Chambre commerciale
Audience publique du 10 Octobre 2000
Pourvoi n° 98-10.236
M. Jean Z ¢
Société des entreprises Demenois et compagnie (SEDEC), société
Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 10 Octobre 2000
Rejet
N° de pourvoi 98-10.236
Président M. DUMAS
Demandeur M. Jean Z
Défendeur Société des entreprises Demenois et compagnie (SEDEC), sociétéanonyme
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Jean Z, demeurant Belleville-Sur-Meuse,
en cassation d'un arrêt rendu le 1er octobre 1997 par la cour d'appel de Nancy (2e chambre), au profit de la Société des entreprises Demenois et compagnie (SEDEC), société anonyme, dont le siège est Belleville-Sur-Meuse,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 14 juin 2000, où étaient présents M. Dumas, président, M. Métivet, conseiller rapporteur, M. Poullain, conseiller, M. Jobard, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Métivet, conseiller, les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de M. Z, de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de la Société des entreprises Demenois et compagnie (SEDEC), les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 1er octobre 1997), qu'une assemblée générale extraordinaire, tenue le 26 juin 1989, de la société anonyme des Entreprises Demenois (la société) dont les capitaux propres étaient devenus inférieurs à la moitié du capital social, a refusé la dissolution et décidé la continuation de la société ; qu'après avoir décidé d'apurer une partie des pertes enregistrées par imputation sur les réserves, elle a, pour apurer le reste des pertes et reconstituer les capitaux propres, adopté deux résolutions aux termes desquelles, le capital social était réduit à zéro sous la condition suspensive d'une augmentation de capital, puis était augmenté par création et émission d'actions nouvelles, avec priorité réservée aux propriétaires des actions anciennes annulées ; que M. Z qui avait en 1988 cédé à la société Chimique de la route (SCR) la majorité des actions composant le capital de la société et bénéficiait d'une promesse d'achat valable cinq ans pour le solde des actions, a levé l'option le 7 juillet 1989 et s'est vu opposer l'annulation de ces actions en raison de l'opération de réduction-augmentation de capital décidée par l'assemblée générale du 26 juin 1989 ; qu'il a assigné la société en nullité des délibérations de ladite assemblée ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches
Attendu que M. Z reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande alors, selon le pourvoi, 1 / que les décisions de l'assemblée générale qui portent atteinte aux droits des actionnaires requièrent le vote unanime des actionnaires ; que la réduction à zéro du capital social avec annulation des actions existantes et émission d'actions nouvelles constitue une mesure d'expropriation privée des actionnaires qui ne peut être votée que par chaque actionnaire ; qu'en déclarant valable la décision de l'assemblée générale des actionnaires du 26 juin 1989 tendant à la réduction à zéro du capital social, avec annulation des actions et émission d'actions nouvelles, alors qu'une telle décision n'avait pas été votée à l'unanimité, la cour d'appel a violé les articles 1836 du Code civil et 153, alinéa 3, 178, alinéa 3 et 238 alinéa 1er de la loi du 24 juillet 1966 ; 2 / que toute personne physique a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique ; que la réduction à zéro du capital social avec annulation des actions existantes constitue une mesure d'expropriation privée qui prive les actionnaires de leurs actions et des droits inhérents aux actions ;
qu'en considérant qu'une telle opération, votée par la société possédant la majorité de contrôle au sein d'une société, était valable, la cour d'appel a violé l'article 1er du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu qu'ayant retenu, d'un côté, que du fait des pertes constatées, les capitaux propres de la société étaient devenus négatifs et que l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires, ayant écarté la dissolution de la société, avait décidé la réduction de son capital à zéro, sous la condition suspensive d'une augmentation de capital destinée à ramener celui-ci au montant légal et, d'un autre côté, que l'augmentation de capital avec droit préférentiel de souscription reconnu à tous les propriétaires d'actions anciennes excluait qu'il y ait eu éviction d'actionnaires contre leur gré, la réduction de capital ne constituant pas une atteinte à leur droit de propriété, mais sanctionnant leur obligation de contribuer aux pertes sociales dans la limite de leurs apports, ce dont il résultait qu'aucune augmentation des engagements des actionnaires n'était mise à la charge de ceux-ci, la cour d'appel a pu en déduire que l'opération, commandée par les pertes de la société et la survie de celle-ci, était licite ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq branches
Attendu que M. Z fait encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le pourvoi, 1 / qu'est nulle la décision de l'assemblée générale entachée d'un abus de majorité ; que l'abus de majorité est constitué dès lors que l'actionnaire majoritaire, contrôlaire de la société, use de son vote déterminant pour faire voter sous contrôle une opération accordéon, qui lui permet d'échapper à ses engagements envers un actionnaire minoritaire et qui est fondée sur un bilan orienté qu'il a fait établir à la suite de la politique volontairement déficitaire qu'il a mené dans la gestion de la société ; qu'en l'espèce, il est constant que la société SCR est l'actionnaire majoritaire, contrôlaire de la société puisqu'elle détient 51 % du capital social ; qu'en se bornant à énoncer que l'opération accordéon ne constituait pas un abus de majorité dès lors qu'elle était justifiée par les pertes affichées au bilan comptable, sans s'assurer que ce bilan établi à la suite de la gestion du contrôlaire, représentait l'état réel de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1833 du Code civil ; alors, 2 / que dans ses conclusions laissées sans réponse, il faisait valoir que la société SCR, actionnaire majoritaire, avait poursuivi une politique déficitaire de la société, consentant des abandons de créances non fondés, des abandons de clientèle et d'activité, tout aussi infondés et qui ont conduit à l'établissement d'un bilan qui ne représentait pas l'état réel de la société ;
qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3 / que la fraude à la loi est caractérisée lorsque le sujet de droit parvient à se soustraire à l'exécution d'une règle obligatoire par des moyens légaux ; qu'en l'espèce,
la société SCR s'était engagée le 26 octobre 1988 à acquérir le reliquat d'actions détenues par lui, lorsqu'il lui notifierait l'acceptation de la promesse d'achat qui lui était faite ; que, devenue actionnaire majoritaire de la société, la société SCR a fait voter l'opération accordéon qui a entraîné l'annulation des actions existantes, ce qui lui permettait ainsi d'échapper à l'exécution de l'obligation contractée envers lui ; qu'en faisant voter l'opération accordéon sans le mettre en mesure d'accepter l'offre d'achat, la société SCR a commis une fraude qui entache de nullité la décision de l'assemblée générale ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile et l'article 1134 du Code civil ; 4 / que l'opération accordéon est entachée de nullité si le montant des nouvelles actions émises à la suite de la réduction à zéro du capital social, est si élevé qu'il dissuade les actionnaires de souscrire de nouvelles actions ; que le montant de l'action nouvelle doit être fixé en considération des pertes subies par la société, du chiffre d'affaires et du capital à reconstituer ; qu'en se bornant à énoncer que le montant des nouvelles actions était justifié parce qu'il avait permis de dégager des capitaux propres sans modifier le capital social, alors que le capital social avait été réduit à zéro, et en s'abstenant de vérifier si le montant excessif de 3500 francs pour chaque nouvelle action, contre 900 francs pour les anciennes, était justifié au
regard des pertes et du chiffre d'affaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1833 et 1836 du Code civil, ainsi que de l'article 343 de la loi du 24 juillet 1966 ; 5 /que toute société doit être constituée dans l'intérêt commun des associés, cet intérêt étant distinct de l'intérêt social ; qu'une mesure qui porte atteinte à l'intérêt commun des associés, ne saurait être justifiée, prétexte pris de ce qu'elle préserve l'intérêt social ; qu'en se bornant à énoncer que l'intérêt commun, dont il faisait état, était préservé en l'espèce, motif pris de ce que l'opération accordéon était faite dans l'intérêt social, la cour d'appel a amalgamé les deux notions distinctes, violant ainsi l'article 1833 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt relève qu'il résulte des documents produits qu'une perte importante était constatée au 31 décembre 1998 et que les capitaux propres étaient devenus négatifs, qu'il n'est pas établi que la société SCR avait connaissance, lors de la cession, des éléments permettant de chiffrer l'écart entre le compte d'exploitation réel et les estimations qui en avaient été faites par l'expert chargé par elle d'établir un rapport d'audit et que "l'opération accordéon" était exigée par la situation obérée de la société, sans que soit démontrée une intention frauduleuse ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, et qui a légalement justifié sa décision, a pu statuer comme elle a fait ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève que la prime d'émission élevée est justifiée par la nécessité de reconstituer les capitaux propres après apurement de la perte et qu'une telle prime a permis de dégager des fonds propres sans modifier le montant du capital social ; qu'en l'état de ces appréciations la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, enfin, qu'ayant énoncé, à bon droit, que l'intérêt commun est le même pour chaque associé et permet à chacun d'eux de retirer un bénéfice personnel à proportion du bénéfice collectif, la cour d'appel, qui a relevé que la réduction du capital litigieuse ne portait pas atteinte à cet intérêt commun, mais sanctionnait une obligation essentielle des associés consistant à contribuer aux pertes sociales à proportion de leurs apports, n'encourt pas les griefs de la cinquième branche du moyen ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses cinq branches
Attendu que M. Z fait encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le pourvoi, 1 / qu'est nulle, d'une nullité d'ordre public, la décision de l'assemblée générale extraordinaire qui vote la réduction à zéro du capital social et l'émission de nouvelles actions, sans avoir statué sur le rapport du commissaire aux comptes ; que le commissaire aux comptes a pour mission de garantir l'égalité des actionnaires lors d'une opération accordéon et que le débat sur son rapport constitue une formalité substantielle ; qu'en déclarant que le défaut de rapport du commissaire aux comptes et l'absence de tout débat à cet égard n'entachait pas de nullité la décision d l'assemblée générale du 26 juin 1989, la cour d'appel a violé par fausse interprétation les articles 215 et 360 de la loi du 24 juillet 1966 ainsi que les articles 186 et 228 de la même loi par refus d'application ; 2 /qu'il résulte des dispositions de l'article 360 de la loi du 24 juillet 1966 que la nullité d'un acte modifiant les statuts d'une société peut résulter des causes qui régissent la nullité des contrats ; que le contrat de société repose sur l'affectio societatis qui est lui même fondé sur l'égalité des actionnaires ;
que le commissaire aux comptes est chargé par la loi du 24 juillet 1966 de faire respecter l'égalité des actionnaires ; qu'ainsi toute réduction à zéro du capital social qui entraîne la suppression des actions existantes ne peut être votée qu'au regard du rapport du commissaire aux comptes qui s'assure que l'égalité des actionnaires minoritaires est bien respectée et, par là même, l'affectio societatis, condition d'existence du contrat de société ; qu'en considérant que l'omission du dépôt et du débat du rapport du commissaire aux comptes n'entraînait pas la nullité de la décision de l'assemblée générale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
3 /que le rapport du commissaire aux comptes garantit l'égalité des actionnaires et doit donc être porté à la connaissance de ces derniers lors de l'assemblée générale qui décide la réduction à zéro du capital social et la disparition des cations qui s'ensuit ; qu'en décidant que l'assemblée générale extraordinaire du 26 juin 1989 avait pu valablement voter la réduction à zéro du capital social, prétexte pris de ce que les actionnaires étaient présumés avoir pris connaissance de ce rapport, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil, les articles 215 et 360 de la loi du 24 juillet 1966 ainsi que les articles 135-8 et 138 du décret du 23 mars 1967 ; 4 / que la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; qu'en considérant qu'il avait renoncé à son droit d'invoquer la nullité de l'assemblée générale par le seul fait qu'il n'aurait pas soulevé lors de la tenue de l'assemblée, le défaut de production du rapport du commissaire aux comptes et, sans relever d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer au droit d'invoquer la nullité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 215 et 360 de la loi du 24 juillet 1966 ; 5 / que le projet de réduction du capital social doit être communiqué au commissaire aux comptes 45 jours au moins avant la réunion de l'assemblée générale des actionnaires appelés à statuer
sur ce projet ; que le délai court à compter de la réception par le commissaire aux comptes du projet et non pas de son envoi par la poste ;
qu'en faisant courir le délai de 45 jours à compter de la date d'envoi par la poste de ce projet le 12 mai 1992, pour en conclure que le délai de 45 jours avait été respecté, la cour d'appel a violé l'article 215 de la loi du 24 juillet 1966 et l'article 179 du décret du 23 mars 1967 ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il est suffisamment satisfait aux exigences de l'article 215, alinéa 2, de la loi du 24 juillet 1966, lorsque les actionnaires ont eu connaissance du rapport du commissaire aux comptes dans les délai et conditions légaux ; que la cour d'appel ayant relevé, par un motif non critiqué, qu'il résulte du procès verbal de l'assemblée générale extraordinaire que les documents exigés par les textes en vigueur, incluant le rapport du commissaire aux comptes sur le projet de réduction de capital, avaient été tenus dans le délai légal à la disposition des actionnaires, au siège de la société, a pu, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche, statuer comme elle a fait ;
Attendu, en second lieu, que le délai de 45 jours avant l'assemblée générale, prévu pour la communication au commissaire aux comptes du projet de réduction du capital, tel qu'il résultait de l'article 179 du décret du 23 mars 1967, dans sa rédaction alors applicable, n'était pas édicté à peine de nullité ; que par ce motif de pur droit, substitué à celui de l'arrêt attaqué, celui-ci se trouve justifié ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa quatrième branche, n'est pas fondé en ses autres branches ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. Z à payer à la société Sedec, la somme de 20 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille.