Jurisprudence : Cass. crim., 05-03-2024, n° 23-80.229, FS-B

Cass. crim., 05-03-2024, n° 23-80.229, FS-B

A83402RC

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:CR00140

Identifiant Legifrance : JURITEXT000049261439

Référence

Cass. crim., 05-03-2024, n° 23-80.229, FS-B. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105387108-cass-crim-05032024-n-2380229-fsb
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Abstract

Il résulte de l'article 56-1 du code de procédure pénale que la perquisition dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile justifiée par sa mise en cause suppose l'existence de raisons plausibles de sa participation à une infraction. En conséquence, lors de l'audience de contestation de saisie, d'une part, le droit de se taire doit lui être notifié, le défaut d'une telle notification ayant cependant pour seule conséquence que ses déclarations sur les faits demeurant à la procédure ne pourraient être utilisées contre lui pour prononcer son renvoi devant une juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité. D'autre part, cet avocat ne peut être privé du droit d'être assisté d'un avocat


N° F 23-80.229 FS-B

N° 00140


GM
5 MARS 2024


CASSATION


M. BONNAL président,


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 MARS 2024



M. [O] [Y] et le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy ont formé des pourvois contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 19 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée des chefs d'abus de confiance, escroquerie en bande organisée et blanchiment aggravé, a prononcé sur une contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.


Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [O] [Y], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,


la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [O] [Y], avocat au barreau de la Guadeloupe, a été mis en cause dans des faits objet d'une enquête préliminaire, puis d'une information ouverte des chefs susvisés.

3. Sur saisine du juge d'instruction, le juge des libertés et de la détention a autorisé des perquisitions, notamment au cabinet de M. [Y].

4. Cette perquisition a donné lieu à la saisie du contenu du téléphone portable de cet avocat, transféré sur une clé USB.

5. Le délégué du bâtonnier de l'ordre des avocats s'étant opposé à cette saisie au motif de son caractère global, le juge des libertés et de la détention a, avant dire droit sur la contestation, désigné un expert informatique avec mission d'extraire les éléments correspondant à une liste de trois cent trente mots-clés.

6. Après dépôt du rapport d'expertise, le juge des libertés et de la détention a ordonné le versement à la procédure des éléments ainsi sélectionnés.

7. M. [Y] et le bâtonnier ont formé un recours contre cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy

8. Le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation.

9. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale🏛.



Examen des moyens

Sur le troisième moyen, pris en ses première et troisième branches

10. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'alinéa 1 de l'article 56-1 du code de procédure pénale🏛 que lorsque la perquisition dans le cabinet ou le domicile d'un avocat est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe ; et de son alinéa 8, qu'en cas de recours contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant statué sur l'opposition du Bâtonnier à la saisie d'un document ou d'un objet, l'avocat perquisitionné est obligatoirement entendu ; en s'abstenant dès lors de notifier à Me [Y] son droit de se taire, le président de la chambre de l'instruction a violé l'article préliminaire du code de procédure pénale et les droits de la défense. »


Réponse de la Cour

12. Pour dire qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner M. [Y] d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, les infractions objet de la procédure, l'ordonnance attaquée énonce que des indices graves ou concordants résultent des investigations, la mise en cause initiale de l'intéressé ayant été confirmée par les plaintes et auditions des personnes concernées ainsi que par l'étude de leurs dossiers et par les constatations faites par le Fonds de garantie et un médecin expert.

13. C'est à tort que le président de la chambre de l'instruction, qui a vérifié, ainsi qu'il en était requis par le mémoire régulièrement déposé devant lui, l'existence de raisons plausibles de soupçonner la participation de l'avocat aux infractions objet de la procédure, n'a pas notifié à celui-ci, au début de l'audience, son droit de se taire.


14. L'ordonnance n'encourt cependant pas la censure, dès lors que l'office du président de la chambre de l'instruction statuant sur le fondement de l'article 56-1 du code de procédure pénale n'est pas de statuer sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale et que, en cas de déclarations sur les faits effectuées devant lui et demeurant à la procédure, le défaut de notification du droit de se taire à l'avocat concerné aurait pour seule conséquence que ses déclarations ne pourraient être utilisées à son encontre par les juridictions amenées à prononcer un renvoi devant une juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.

15. Le grief est, dès lors, inopérant.


Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours, alors « que le magistrat qui a procédé à la perquisition n'a pas été entendu par le président de la chambre de l'instruction, en violation de l'article 56-1 alinéas 8 et 5 du code de procédure pénale. »


Réponse de la Cour

17. Aucune nullité ne saurait résulter de l'absence du juge d'instruction régulièrement avisé de la date de l'audience devant le président de la chambre de l'instruction.

18. Le moyen doit, dès lors, être écarté.


Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours, alors :

« 2°/ que dans son mémoire, Me [Y] a dénoncé une saisie globale, revenant à appréhender l'intégralité de ses communications et portant atteinte au secret professionnel, en raison de l'utilisation de mots clés génériques tels que dommages, corporel, préjudice, bénéfice, gain, dommages et intérêts, évaluation, réparation, expertise, victime, virement, note d'honoraires, etc. ; en se bornant à énoncer que les mots clés, tels que retenus par le juge des libertés et de la détention, « permettent de déterminer les éléments utilisés par l'intéressé dans un but professionnel et en lien direct avec les infractions pour lesquelles il est mis en cause », cependant qu'il lui incombait, en prenant personnellement connaissance des pièces dont la saisie était contestée, de rechercher si les données extraites et documents numérisés extraits à partir de ces mots clés, versés en procédure, étaient en lien direct avec les infractions pour lesquelles Me [Y] est mis en cause, le président de la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 56-1 du code de procédure pénale. »


Réponse de la Cour

20. Pour confirmer la décision du juge des libertés et de la détention ordonnant le versement à la procédure des éléments définis par mots-clés, l'ordonnance attaquée énonce que la saisie a été opérée de manière sélective, et non pas intégrale, avec le concours d'un expert informatique, et que ces modalités ont permis de concilier la recherche de la vérité et la préservation du secret professionnel.

21. Le juge ajoute que les mots-clés, retenus de manière stricte, ont permis de déterminer les données utilisées par l'avocat dans un but professionnel et en lien direct avec les infractions pour lesquelles il est mis en cause.

22. En statuant ainsi, le président de la chambre de l'instruction n'a pas méconnu le texte visé au moyen.

23. En effet, d'une part, il s'est assuré que les mots-clés utilisés lors de l'expertise informatique étaient en rapport direct avec les faits objet de la procédure.

24. D'autre part, il appartenait au demandeur, s'il estimait que la sélection ainsi opérée avait inclus des éléments sans lien direct avec les infractions, de désigner ceux-ci afin de permettre leur contrôle, ce qu'il n'a pas fait.

25. Le grief doit, dès lors, être rejeté.


Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

26. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours, alors :

« 2°/ que l'avocat mis en cause, dont le cabinet ou le domicile a été perquisitionné, peut, en vertu de l'article 56-1 alinéa 8 du code de procédure pénale former un recours contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention devant le président de la chambre de l'instruction, ce qui implique le droit à l'assistance d'un avocat ; en invitant l'avocat assistant Me [Y] à quitter la salle d'audience aux motifs inopérants que l'article 56-1 du code de procédure pénale ne prévoit pas qu'un avocat, quand bien même il solliciterait d'assurer la défense de son confrère au domicile ou au cabinet duquel la perquisition a été effectuée, puisse participer ou assister aux débats tenus en chambre du conseil ou en audience de cabinet et que la présence du Bâtonnier ou de son délégué permet de veiller à la régularité de la procédure, le président de la chambre de l'instruction a violé les droits de la défense, le droit à l'assistance d'un avocat ; les articles préliminaires du code de procédure pénale, 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 6 § 1 et §3 c) de la Convention européenne des droits de l'homme🏛. »


Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 3, c, de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale :

27. Il se déduit de ces textes que toute personne suspectée ou poursuivie, qui ne souhaite pas se défendre elle-même, a droit à l'assistance d'un défenseur de son choix.

28. Pour justifier la décision d'inviter l'avocat de M. [Y] à quitter la salle d'audience, l'ordonnance attaquée énonce que l'article 56-1 du code de procédure pénale ne prévoit pas qu'un avocat puisse assister et participer aux débats tenus en chambre du conseil ou en audience de cabinet, et que la présence du bâtonnier ou de son délégué permet de veiller à la régularité de la procédure.

29. En statuant ainsi, le président de la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

30. En effet, d'une part, le fait que l'article 56-1 du code de procédure pénale ne prévoie pas le droit, pour l'avocat mis en cause, concerné par la saisie, d'être assisté d'un avocat lors de l'audience devant le juge des libertés et de la détention ou, sur recours, devant le président de la chambre de l'instruction, ne saurait pour autant exclure ce droit.

31. D'autre part, le bâtonnier est chargé d'une mission générale de protection des droits de la défense qui ne se confond pas avec la défense des intérêts de l'avocat mis en cause, concerné par la saisie.

31. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur le pourvoi formé par M. [Y] :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 19 décembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-quatre.

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