Chambre criminelle
Audience publique du 14 Décembre 1999
Pourvoi n° 99-82.855
X et autre
Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 14 Décembre 1999
Cassation
N° de pourvoi 99-82.855
Président M. Gomez
Demandeur X et autre
Rapporteur M. ....
Avocat général Mme Commaret.
Avocats la SCP Piwnica et Molinié, M. ....
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
CASSATION sur les pourvois formés par X, Y, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles, en date du 24 mars 1999, qui, statuant sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre eux des chefs de corruption passive, recel d'abus de biens sociaux et favoritisme, a partiellement rejeté leur requête en annulation.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 11 mai 1999, joignant les pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour X et pris de la violation des articles 7 de la Déclaration des droits de l'homme, 66 de la Constitution, 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 63, 63-1, 76, 94, 154,171, 591 et 593 du Code de procédure pénale
" en ce que la chambre d'accusation, statuant sur renvoi de cassation, a réitéré son refus d'annuler la garde à vue du requérant ensemble la procédure subséquente ;
" aux motifs qu'il appartient à l'officier de police judiciaire, auquel a été délivré une commission rogatoire, d'apprécier l'ordre dans lequel il y a lieu de procéder aux investigations nécessaires à son exécution sous réserve, le cas échéant, d'instructions particulières de l'autorité judiciaire dont il dépend ; que rien ne s'oppose à ce que l'enquêteur qui se rend au domicile d'une personne soupçonnée d'avoir participé aux faits visés aux poursuites débute ses investigations par une perquisition en sa présence ; que l'annonce, à ce stade de ses diligences, d'un placement en garde à vue dont il est concomitamment mentionné qu'elle sera notifiée aux intéressés dans le meilleur délai, soit en l'espèce, au regard des nécessités de l'exécution de la commission rogatoire, à l'issue de la perquisition, ne peut qu'apparaître superfétatoire et erronée ; que, de cette seule constatation formelle ne se déduit pas, en l'espèce, le grief qu'implique, de principe, un retard injustifié apporté dans la notification de leurs droits aux personnes gardées à vue ; qu'en effet, il ne ressort d'aucun élément de la procédure que les avis initialement donnés à Y et à X, selon lesquels ils étaient placés en garde à vue, aient été assortis d'effets propres à cette mesure au moment où débutaient les opérations de perquisition à leurs domiciles ou que lesdits avis aient été pourvus de tels effets durant la période exclusivement consacrée à ces opérations de perquisition ; qu'il n'est ni soutenu ni établi que les intéressés n'aient pas été en mesure, de ce fait, d'exercer leurs droits ; qu'il n'importe que, dans l'intérêt des demandeurs, la durée de la garde à vue ait été calculée à compter de l'arrivée des enquêteurs à leur domicile ; qu'en conséquence, les moyens de nullité tirés de la violation de l'article 63-1 du Code de procédure pénale seront rejetés (arrêt p 38 et 39) ;
" alors qu'une garde à vue notifiée emporte obligation immédiate de faire connaître à la personne intéressée les droits prévus à l'article 63-1 ; qu'en l'état de la garde à vue notifiée au requérant à 7 heures 50, est tardive la notification des droits opérée 3 heures plus tard, à l'issue d'une perquisition durant laquelle l'intéressé avait été spécialement placé en garde à vue " ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Y et pris de la violation des articles 12, 14, 63, 63-1, 76, 154, 171, 591, 593 et 802 du Code de procédure pénale, 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense
" en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur renvoi de cassation, a réitéré son refus de prononcer la nullité de la procédure tirée de ce que les droits avaient été notifiés à Y, sans motif légitime, plus de 6 heures après que son placement en garde à vue lui a été signifié par l'officier de police judiciaire ;
" aux motifs que le 13 novembre 1995 à 13 heures 10, l'officier de police judiciaire effectuait une perquisition au domicile de Y ; que le procès-verbal portait en marge les mentions "interpellation de Y, perquisition à son domicile" ; que les policiers étaient reçus par Y ; qu'en tête du procès-verbal de perquisition était inscrite la mention "nous lui expliquons l'objet de notre transport et nous lui indiquons qu'à compter du début de notre intervention, MY est placé en garde à vue et que cette mesure ainsi que ses droits lui seront notifiés par procès-verbal dans les meilleurs délais" ; que la perquisition était ensuite réalisée en sa présence ; qu'elle se terminait à 19 heures ; qu'alors que l'officier de police judiciaire était encore à son domicile, il lui notifiait à 19 heures 15 son placement en garde à vue "ce jour à compter de 13 heures 10 moment de son interpellation" ; qu'il lui donnait immédiatement connaissance des dispositions légales relatives à la durée de la garde à vue et des droits résultant des dispositions des articles 63-2, 63-3, 63-4 du Code de procédure pénale ; qu'il ressort de la procédure que les enquêteurs, agissant en exécution d'une commission rogatoire, se sont transportés au domicile de Y le 13 novembre 1995 à 13 heures 10, qu'ils y ont effectué, en sa présence, une perquisition qui s'est terminée à 19 heures ; qu'ils ont, à cette occasion, dressé un procès-verbal d'interpellation et de perquisition, lequel comporte la mention que les enquêteurs ont indiqué à Y qu'à compter du début de leur intervention il a été placé en garde à vue et que cette mesure, ainsi que ses droits, lui seraient notifiés dans les meilleurs délais ; que, dans les mêmes conditions, les enquêteurs se sont transportés au domicile de X le 6 décembre 1995 à 7 heures 50 ; qu'ils y ont effectué, en sa présence, une perquisition qui s'est terminée à 10 heures 50 et établi un procès-verbal d'interpellation comportant la même mention ; que, se trouvant toujours au domicile des intéressés, à l'issue des opérations de perquisition, soit respectivement le 13 novembre 1995 à 19 heures 15 et le 6 décembre 1995 à 10 heures 50, l'officier de police judiciaire intervenant a notifié à Y et X que, pour les nécessités de l'exécution de la commission rogatoire, ils étaient placés en garde à vue, le premier le 13 novembre 1995 à compter de 13 heures 10, le second le 6 décembre 1995 à compter de 7 heures 50, moment de leur interpellation et les a informés des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 du Code de procédure pénale, avant leur conduite dans les locaux des services de police ; qu'il appartient à l'officier de police judiciaire auquel a été délivrée une commission rogatoire d'apprécier l'ordre dans lequel il y a lieu de procéder aux investigations nécessaires à son exécution sous réserve, le cas échéant, d'instructions particulières de l'autorité judiciaire dont il dépend ; que rien ne s'oppose à ce que l'enquêteur qui se rend au domicile d'une personne soupçonnée d'avoir participé aux faits visés aux poursuites débute ses investigations par une perquisition en sa présence ;
que l'annonce, à ce stade de ses diligences, d'un placement en garde à vue dont il est concomitamment mentionné qu'elle sera notifiée aux intéressés dans le meilleur délai, soit en l'espèce, au regard des nécessités de l'exécution de la commission rogatoire, à l'issue de la perquisition, ne peut qu'apparaître superfétatoire et erronée ; que, de cette seule constatation formelle, ne se déduit pas, en l'espèce, le grief qu'implique, de principe, un retard injustifié apporté à la notification de leurs droits aux personnes gardées à vue ; qu'il ne ressort en effet d'aucun élément de la procédure que les avis initialement donnés à Y et à X, selon lesquels ils étaient placés en garde à vue, aient été assortis d'effets propres à cette mesure au moment où débutaient les opérations de perquisition à leurs domiciles ou que lesdits avis aient été pourvus de tels effets durant la période exclusivement consacrée à ces opérations de perquisition ; qu'il n'est ni soutenu ni établi que les intéressés n'aient pas été mis en mesure, de ce fait, d'exercer leurs droits ; qu'il n'importe que, dans l'intérêt des demandeurs, la durée de la garde à vue ait été calculée à compter de l'arrivée des enquêteurs à leur domicile ; qu'en conséquence les moyens de nullité tirés de la violation de l'article 63-1 du Code de procédure pénale seront rejetés ;
" 1o alors que le placement en garde à vue est une mesure de contrainte à laquelle a recours la police judiciaire exerçant les pouvoirs qu'elle tient des articles 12 et 14 du Code de procédure pénale ; qu'il est effectif et par conséquent produit immédiatement tous ses effets dès l'instant où l'officier de police judiciaire, ou sous son contrôle l'agent de police judiciaire, signifie à la personne concernée qu'elle est placée en garde à vue, cette signification ôtant par elle-même, à cette dernière, sa liberté d'aller et venir ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que Y a été placé en garde à vue, et par conséquent soumis à une mesure coercitive, dès 13 heures 15 et qu'en déniant tout effet à cette mesure qualifiée par elle de "superfétatoire et erronée", la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée des dispositions de l'article 63 du Code de procédure pénale ;
" 2o alors que, dès l'instant où un officier de police judiciaire a signifié à la personne concernée son placement en garde à vue, il ne peut, sans méconnaître les dispositions d'ordre public de l'article 63-1 du Code de procédure pénale, s'abstenir, comme en l'espèce, de lui notifier immédiatement les droits qui résultent pour elle des dispositions des articles 63-2, 63-3 et 63-4 du Code de procédure pénale et ne saurait différer cette formalité substantielle en invoquant la nécessité d'opérer préalablement une perquisition à son domicile ;
" 3o alors qu'il résulte des dispositions de l'article 154, alinéa 4, du Code de procédure pénale que les règles précises édictées par les articles 63-1 et suivants du Code de procédure pénale sont applicables aux gardes à vue exécutées dans le cadre d'une commission rogatoire, les pouvoirs conférés au procureur de la République étant alors exercés par le juge d'instruction, et que, dès lors, les officiers de police judiciaire, agissant sur commission rogatoire, n'ont aucune latitude d'appréciation quant à l'opportunité d'appliquer les règles concernant la garde à vue, ne pouvant, sans méconnaître les pouvoirs qui leur sont délégués, décider de subordonner la notification des droits du gardé à vue à l'exécution préalable d'une perquisition, la circonstance que cette perquisition constitue l'une des investigations nécessaires à l'exécution de la commission rogatoire qu'ils ont en charge ne pouvant en aucun cas constituer une justification ;
" 4o alors que la chambre d'accusation n'a relevé aucune circonstance insurmontable autorisant l'officier de police judiciaire à différer la notification des droits à Y et qu'il résulte au contraire de sa décision que le retard de 6 heures apporté à la notification de ses droits est exclusivement dû à un choix délibéré et tout à fait injustifié des enquêteurs ;
" 5o alors que la notification tardive de ses droits à la personne gardée à vue lui fait intrinsèquement grief en dehors de tout préjudice démontré par elle ;
" 6o alors au surplus, qu'en cas de retard dans la notification des droits, l'annulation de la procédure ne peut être évitée qu'autant qu'il est constaté que le gardé à vue a, en dépit de cette notification tardive, de fait, exercé dans leur plénitude les droits qu'il tient des articles 63-2, 63-3 et 63-4 du Code de procédure pénale et qu'il ne résulte ni des constatations de l'arrêt, ni des pièces de la procédure que Y ait exercé ses droits dans l'intervalle de temps où il est resté irrégulièrement placé en garde à vue ; qu'il en résulte que l'adage "pas de nullité sans grief" ne pouvait être invoqué par la chambre d'accusation pour refuser d'annuler la procédure de garde à vue ;
" 7o alors que la méconnaissance des règles de droit interne relatives à la notification des droits du gardé à vue constitue simultanément une violation de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui interdit de priver une personne de sa liberté sauf selon les voies légales ;
" 8o alors que la méconnaissance des règles relatives à la notification des droits du gardé à vue revêt un caractère de gravité tel qu'elle doit entraîner la nullité de l'ensemble de la procédure, sauf à priver la personne concernée du procès équitable auquel elle a droit en vertu des dispositions de l'article 61 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 63-1 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que l'officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, l'agent de police judiciaire, a le devoir de notifier immédiatement les droits attachés au placement en garde à vue ; que tout retard dans la mise en uvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite d'une dénonciation anonyme portant sur des pratiques frauduleuses commises à l'occasion de la conclusion, par le Conseil Général des Yvelines, de marchés portant sur la construction et l'entretien des bâtiments publics du département et mettant en cause des élus, dont Y, et des fonctionnaires territoriaux, dont X, le procureur de la République a ordonné une enquête préliminaire, puis a ouvert une information, le 11 octobre 1995 ;
Que, le 13 novembre 1995, à 13 heures 10, a été pratiquée une perquisition au domicile de Y, en présence de celui-ci ; qu'en tête du procès-verbal, figure la mention que l'officier de police judiciaire l'a placé en garde à vue à compter du début de son intervention et lui a précisé que "ses droits lui seraient notifiés par procès-verbal dans les meilleurs délais" ; qu'à l'issue de la perquisition, à 19 heures 15, l'officier de police judiciaire lui a notifié son placement en garde à vue à compter de 13 heures 10 et lui a donné connaissance des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 du Code de procédure pénale, avant sa conduite dans les locaux de police ;
Que, de même, les policiers ont procédé, le 6 décembre 1995, à partir de 7 heures 50 au domicile de X, qui a été aussitôt placé en garde à vue, à une perquisition à l'issue de laquelle, à 10 heures 50, l'officier de police judiciaire lui a notifié son placement en garde à vue à compter de 7 heures 50 et lui a donné connaissance des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, pour rejeter les requêtes en nullité fondées sur une notification tardive de ces droits, la chambre d'accusation retient que la notification aux intéressés de leur placement en garde à vue ainsi que, l'indication que les droits en découlant leur seraient notifiés dans les meilleurs délais "ne peut qu'apparaître superfétatoire et erronée" ; qu'elle ajoute qu'il ne ressort d'aucun élément de la procédure que ces avis aient été suivis d'effets propres au cours des opérations de perquisition ou que lesdits avis aient été pourvus de tels effets durant la période exclusivement consacrée à ces opérations et qu'il n'est ni soutenu ni établi que les intéressés n'aient pas été mis en mesure, de ce fait, d'exercer leurs droits ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la notification des droits aux intéressés devait intervenir dès leur placement en garde à vue, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés pour Y ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles, en date du 24 mars 1999, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes.