N° B 23-80.110 FS-B
N° 00139
GM
5 MARS 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 MARS 2024
Mme [V] [O] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 21 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [S] [L]-[Z] des chefs d'association de malfaiteurs terroriste et de provocation directe à un acte de terrorisme commise au moyen d'un service de communication au public en ligne, a prononcé sur une contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat.
Un mémoire et des observations comlémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [V] [O], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Dary, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Aldebert, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 23 mars 2022, une perquisition a été effectuée dans le cabinet de Mme [V] [O], avocate au barreau de Paris, au cours d'une information ouverte des chefs susvisés.
3. Lors de cette perquisition, l'intégralité des dossiers numériques et des données téléphoniques du cabinet a été saisie par les juges d'instruction.
4. Par ordonnance sur contestation de saisies en date du 15 décembre 2022, le juge des libertés et de la détention a ordonné le versement au dossier d'information de divers fichiers et le maintien de la saisie des scellés en rapport avec ces fichiers.
5. Mme [Aa] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'appel mal fondé et a ordonné le versement à la procédure du contenu des scellés et le maintien de la saisie des scellés en rapport avec ces fichiers, alors :
« 1°/ que lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe ; qu'en écartant la nullité des saisies, sans relever qu'il aurait existé des raisons plausibles de soupçonner l'avocate d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe, le président de la chambre de l'instruction a violé les
articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme🏛 et 56-1 du code de procédure pénale ;
2°/ que lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe ; qu'en écartant la nullité des saisies, sans mieux s'expliquer, le cas échéant, sur les raisons plausibles qui existeraient de soupçonner l'avocate d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe, le président de la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 56-1 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en énonçant d'une part, qu'aucun élément ne permet de matérialiser l'existence d'une relation avocat-client entre l'exposante et M. [Ab] et qu'en conséquence les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat et d'autre part, que les documents saisis mentionnaient la qualité d'avocate de l'exposante et le recours à la formule de politesse consacrée dans le cadre d'un rapport avocat-client « votre bien dévoué », le président de la chambre de l'instruction s'est contredit et a ainsi violé l'
article 593 du code de procédure pénale🏛 ;
4°/ qu'en énonçant qu'aucun élément ne permet de matérialiser l'existence d'une relation avocat-client entre l'exposante et M. [Ab] et qu'en conséquence les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat, lors même qu'un mail du 5 octobre 2022 versé aux débats faisait état de la transmission d'un rapport « remis à la demande de l'un de mes clients, M. [S] [L] », le président de la chambre de l'instruction s'est contredit et a ainsi violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
8. Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce notamment qu'il ressort de plusieurs éléments de la procédure pour association de malfaiteurs terroriste criminelle ouverte à l'encontre de M. [S] [L]-[Z], et notamment d'investigations techniques, que la ligne téléphonique de Mme [Aa] apparaissait dans différents groupes Whatsapp avec des membres des forces de l'ordre compromis dans I'association de malfaiteurs et qu'elle était en particulier membre d'un groupe où était évoqué le plan « Azur », destiné à mener des actions violentes contre les institutions.
9. Le président de la chambre de l'instruction précise que, le 19 mai 2021, Mme [Aa] a indiqué dans un courriel à un membre des forces de l'ordre impliqué dans l'organisation qu'il pouvait compter sur elle pour faire « partie des civils impliqués », mentionnant la nécessité d'agir vite contre la dictature, ce qui démontre une adhésion, au moment des faits, aux projets de M. [Ab]-[Z], visant à renverser le gouvernement.
10. Il conclut que ces éléments sont des indices de la participation de Mme [Aa] aux faits dont sont saisis les magistrats instructeurs et visés dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la perquisition.
11. En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
12. En effet, il se déduit de ces énonciations qu'il existait, au moment de la perquisition, des raisons plausibles de soupçonner Mme [O] d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui faisait l'objet de la procédure ou une infraction connexe.
13. Dès lors, ces griefs doivent être écartés.
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
14. Selon le deuxième alinéa de l'
article 56-1 du code de procédure pénale🏛, dans sa version issue de la
loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021🏛, le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce qu'aucun document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'
article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971🏛 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé.
15. Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions n'ont pas pour objet de permettre la saisie de documents relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d'une sanction et relevant, à ce titre, des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (Cons. Const., 19 janvier 2023, décision n° 2022-1030 QPC).
16. Par ailleurs, le secret professionnel de l'avocat ne peut faire obstacle à la saisie de pièces susceptibles d'établir la participation éventuelle de celui-ci à une infraction pénale (
Crim., 14 janvier 2003, pourvoi n° 02-87.062⚖️, Ac. crim. 2003, n° 6).
17. En adoptant les dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article
56-1 du code de procédure pénale, le législateur n'a pas entendu remettre en cause cette jurisprudence.
18. En l'espèce, pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce qu'il importe de déterminer, scellés par scellés, si les pièces saisies en ce qu'il s'agirait de correspondances entre l'avocat et ses clients, utiles à la manifestation de la vérité, sont susceptibles d'établir la preuve de la participation de l'avocat à une infraction, objet de la saisine du juge d'instruction.
19. Pour écarter l'existence d'une relation avocat-client entre Mme [Aa] et M. [Ab]-[Z] et en conclure que les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat, le président de la chambre de l'instruction énonce qu'aucune lettre de constitution n'est rapportée, aucune convention d'honoraires n'est alléguée, de même qu'aucun acte, événement ou objet en relation avec l'exercice professionnel d'un avocat s'agissant de la défense ou du conseil n'est rapporté ni même allégué.
20. Il ajoute qu'il ressort des déclarations mêmes de Mme [Aa] qu'elle a utilisé plusieurs adresses électroniques à diverses fins, sans qu'il soit possible d'attribuer à telle adresse électronique un usage purement professionnel dans le cadre d'une relation de défense ou de conseil.
21. Il précise que la qualité d'avocat ou le recours à des formules de politesse en usage dans la profession d'avocat retrouvées dans certains échanges ne sont pas de nature à caractériser le fait que ces derniers s'inscrivaient dans une relation qui serait couverte par le secret professionnel.
22. Il énonce qu'il ressort en outre des déclarations faites lors du débat contradictoire par Mme [O] l'existence d'une confusion dans l'usage de son outil informatique à des fins professionnelles et personnelles de sorte qu'il n'est aucunement justifié que les échanges avec M. [Ab]-[Z] relèvent de la relation avocat-client.
23. Il relève encore que l'analyse d'un rapport parlementaire sur un projet de loi en cours de discussion ne saurait caractériser une relation avocat-client, quand bien même M. [Ab]-[Z] écrirait « maître » et Mme [O] répondrait « votre bien dévouée » s'agissant d'un style de circonstance dénué de lien avec une consultation dans le cadre d'une relation avocat-client, que si Mme [Aa] allègue avoir contribué à la réflexion autour de la création d'un parti politique, il n'est pas démontré que cette contribution était rattachée à son exercice professionnel d'avocat.
24. Il conclut enfin qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, que les documents saisis sur lesquels une contestation demeurait devant le juge des libertés et de la détention s'inscrivaient dans une relation avocat-client identifiée et qu'il ne résulte pas non plus des arborescences de fichiers des éléments permettant de considérer que les documents appartenant à ces arborescences relevaient d'une relation avocat-client.
25. En prononçant ainsi, le président de la chambre de l'instruction, qui a, par une motivation dépourvue d'insuffisance comme de contradiction, exclu que les documents saisis relèvent de l'exercice des droits de la défense et soient couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, au sens de l'article 56-1 précité, et qui n'avait donc pas à rechercher si ces pièces étaient susceptibles de caractériser la participation de l'avocate aux faits objet de l'information, a justifié sa décision.
26. Dès lors, le moyen ne saurait être accueilli.
27. Par ailleurs, l'ordonnance est régulière en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-quatre.