Jurisprudence : CA Lyon, 05-03-2024, n° 21/08470, Infirmation partielle


N° RG 21/08470 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N6U2


Décision du

Tribunal Judiciaire de SAINT-ETIENNE

Au fond

du 19 octobre 2021


RG Aa 21/019Aa6

chAan°1


[I]


C/


[I]

[I]


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


1ère chambre civile B


ARRET DU 05 Mars 2024



APPELANT :


M. [Aba] [I]

né le [Date naissance 6] 1974 à [Localité 18] (42)

[Adresse 7]

[Localité 8]


Représenté par Me Houda ABADA de la SELARL ABADA, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE


INTIMES :


Mme [Ac] [H] épouAae [I]

née le [Date naissance 5] 1950 à [Localité 15] (42)

[Adresse 1]

[Localité 8]


M. [Ada] [I]

né le [Date naissance 3] 1948 à [Localité 19] (42)

[Adresse 1]

[Localité 8]


Représentés par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547

ayant pour avocat plaidant Me Bernard PEYRET, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : C 66


* * * * * *


Date de clôture de l'instruction : 19 Janvier 2023


Date des plaidoiries tenues en audience publique : 27 Novembre 2023


Date de mise à disposition : 05 Mars 2024


Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller


assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier


A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,


Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


* * * *



FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES


M. [Ad] [Aa] et Mme [B] [Aa] se sont mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts le [Date mariage 11] 1970. De cette union, sont issus trois enfants, [Ab], [K] et [E] [Aa].


Suivant acte notarié du 12 février 1999, M. [N] [Aa] et Mme [B] [Aa] ont effectué une donation partage au profit de leurs enfants.


Il a notamment été attribué au profit de M. [Ab] [Aa] la pleine propriété d'un tènement immobilier sis à [Adresse 16], cadastré sous les numéros [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 2] et [Cadastre 4] de la section 244 DH, à charge pour lui de reverser à chacun des ses frère et soeur une soulte de 100 000 francs. Cet acte contient, en outre, une clause d'interdiction d'aliéner.


La clause stipule qu' « en raison des charges et réserves stipulées aux présentes, les donateurs interdisent formellement aux donataires concernés qui s'y soumettent, de vendre, hypothéquer et généralement aliéner les biens à eux attribués soumis aux dites charges et réserves, pendant la vie des donateurs et sans leur concours à peine de : nullité de ces aliénations ou hypothèques, et révocation des présentes à l'égard de l'attributaire qui aurait transgressé cette interdiction. »


Dans l'acte, l'interdiction d'aliéner est justifiée par le droit au retour légal tel que prévu à l'article 951 du code civil🏛.


M. [Ab] [Aa] souhaitant vendre ce bien, par assignation à jour fixe du 1er juin 2021, il a fait citer devant le tribunal judiciaire de Saint-Etienne ses parents, M. [N] [Aa] et MmeAa[B] [I].



Par jugement du 19 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Etienne a :

- débouté M. [Ab] [Aa] de ses demandes ;

- condamné M. [Ab] [Aa] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Bernard Perret, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


Par déclaration du 25 novembre 2021, M. [Ab] [Aa] a interjeté appel de ce jugement.


Aux termes de ses dernières conclusions, déposées le 2 novembre 2022, M. [Ab] [Aa] demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par M. [Ab] [Aa] à l'encontre du jugement ;

- infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;


Statuant à nouveau :

- juger que la clause d'inaliénabilité opposée à M. [Ab] [Aa] n'est pas valable et doit être écartée ;

- prononcer en conséquence la nullité de la clause portant interdiction d'aliéner contenue dans l'acte de donation-partage du 12 février 1999 ;

A titre subsidiaire :

- prononcer la mainlevée de cette clause et autoriser M. [Ab] [Aa] à vendre valablement le tènement immobilier, objet de l'acte de donation-partage à savoir le bien immobilier sis à [Localité 8] (Loire) [Adresse 16], cadastré sous les numéros [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 13], [Cadastre 2] et [Cadastre 4] de la section 244 DH ;

- condamner les parties défenderesses à verser la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛, et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Abada-Selarl Abada, avocat sur son affirmation de droit conformément à l'article 699 du code de procédure civile.


Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées le 1er décembre 2022, M. et Mme [Aa] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter M. [Ab] [Aa] de toutes ses fins et demandes non fondées et injustifiées;

Y ajoutant :

- condamner M. [Ab] [Aa] aux dépens d'appel dont distraction au profit de la Scp Beaufumé Sourbé, avocat sur son affirmation de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.


La clôture a été ordonnée le 19 janvier 2023.


Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.



MOTIFS DE LA DECISION


1. Sur la validité de la clause d'inaliénabilité


M. [Ab] [Aa] soutient que la clause est nulle du fait de l'absence d'intérêt sérieux et légitime quand à l'existence de celle-ci. Il fait notamment valoir que:

- à la lecture de la clause, il ne ressort pas de motif justifiant une interdiction d'aliéner;

- il est uniquement fait référence à des charges et réserves qui ne sont pas explicitées; - aucune réserve d'usufruit ne vient légitimer une telle clause.

- il ne pouvait être fait référence à une réserve d'usufruit car le bien, qu'il a rénové, était à l'époque de la donation inhabitable;

- seul le droit au retour conventionnel a été mentionné aux charges et réserves de l'acte mais celui-ci ne pouvait l'empêcher de vendre son bien puisqu'il était conditionné à l'absence de descendant du donataire, alors qu'il avait déjà un enfant;

- la clause d'inaliénabilité ne saurait reposer uniquement sur le potentiel droit au retour en cas de prédécès de lui même et des ses 3 enfants, dont les probabilités sont vaines;

- les justifications de la clause apportées a posteriori par ses parents à savoir la volonté de préserver le bien en nature et protéger leur fils de son inexpérience ne figurent pas dans l'acte de donation.


Les époux [Aa] soutiennent que la clause litigieuse n'encourt pas la nullité dans la mesure où elle est temporaire, pendant leur vie, et revêt un intérêt sérieux et légitime.

Ils font notamment valoir que :

- ils souhaitaient que le bien donné reste dans la famille jusqu'à leurs morts, afin de le préserver en cas de pré décès du donataire, de manière à ce qu'il se retrouve en nature dans la succession et afin de protéger le bénéficiaire de son inexpérience;

- un droit de retour est précisé dans l'acte.


Réponse de la cour


Selon l'article 900-1, alinéa 1er, du code civil🏛, les clauses d'inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime.


En l'espèce, l'acte de donation partage du 12 février 1999 stipule qu' « en raison des charges et réserves stipulées aux présentes, les donateurs interdisent formellement aux donataires concernés qui s'y soumettent, de vendre, hypothéquer et généralement aliéner les biens à eux attribués soumis aux dites charges et réserves, pendant la vie des donateurs et sans leur concours, à peine de:

- nullité des ces aliénations ou hypothèques,

- révocation des présentes à l'égard de l'attributaire qui aurait transgressé cette interdiction. »


Il est ajouté que « les donateurs réservent expressément, chacun en ce qui le concerne, le droit de retour prévu par l'article 951 du code civil sur tous les biens par eux donnés, pour les cas où les donataires copartagés, ou l'un d'eux, viendraient à décéder avant eux sans enfant ni descendant (légitime, naturel ou adoptif) et pour le cas encore où les enfants ou descendants desdits donataires copartagés viendraient eux-mêmes à décéder sans postérité avant les donateurs. »


Il résulte de ces dispositions, d'une part, que la clause d'inaliénabilité est temporaire, puisque stipulée pour la vie durant des donateurs et, d'autre part, justifiée par un intérêt sérieux et légitime, puisqu'elle permet d'assurer l'efficacité du droit de retour conventionnel.


Il est précisé à cet égard qu'il est mentionné qu'il s'exerce pour le cas « où les enfants ou descendants desdits donataires copartagés viendraient eux-mêmes à décéder sans postérité avant les donateurs », de sorte que la circonstance que l'appelant ait déjà un enfant au moment où la donation partage a été faite est sans incidence.


Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient, par confirmation du jugement, de débouter M. [Ab] [Aa] de sa demande d'annulation de la clause d'inaliénabilité.


2. Sur la demande d'autorisation d'aliéner


M. [Ab] [Aa] soutient que les raisons qui on justifié la clause ont désormais disparu et qu'un intérêt plus important exige sa suppression. Il fait notamment valoir que:

- il ne peut plus être considéré comme inexpérimenté au regard de son âge;

- le droit au retour a disparu puisqu'il nécessiterait qu'il décède avec ses trois enfants avant M. [N] [Aa], s'agissant d'un bien propre de ce dernier;

- un intérêt supérieur commande que la vente soit autorisée judiciairement nonobstant l'existence d'une clause d'inaliénabilité, afin de permettre le développement de son activité agricole et l'entretien de sa famille;

- son patrimoine se compose uniquement du bien immobilier objet de la donation et il est, avec sa femme, dans une situation précaire;

- après avoir eu une carrière dans la plâtrerie-peinture, il exerce depuis 2020 la profession d'agriculteur et a fait l'acquisition en 2018 d'une exploitation à Vallfleury (42320), dans un état qui nécessite qu'elle soit rénovée, afin de pouvoir y résider;

- seule la vente de son bien immobilier lui permettrait de financer ces travaux de réhabilitation.


Les époux [Aa] s'opposent à la vente. Ils font notamment valoir que:

- leur fils ne justifie pas de raisons qui l'autoriseraient à disposer du bien dès lors que l'intérêt qui avait justifié la clause n'a pas disparu et qu'aucun intérêt plus important ne l'exige;

- la proposition d'achat du bien ne constitue pas une raison suffisante pour autoriser sa vente;

- la preuve d'un intérêt plus important à supprimer cette clause n'est pas rapportée au regard du manque de viabilité de l'activité envisagée,

- le fait que M. [Ab] [Aa] souhaite désormais habiter dans son exploitation ne justifie pas pour autant la suppression de la clause;

- il n'est pas démontré que la clause mettrait en péril le développement de l'activité de M.Aa[Ab] [I].


Réponse de la cour


Il résulte de l'article 900-1, alinéa 2, du code civil, que le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l'intérêt qui avait justifié la clause d'inaliénabilité a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus important l'exige.


Afin d'apprécier les intérêts en cause, il convient de déterminer si la situation nouvelle survenue depuis l'acte de donation a créé pour le gratifié un intérêt plus important que ceux, toujours actuels, qui avaient justifié l'insertion de la clause d'inaliénabilité dans l'acte de donation.


Ainsi qu'il a été précédemment vu, l'intérêt pour les donataires de l'insertion de la clause d'inaliénabilité dans l'acte de donation-partage réside dans l'efficacité de la clause prévoyant un droit de retour conventionnel.


Or, il est constant que M. [Ab] [Aa] a trois enfants, de sorte qu'il est peu probable qu'il décède avec tous ses descendants avant ses parents, qui sont, en outre, nés environ 25 ans avant lui. L'intérêt de la clause de retour conventionnel a dès lors un intérêt bien moindre par rapport à l'époque où la donation a été consentie, en 1999.


Par ailleurs, M. [Ab] [Aa] justifie que depuis 2020, il exerce la profession d'agriculteur et qu'il a acquis, avec son épouse, selon un acte du 23 juillet 2018 une exploitation de légumes et élevage de moutons comprenant maisons, écurie, hangars, grange, terrain dans la commune de [Localité 20] pour la somme de 65 000 euros.


A cet égard, l'inexpérience de M. [Ab] [Aa] dont M. [N] [Aa] et Mme [B] [Aa] se prévalent pour faire obstacle au projet de vente n'est pas mentionnée dans l'acte de donation-partage pour justifier la clause d'inaliénabilité et n'est en tout état de cause pas fondée, une entreprise nouvellement créée devant nécessairement faire face à des déficits importants au début de son activité.


Selon le constat dressé par un huissier de justice le 13 septembre 2022, une pièce de repos est aménagée dans le bâtiment agricole mais la partie réservée à l'habitation, qui est vétuste, n'a pas de point d'eau ni d'électricité, n'est pas habitable en l'état et nécessiterait que d'importants travaux soient réalisés.


Or, il est justifié que l'exploitation est située à 23 minutes du lieu de résidence de M. [Ab] [Aa] et de sa famille, alors que pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions il est nécessaire qu'il réside sur place avec son épouse. Ils démontrent à cet égard, à titre d'exemple, qu'en raison de la situation de sécheresse au mois de juillet 2022, la préfète de la Loire a imposé que l'arrosage des plantes soit réalisé de 20 heures à 8 heures, ce qui l'a contraint à travailler sur place, seul, de nuit, dans des conditions sommaires.


Par ailleurs, selon un courrier du 16 mars 2021, la banque [14] a refusé de financer les travaux d'aménagement du bâtiment agricole.


Ainsi seule la vente de la maison qui lui a été donnée, qu'il a entièrement rénovée, pour laquelle il justifie avoir reçu, par courriel du 19 mars 2021, une offre d'achat de 400 000 euros, et qui constitue donc une très large partie de son patrimoine, lui permettra de réhabiliter et de développer son exploitation.


Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la vente de la maison est nécessaire à la pérennité de l'activité agricole de M. [Ab] [Aa], qui constitue son outil de travail, et représente donc un intérêt plus important que le maintien de la clause d'inaliénabilité pour assurer l'efficacité de la clause prévoyant un droit de retour conventionnel.


Il convient donc, infirmant le jugement, d'autoriser M. [Ab] [Aa] à vendre le bien.


3. Sur les autres demandes


Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.


La cour estime que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [Ab] [Aa] et condamne M. [N] [Aa] et Mme [B] [Aa] à lui payer la somme de 2.000 euros à ce titre.


Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de M. [Ad] [Aa] et Mme [B] [Aa].



PAR CES MOTIFS

LA COUR,


Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il rejette la demande d'annulation de la clause d'inaliénabilité stipulée dans l'acte de donation partage du 12 février 1999;


statuant de nouveau et y ajoutant,


Autorise M. [Ab] [Aa] à vendre le tènement immobilier, objet de l'acte de donation partage du 12 février 1999, sis à [Localité 8] (Loire), [Adresse 17], cadastré sous les numéros [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 2] et [Cadastre 4] de la section 244 DH;


Condamne M. [N] [Aa] et Mme [B] [Aa] à payer à M. [Ab] [Aa], la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;


Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;


Condamne M. [N] [Aa] et Mme [B] [Aa] aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.


La greffière, Le Président,

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