ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Sociale
11 Octobre 2000
Pourvoi N° 98-45.056
M. Victor Estèves Z
contre
société Azevedo, société à responsabilité limitée et autres
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Victor Estèves Z, demeurant Saint-Amant Tallende, en cassation d'un arrêt rendu le 16 juin 1998 par la cour d'appel de Riom (Chambre sociale), au profit
1 / de la société Azevedo, société à responsabilité limitée dont le siège est La Roche Blanche, 2 / de l'ASSEDIC région Auvergne, dont le siège est Clermont-Ferrand Cedex, défenderesses à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 28 juin 2000, où étaient présents M. Le Roux-Cocheril, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mme Bourgeot, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Lemoine Jeanjean, Quenson, conseillers, M. Besson, conseiller référendaire, M. Duplat, avocat général, Mme Guénée-Sourie, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Bourgeot, conseiller référendaire, les conclusions de M. Duplat, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que M. Estèves Z, engagé le 1er avril 1993 par la société Azevedo en qualité de manoeuvre maçon, a été victime, le 9 octobre 1995, d'un accident du travail ayant entraîné un arrêt de travail jusqu'au 16 septembre 1996, puis du 25 septembre 1996 au 21 octobre 1996 ; que, par avis du 21 octobre 1996, confirmé le 5 novembre suivant, le médecin du Travail a déclaré le salarié inapte au port de charges et a précisé que l'intéressé ne pouvait être affecté qu'à des travaux non pénibles excluant les rotations, flexions, extensions répétitives et forcées ; qu'ayant refusé le poste de reclassement proposé par l'employeur le 18 novembre 1996, le salarié a été licencié le 5 décembre 1996 aux motifs de ce refus et de l'impossibilité de reclassement sur un autre poste ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le moyen unique, en ce qu'il concerne le licenciement sans cause réelle et sérieuse et la rupture abusive du contrat de travail Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de ses demandes en indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par application de l'article L 122-32-7 du Code du travail et pour rupture abusive du contrat de travail, alors, selon le moyen, 1 / que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur a proposé au salarié un reclassement à 65 heures par mois et que celui-ci a refusé en raison d'une baisse de rémunération, devait s'interroger sur la question de savoir si cette offre constituait ou non une modification très importante du contrat de travail (61,5 %), si elle permettait au salarié d'apprécier les conditions proposées en toute connaissance de cause du fait de l'absence de précision d'horaires et de jours de travail (article L. 212-4-3 du Code du travail), si elle ne constituait pas un abus de la part de l'employeur en imposant à son salarié de rester entièrement à sa disposition, avec une rémunération inférieure, disproportionnée, si cette offre permettait au salarié de subvenir à ses besoins vitaux et n'était pas ainsi contraire aux dispositions de l'article 1134 du Code civil ; alors, 2 / que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur a bien fait une proposition de reclassement au salarié, mais sur la base de 65 heures par mois (au lieu de 169 heures) devait s'interroger sur la question de savoir si cette proposition réduite était la seule vraiment possible, la société Azevedo se contentant d'affirmer une impossibilité, sans apporter le moindre élément de preuve permettant aux juges d'appel de contrôler le bien-fondé de sa proposition (article L 122-32-5 du Code du travail), si cette proposition était aussi comparable que possible à l'emploi précédent, au besoin par transformations de postes (article L 122-32-5 du Code du travail), par exemple en gestionnaire du dépôt/magasinier, avec formation adaptée, éventuellement en sus des travaux proposés ;
que la cour d'appel devait également rechercher si la société pouvait se prévaloir ou non d'aides existantes en faveur de l'emploi des handicapés, M. Z ayant fait état à l'instance de telles possibilités en fournissant de la documentation et la lettre d'une assistance sociale de la CRAM adressée à la société Azevedo ; alors, 3 / que l'arrêt n'a pas apprécié cette affaire à partir des dispositions de l'article 1134 du Code civil ; qu'en vertu de ce texte, "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites", que cela vise le contrat de travail, "qu'elles ne peuvent être révoquées que par leur consentement mutuel", qu'un licenciement est une décision unilatérale de l'employeur, qu'il n'y a pas consentement du salarié, "qu'elles doivent être exécutées de bonne foi", que cette disposition s'applique aux deux parties, salarié et employeur, que, dans cette affaire il ne peut être rien reproché au salarié sinon d'avoir refusé une réduction très importante de sa rémunération, rémunération nécessaire à ses besoins vitaux ; que, par contre, l'employeur qui ne recherche pas par tous les moyens toutes les possibilités de reclassement alors qu'il peut bénéficier d'aides extérieures, qui se contente d'affirmer sans apporter la moindre preuve, qui contraint le salarié à rester à son entière disposition sans le rémunérer justement, ne peut être qualifié de sincérité, ne peut être reconnu avoir exécuté la convention de bonne foi ;
Mais attendu que si le salarié est en droit de refuser le poste de reclassement proposé par l'employeur qui emporte modification du contrat de travail, il appartient à l'employeur de tirer les conséquences du refus du salarié, soit en formulant de nouvelles propositions de reclassement, soit en procédant au licenciement de l'intéressé au motif de l'impossibilité du reclassement ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur rapportait la preuve de l'impossibilité du reclassement du salarié en conséquence de son refus du poste de reclassement proposé en conformité avec les conclusions du médecin du Travail, n'encourt pas les griefs du moyen ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Mais sur le moyen unique, en ce qu'il concerne l'irrégularité de la procédure de licenciement
Vu l'article L 122-14 du Code du travail ;
Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement, la cour d'appel a retenu que la seule présence du comptable et de l'épouse de l'employeur auprès de celui-ci lors de l'entretien préalable ne viciait pas la procédure de licenciement, dès lors qu'il n'est pas contesté que M. ... parle mal le français et que ces présences étaient nécessaires pour que l'entretien soit utile ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur ne peut être accompagné, lors de l'entretien préalable, que par une personne de l'entreprise et que si la langue de l'entretien n'est pas compréhensible par l'une ou l'autre des parties, il doit être fait appel à un interprète, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition ayant débouté le salarié de sa demande en indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, l'arrêt rendu le 16 juin 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille.