Jurisprudence : TA Paris, du 11-03-2024, n° 2216712



TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PARIS
N° 2216712/4-2
___________
M. AaA AbA
___________
Mme A...
Présidente-rapporteure
___________
Mme F...
Rapporteure publique
___________
Audience du 26 février 2024
Décision du 11 mars 2024
___________
335-02
C
RéPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Paris
(4ème section – 2ème chambre)

Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 4 août 2022, 26 mai et 19
octobre 2023,
M. AaA AbA, représenté par Me Simon, demande au tribunal, dans le dernier
état de ses écritures :
1°) d'annuler les arrêtés du 29 juillet 2022 par lesquels le ministre de
l'intérieur et des
outre-mer lui a, d'une part, retiré son titre de séjour et l'a expulsé du
territoire français et a, d'autre
part, fixé le pays à destination duquel il sera éloigné ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer, sous astreinte de
150 euros par
jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze
jours et, dans cette attente,
de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit
jours à compter de la
décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'état la somme de 5 000 euros à lui verser au
titre des
dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant retrait de titre de séjour et expulsion
du territoire
national :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen sérieux de sa situation personnelle ;
- le ministre de l'intérieur a méconnu l'article L. 631-3 du code de l'entrée
et du séjour
des étrangers et du droit d'asile en prononçant son expulsion dès lors que les
faits retenus à l'appui
de cette décision ne peuvent être qualifiés de comportements constituant des
actes de provocation
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explicites et délibérés à la discrimination, à la haine ou à la violence
contre une personne
déterminée ou un groupe de personnes ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ; il n'a pas répudié la nationalité
française ; les
vidéos « Bâtir un couple qui dure » et « Bien choisir son épouse » datent de
2015 et non de 2021 ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne
de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision porte une atteinte disproportionnée à ses libertés de religion
et d'expression,
protégées par les articles 9 et 10 de la convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme
et des libertés fondamentales ;
- elle porte une atteinte manifestement disproportionnée à sa liberté
d'expression,
protégée par les articles 10, 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen et 19 du pacte
international relatif aux droits civils et politiques ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- la décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant
retrait de titre de
séjour et expulsion du territoire national ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention
européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une intervention en demande, enregistrée le 22 mai 2023, la Ligue des
droits de
l'Homme (LDH), le Groupe d'information et de soutien des immigré·e·s (GISTI),
le syndicat des
avocats de France et l'association Avocats pour la défense des droits des
étrangers, représentés par
Me Ogier, demandent au tribunal de faire droit aux conclusions de M. AbA pour
les mêmes motifs
que ceux exposés par le requérant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2023, le ministre de
l'intérieur et des
outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 20 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée,
en dernier
lieu, au 15 novembre 2023 à 12 heures.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés
fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., présidente-rapporteure,
- les conclusions de Mme F..., rapporteure publique,
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- et les observations de Me Simon, représentant M. AbA et celles de Me
Ogier, pour la
Ligue des droits de l'homme, le Groupe d'information et de soutien des
immigré·e·s, le syndicat
des avocats de France et l'association Avocats pour la défense des droits des
étrangers.
Considérant ce qui suit :
1. M. AaA AbA est né le … … … à Denain (Nord) et réside régulièrement
en France
depuis sa naissance. Il est de nationalité marocaine et a bénéficié d'une
carte de résident à compter
de 1982, renouvelée jusqu'à l'expiration de son dernier titre de séjour le 2
juin 2022. Il est marié
avec une ressortissante marocaine, qui est en situation régulière sur le
territoire français depuis
1992, et a cinq enfants majeurs de nationalité française. Le 29 juillet 2022,
le ministre de l'intérieur
et des outre-mer a pris à son encontre un arrêté d'expulsion du territoire
français, ayant pour effet
de lui retirer tout titre de séjour, et un arrêté distinct fixant le Maroc
comme pays de destination.
Par la présente requête, M. AbA demande l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur les interventions en demande :
2. Eu égard à l'objet du litige, la Ligue des droits de l'homme, le Groupe
d'information
et de soutien des immigré.es, le syndicat des avocats de France et
l'association Avocats pour la
défense des droits des étrangers justifient d'un intérêt suffisant pour
intervenir au soutien des
conclusions de M. Ab.... Par suite, leurs interventions sont recevables.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté portant retrait de titre de séjour et expulsion du
territoire
national :
3. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et
l'administration : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être
informées sans délai
des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les
concernent. / ( ) ».
Aux termes de l'article L. 211-5 du même code🏛 : « La motivation exigée par le
présent chapitre
doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait
qui constituent le
fondement de la décision ».
4. L'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait
sur lesquelles
il se fonde et est ainsi suffisamment motivé.
5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur et
des outre-mer
n'aurait pas procédé à un examen de la situation particulière de M. AbA alors
même que le ministre
a commis des erreurs sur la date de certaines vidéos sur lesquelles il se
fonde et a indiqué, à tort,
que l'intéressé avait répudié la nationalité française.
6. En vertu de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des
étrangers en France,
« l'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa
présence en France
constitue une menace grave pour l'ordre public ». Elle doit cependant prendre
en compte les
conditions propres aux étrangers mentionnés à l'article L. 631-3 du même code.
Ainsi, aux termes
de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile : « Ne peut
faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature
à porter atteinte aux
intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère
terroriste, ou constituant des
actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou
à la violence contre
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une personne déterminée ou un groupe de personnes : ( ) 2° L'étranger qui
réside régulièrement
en France depuis plus de vingt ans ; / ( ) ».
7. Il ressort des termes de l'arrêté d'expulsion que le ministre de
l'intérieur et des outremer a décidé d'expulser M. AbA en raison d'un
comportement constitutif d'actes de provocation
explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre
une personne déterminée
ou un groupe de personnes de nature à justifier son expulsion. Il a retenu,
d'une part, des propos
antisémites, d'autre part, « une forte hostilité à l'égard des valeurs
constitutives des sociétés
occidentales, encourageant son auditoire au séparatisme », notamment par la
promotion de la
discrimination envers les femmes et leur soumission aux hommes, ainsi que des
propos attisant
« les antagonismes entre l'islam radical et les ennemis de l'islam » et des
discours encourageant à
la violence et à la haine, remettant en cause la réalité des attentats commis
par l'organisation
terroriste Daech ou affichant une sympathie pour Ac Ad Ae. Il a pris
en compte, pour
établir l'importance et la permanence du risque de la présence en France de Ab.
KA, la large
diffusion de ses propos sur les réseaux sociaux au travers d'un compte
Facebook et d'une chaîne
Youtube, auxquels un public important est abonné et qui regroupent les
interventions qu'il a faites
en France depuis plusieurs années.
8. Aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que les
faits relatés
par les « notes blanches » produites par le ministre de l'intérieur, qui ont
été versées au débat
contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient
susceptibles d'être
pris en considération par le juge administratif.
9. Si le ministre retient, dans la décision d'expulsion attaquée, que M. AbA
aurait affiché
publiquement sa sympathie avec Ac Ad Ae et aurait remis en question
la réalité des
attentats terroristes revendiqués par l'organisation terroriste Daech, il
n'établit pas par les pièces
produites le bien-fondé de telles affirmations. Si le ministre fait, par
ailleurs, grief à l'intéressé
d'avoir volontairement « répudié » la nationalité française à l'âge de 18 ans
alors qu'il est né en
France, il ressort des pièces du dossier que sa renonciation à la nationalité
française a été décidée
par son père alors qu'il était mineur et que, devenu majeur, il a, en vain,
sollicité en 1984 et en
1990 sa naturalisation.
10. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier et notamment de
la note des
services de renseignement, précise et circonstanciée, produite par le ministre
de l'intérieur et des
outre-mer que M. AbA a reconnu avoir tenu, lors d'une conférence intitulée «
la Palestine, histoire
d'une injustice » en 2003, des propos antisémites, accusant notamment le
peuple juif « d'être
ingrat, qui a besoin d'être rappelé à l'ordre », et accusant les juifs « de
comploter contre l'islam
et les musulmans », tout en minimisant ces propos et en les expliquant, à la
suite de la saisine du
ministre de l'intérieur, par des débordements liés à sa participation à un
grand nombre de
conférences. En 2005, l'intéressé, lors d'une conférence organisée à Chelles,
a évoqué « le complot
entre Hitler et les juifs d'Europe dans les années 30, afin d'installer des
juifs en Palestine ».
Postérieurement à ces conférences, l'intéressé a tourné une vidéo en 2012 dans
laquelle il indique
que « les rabbins, les religieux, les curés, les évêques exploitent les
petites gens en leur prenant
leur fric, en abusant de leurs femmes. Ceux qui ont le pouvoir, quel que soit
le pouvoir, ont toujours
déclaré en majorité la guerre, à qui ? Au prophète ! ». S'il soutient n'avoir
pu visionner cette
vidéo, il n'en conteste pas le contenu. Il a également, le 24 septembre 2014,
lors d'un débat à la
maison des associations de Douai, auquel participaient également un
représentant de l'Eglise
catholique et le procureur de la République, évoqué le complot concerté entre
les juifs et les
Américains pour profiter du pétrole des pays arabes, ce qui a suscité une vive
réaction du procureur
de la République. En se bornant à indiquer que les propos ne sont pas
rapportés par d'autres
sources, M. AbA ne conteste pas avoir été présent à cette manifestation et
avoir abordé ce sujet dans
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les termes relevés par la note blanche, précise et circonstanciée. Dans une
vidéo « La vérité sur la
Palestine » de 2014, l'intéressé développe l'idée d'un complot juif à
l'origine de la fin de l'empire
ottoman. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur a pu légalement
considérer que les propos
tenus par M. AbA étaient antisémites et constitutifs d'actes de provocation
explicite et délibérée à
la discrimination, à la haine ou à la violence contre les juifs. Les excuses
et regrets de M. AbA
exprimés en 2022 ne peuvent être pris en compte dès lors qu'ils sont
postérieurs à l'arrêté contesté,
étant observé, au surplus, que les vidéos en litige sont toujours accessibles,
l'intéressé n'établissant
ni même n'alléguant avoir fait des démarches pour les supprimer.
11. D'autre part, il ressort des interventions de M. AbA, diffusées dans des
vidéos réalisées
entre 2013 et 2022, toujours disponibles sur internet, et lors de conférences
en 2018 et 2019 aux
mosquées de Rosny-sous-Bois et de Vigneux-sur-Seine, que l'intéressé développe
un discours
systématique sur l'infériorité de la femme, qui doit être placée sous
l'autorité de son époux et
réduite au rôle de femme au foyer. Ainsi, dans la vidéo « les relations entre
jeunes filles et jeunes
hommes » tournée en 2013, l'intéressé indique : « les filles, elles sont trop
bonnes, trop gentilles
donc un peu connes », puis plus loin « vous les femmes, habillez-vous deux
fois plus que les
hommes [pour se protéger des hommes] bourrins » ; dans une vidéo de 2022
intitulée « comment
rendre son épouse heureuse et épanouie », l'intéressé rappelle que « si [la
femme] n'a pas sa dose
de belles paroles, elle meurt. C'est comme une plante. Si tu ne l'arroses pas
en temps et en heure,
elle ne peut pas rester resplendissante » ; dans la vidéo « Bien choisir son
épouse » de 2013, M.Ab
KA précise : « notre société occidentale a tout fait pour que la femme ne
joue pas son rôle premier,
fondamental et essentiel qui est d'être une épouse et une mère », propos qu'il
réitère lors d'une
conférence à Vigneux-sur-Seine en 2019 ; dans la vidéo « La femme et les
tâches ménagères en
Islam », l'intéressé indique que « la place de la femme est dans la cuisine (
) je ne vois pas
pourquoi vous êtes allergique à la cuisine. ( ) c'est évident que c'est la
femme qui est plus souvent
dans la cuisine que l'homme. » et dans la vidéo « Bâtir un couple qui dure »
de 2015, que « la
famille c'est comme des wagons avec une locomotive, la locomotive c'est
l'homme, le 1er wagon
après la locomotive, c'est la femme ». De tels propos, que
M. AbA ne conteste pas avoir tenus mais qu'il qualifie, pour tenter d'en
minimiser la portée, de
simplement conservateurs et communément partagés, théorisant la soumission de
la femme à
l'homme et impliquant que les femmes ne puissent bénéficier des mêmes libertés
ou des mêmes
droits que les hommes, méconnaissent au détriment des femmes le principe
constitutionnel
d'égalité. Dès lors, M. AbA n'est pas fondé à soutenir que le ministre a
commis une erreur
d'appréciation en considérant que ces propos sont constitutifs de provocations
explicites et
délibérées à la discrimination envers les femmes.
12. Enfin, M. AbA tient, au moins depuis 2012, lors de conférences ou
prêches, des propos
virulents contre les non-musulmans. Ainsi, lors d'un prêche sur l'islamophobie
à la mosquée de
Dunkerque, en 2012, l'intéressé a indiqué que « les pseudo-attentats [du 11
septembre 2001 et
celui commis à Londres] ont pour objectif de faire peur aux non-musulmans pour
qu'ils aient peur
de l'islam et des musulmans ». Dans des vidéos de 2019, « Musulman, à la vie,
à la mort » et
« combien coûte le ticket d'entrée au paradis ? », M. AbA développe la thèse
selon laquelle la
République française, islamophobe, aurait le dessein à long terme de faire
disparaître les
musulmans. Il soutient ainsi que des dispositions légales, par exemple celles
interdisant le port de
signes religieux à l'école, réglementant l'abattage des animaux dans le cadre
de l'exercice des
pratiques religieuses ou encore instaurant l'instruction obligatoire pour les
enfants de 3 à 5 ans,
ont été adoptées pour combattre et acculturer les musulmans. Il accuse dès
2012, « ceux qui ont le
pouvoir, quel que soit le pouvoir, [d'avoir] toujours déclaré en majorité la
guerre, à qui ? Au
prophète ! » ainsi que le mentionne la note des services de renseignement,
précise et
circonstanciée, non contestée sur ce point. Il s'adresse à son auditoire dans
les vidéos intitulées
« Islam et l'apostasie », « les non-musulmans sont-ils tous des mécréants ? »,
« Mise en garde
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contre Af B et Al-Qaradawi » en utilisant du vocabulaire emprunté
au registre
militaire : « les faux convertis sont des traîtres ayant pour but de
déstabiliser l'Islam, des collabos
qui méritent le peloton d'exécution et des balles dans la tête » ; «il faut
combattre les nonmusulmans et musulmans qui font la guerre à l'Islam » ; «
[toute personne s'alliant avec les
ennemis de l'Islam est] un collabo, un traître » ; « on doit couper la tête
[aux Américains,
Israéliens, Français, Anglais ou encore aux musulmans chiites] avant qu'ils
nous coupent la tête ».
En outre, la note blanche, précise et circonstanciée, non contestée sur ce
point, relève qu'en février
2015, M. AbA a, au cours d'une conférence à Metz, indiqué que les atteintes
islamophobes doivent
être suivies de réponse par la violence si nécessaire, la France voyant les
musulmans comme des
moutons et en tuant une dizaine par jour. Le ministre de l'intérieur a pu,
ainsi, légalement
considérer que l'ensemble de ces propos étaient de nature à provoquer de
manière explicite et
délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne
ou un groupe de
personnes à raison de leur non-appartenance à la religion musulmane.
13. Les comportements rappelés aux points 10, 11 et 12, compte-tenu de leur
caractère
assumé et répété sur plusieurs années, constituent des actes de provocation
explicite et délibérée à
la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de
personnes au sens
de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile et sont, à eux
seuls, de nature à fonder la décision d'expulsion de M. Ab.... La circonstance
que les propos en
litige aient été tenus publiquement sans qu'ils aient donné lieu à poursuite
ou condamnation pénale
est, contrairement à ce que soutient M. AbA, sans incidence sur l'exercice,
par l'autorité
administrative compétente, de son pouvoir d'apprécier si sa présence en France
constitue une
menace grave pour l'ordre public. L'intéressé ne peut, en outre, utilement
faire valoir qu'il n'avait
pas la possibilité de supprimer les vidéos en litige alors surtout qu'il
n'établit ni même n'allègue
avoir effectué des démarches pour qu'il soit procédé à leur retrait.
14. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de
l'homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au
respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance ( ) ».
15. S'il appartient à l'autorité d'expulsion de concilier, sous le contrôle
du juge, les
exigences de la protection de la sûreté de l'Etat et de la sécurité publique
avec la liberté
fondamentale que constitue le droit à mener une vie familiale normale, cette
dernière se trouve
déjà garantie par la protection particulière dont M. AbA bénéficie au titre
des dispositions de
l'article L. 631-3 précité, en tant qu'étranger résidant régulièrement en
France, qui n'autorisent
son expulsion qu'en raison de comportements dont la particulière gravité – qui
est constituée en
l'espèce comme il a été dit au point 13 – justifie son éloignement durable du
territoire français
alors même que ses attaches y sont fortes. Si M. AbA fait valoir qu'il est né
en France, qu'il n'a
jamais vécu au Maroc et que tous ses enfants et petits-enfants, de nationalité
française, résident en
France, il est constant que les enfants de l'intéressé sont majeurs, eux-mêmes
parents, sans que
soit démontrée l'existence d'éléments supplémentaires de dépendance, autres
que les liens affectifs
normaux. Par ailleurs, l'intéressé n'établit pas ne pas avoir d'attaches
familiales au Maroc, où il
s'est marié en 1984 et passait des vacances, ni que son épouse qui possède la
nationalité de ce pays
ne pourrait pas, si tel est son choix, l'y rejoindre. Dans ces conditions,
compte tenu de la nature et
de la gravité des faits reprochés à M. AbA et, nonobstant la circonstance
qu'il a toujours vécu en
France, l'arrêté attaqué n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée
et familiale une atteinte
excédant ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public.
16. Aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de
l'homme et des libertés fondamentales : « 1 - Toute personne a droit à la
liberté de pensée, de
conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de
religion ou de conviction,
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ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction
individuellement ou collectivement,
en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et
l'accomplissement des rites. /
2 - La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire
l'objet d'autres restrictions
que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans
une société
démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé
ou de la morale
publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ». Aux termes
de l'article 10 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales : « 1.
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté
d'opinion et la liberté
de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse
y avoir ingérence
d'autorités publiques et sans considération de frontière. / / ».
17. Aux termes de l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du
citoyen :
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que
leur manifestation ne
trouble pas l'ordre public établi par la Loi ». Aux termes de son article 11 :
« La libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux
de l'homme : tout
citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l'abus de cette liberté
dans les cas déterminés par la loi ».
18. Aux termes de l'article 19 du pacte international relatif aux droits
civils et politiques :
« ( ) 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend
la liberté de
rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute
espèce, sans
considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou
artistique, ou par tout autre
moyen de son choix. / 3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du
présent article
comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en
conséquence être soumis
à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la
loi et qui sont
nécessaires : a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ; / b) A
la sauvegarde de la
sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité
publiques. »
19. En prenant l'arrêté attaqué, le ministre de l'intérieur et des outre-mer
n'a fait qu'user
des pouvoirs qui lui ont été conférés par les dispositions précitées du code
de l'entrée et du séjour
des étrangers et du droit d'asile afin d'apprécier si la présence en France de
M. AbA constituait une
menace grave pour l'ordre public. Ainsi, à supposer même que cette décision
ait pu avoir pour effet
une restriction aux libertés de religion et d'expression, elle n'a pas pour
autant porté aux principes
posés par les stipulations des articles 9 et 10 de la convention européenne de
sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales, les dispositions des articles 10 et
11 de la déclaration
des droits de l'homme et du citoyen et les stipulations de l'article 19 du
pacte international relatif
aux droits civils et politiques une atteinte disproportionnée aux nécessités
de la sûreté et de la
sécurité publique.
En ce qui concerne l'arrêté fixant le pays de destination :
20. Il résulte de ce qui précède que M. AbA n'est pas fondé à exciper de
l'illégalité de
l'arrêté l'expulsant du territoire français à l'encontre de l'arrêté fixant le
pays de destination.
21. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de
l'homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture
ni à des peines et
traitements inhumains et dégradants ».
22. M. AbA n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il encourrait des
risques
personnels et actuels en cas de retour dans son pays d'origine. Le moyen tiré
de la méconnaissance
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de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés
fondamentales doit être écarté.
23. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention
européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être
écarté pour les mêmes
motifs que ceux invoqués au point 15.
24. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de Ab.
KA doivent
être rejetées, y compris celles aux fins d'injonction et celles présentées sur
le fondement des
dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Les interventions de la Ligue des droits de l'homme, du Groupe
d'information
et de soutien des immigré.es, du syndicat des avocats de France et de
l'association Avocats pour
la défense des droits des étrangers sont admises.
Article 2 : La requête de M. AbA est rejetée.
Article 3 : Le jugement sera notifié à M. AaA AbA et au ministre de
l'intérieur et des outremer.

Délibéré après l'audience du 26 février 2024, à laquelle siégeaient :
Mme A..., présidente,
Mme B..., première conseillère.
Mme C..., conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2024.
La présidente-rapporteure,
M.-O. A...
L'assesseure la plus ancienne,
F. B...
La greffière,
D. E...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en
ce qui le
concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les
voies de droit
commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente
décision.

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