d'une faute contractuelle au regard des dispositions de l'article 1.3 de la Convention d'ouverture de compte courant, précitées.
La banque a renouvelé sa demande de transmission le 2 novembre 2021, en vain.
Toutefois, la banque a procédé le 5 novembre 2021, sans information ni mise en demeure préalable, à la suspension de l'accès aux services bancaires en ligne, alors que la société Stealth Software ne se trouvait dans aucune des situations prévues aux Dispositions générales précitées relatives à la suspension du service LCL Access et que, le 3 novembre 2021, un rendez-vous avait été convenu pour le 'mercredi suivant', soit le 10 novembre, pour notamment 'faire le point sur les documents de mise à jour de Stealth Software',
Ce faisant, la banque a commis un abus, caractérisant une faute contractuelle à l'égard de la société Stealth Software.
S'agissant de la clôture du compte, en revanche, la banque pouvait mettre fin à son concours bancaire avec un préavis d'un mois, comme prévu à l'article 5.1 précité des conditions générales. Aucune faute de sa part ne peut donc être retenue à ce titre.
De même, la banque n'est pas fautive d'avoir refusé d'accorder à la société Stealth Software un prêt garanti par l'Etat, étant observé de surcroît que la demande avait été formée après que la banque ait notifié à la société Stealth Software la clôture de son compte à l'issue du délai de préavis.
Sur les préjudices et le lien de causalité
La société Stealth Software fait valoir que le blocage intempestif de son compte par la banque a provoqué la perte totale de ses cinq salariés dont le versement du salaire avait été bloqué, l'impossibilité de satisfaire les demandes de ses clients, et la perte d'un nouveau marché.
La banque fait valoir que :
- il n'y a pas de lien de causalité entre la suspension de l'accès en ligne au compte et le paiement par la société Stealth Software des salaires d'octobre 2021, étant précisé que ceux de novembre et décembre 2021 ont été payés respectivement le 6 décembre 2021 et le 4 janvier 2022, et que la société disposait d'un chéquier lui permettant d'effectuer les paiements dès lors que le compte n'était pas bloqué, seule la faculté d'ordonner des paiements en ligne étant temporairement suspendue ; les lettres de démission produites tardivement ne sont pas sincères et relèvent d'une mise en scène ;
- le fait d'avoir notifié la clôture du compte avec un préavis d'un mois n'a causé aucun préjudice à la société Stealth Software dès lors que cette mesure a été suspendue par l'ordonnance de référé et qu'ultérieurement, la clôture a été notifiée avec un délai de deux mois revendiqué par celle-ci ;
- les préjudices chiffrés ne sont pas fondés.
Sur ce,
Les trois lettres de démission produites par la société Stealth Software datent du 10 novembre 2021 alors que le blocage du compte a été constaté par M. [Aa] 'dans le courant du week-end', soit les 6 et 7 novembre 2021, et signalé par e-mail à la banque le 8 novembre suivant.
Or, le compte de la société Stealth Software n'était pas bloqué, seul son accès en ligne était suspendu, de sorte qu'elle n'était pas empêchée de payer ses salariés. Comme le fait justement observer la banque, la société Stealth Software pouvait régler les salaires de ses employés à l'aide de chèques, étant observé que les relevés bancaires de la société établissent que celle-ci disposait de ce moyen de paiement.
De même, la société Stealth Software ne saurait soutenir, dans ses écritures, que ses salariés 'n'ont pas admis de ne pouvoir être rémunérés pendant deux mois consécutifs' au titre des salaires d'octobre et novembre 2021, alors que la suspension de l'accès en ligne au compte date, au plus tôt, du vendredi 5 novembre 2021 et que les salariés ont présenté leur lettre de démission dès le 10 novembre suivant, de sorte que seul leur salaire d'octobre 2021 a pu être retardé dans le paiement. Il résulte d'ailleurs du relevé bancaire produit par la société Stealth Software en pièce n° 60, que les salaires de novembre 2021 ont été payés le 6 décembre suivant.
Au vu de ces éléments, aucun lien de causalité n'est établi entre la démission soudaine des salariés et la suspension de l'accès au compte bancaire.
Il s'en déduit que le préjudice tiré de l'incapacité à produire du fait de l'absence de salariés, de même que le préjudice tiré de la perte de la convention pluri-annuelle signée avec Open-DSI, celui tiré de la perte d'activité sur l'année 2022, et celui tiré des frais de recrutement sont, dès lors, dénués du moindre lien de causalité avec la faute de la banque.
Quant au préjudice d'image, la société Stealth Software ne développe aucunement cette demande qui ne s'avère nullement fondée, dans son principe comme dans son quantum.
En conséquence, en l'absence de tout préjudice de la société Stealth Software en lien avec la suspension de l'accès en ligne à son compte bancaire, il convient de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société Stealth Software succombant à l'instance, elle sera condamnée aux dépens d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Stealth Software sera déboutée de sa demande formée à ce titre et condamnée à payer à la société Crédit Lyonnais la somme de 3.000 euros.