Chambre criminelle
Audience publique du 28 Septembre 1999
Pourvoi n° 98-83.675
... Gérard et autre
Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 28 Septembre 1999
Rejet
N° de pourvoi 98-83.675
Président M. Gomez
Demandeur ... Gérard et autre
Rapporteur Mme ....
Avocat général M. Lucas.
Avocats la SCP Célice, Blancpain et Soltner, la SCP Waquet, Farge et Hazan, M. ....
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
REJET des pourvois formés par ... Gérard, la société Güfa, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 2 mars 1998, qui, notamment, pour reproduction de vidéogrammes et mise à disposition du public sans l'autorisation du producteur, a condamné Gérard ... à 50 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Gérard ..., pris de la violation des articles 111-3, 121-1 du Code pénal, L 335-4 L 335-6 L 335-7 du Code de la propriété intellectuelle, 426 et 426-1 du Code pénal ancien, 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale
" en ce que, l'arrêt attaqué a déclaré Gérard ... coupable de contrefaçon et l'a condamné à des sanctions pénales et civiles ;
" aux motifs propres que la procédure d'instruction établit que les prévenus ont reconnu avoir dupliqué par photocopies noir et blanc ou couleurs environ 1 100 jaquettes de films ; qu'ils ont reconnu, également sous l'autorité d'Emmanuelle ... à une certaine période puis sous celle de Gérard ... président du conseil d'administration, à partir du moment où la société Défi a été transformée en société anonyme, la contrefaçon des cassettes destinées à la location et à la projection, par duplication ;
" et aux motifs adoptés qu'il ressort de la procédure qu'un contrôle de police effectué le 8 juin 1989 a révélé que le magasin sex-shop exploité à Perpignan par la société Défi faisait visionner des films et vidéogrammes pornographiques à sa clientèle dans trois salles de projection ; que l'enquête permettait d'établir que les clients ne pouvaient pénétrer dans la salle qu'après paiement de la somme de 60 francs, le plus souvent au prétexte de l'achat de revues, en réalité des exemplaires manifestement incomplets ; qu'une information était ouverte le 17 novembre 1989 et la poursuite de l'enquête sur commission rogatoire permettait de constater que de nombreuses cassettes vidéo ainsi projetées étaient contrefaites ; que les perquisitions effectuées dans les différents locaux de la société Défi permettaient la saisie de plusieurs cassettes, boîtiers de cassettes, jaquettes et autres documents ; que l'ensemble de ces pièces et documents étaient soumis à expertise par ordonnance du juge d'instruction le 5 novembre 1993 ; que l'expert Jacques Pierre ... concluait dans son rapport déposé le 6 février 1995 à la présence de 647 vidéogrammes contrefaisants et environ 1 100 contrefaçons de jaquettes par photocopies couleurs ou noir et blanc ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'Emmanuelle ... a agi en qualité de gérant de la SARL Défi jusqu'au 1er août 1990, et qu'à compter de cette date, du fait de la transformation de ladite société en société anonyme, Gérard ... en est devenu le président du conseil d'administration, Emanuelle ... étant alors administrateur ;
" alors que, lorsque des poursuites sont engagées du chef de contrefaçon, il appartient à la partie poursuivante d'établir que l' uvre prétendument contrefaite était sujette à protection ; qu'à cet égard il lui appartient, notamment, de démontrer que la réalisation de l' uvre n'est pas elle-même illicite à raison de perversions sexuelles dégradantes pour la personne humaine ; qu'en effet la protection due à l' uvre prétendument contrefaite est une condition préalable ou un élément constitutif de l'infraction ; qu'en exigeant du prévenu qu'il rapporte la preuve que l' uvre n'était pas protégée, à raison de son caractère dégradant pour la personne humaine, les juges du fond ont violé les règles régissant la charge de la preuve " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Défi, a proposé à la location et a fait diffuser par magnétoscope des vidéogrammes pornographiques dans trois salles de projection ouvertes à sa clientèle moyennant un droit d'entrée ; que certaines de ces vidéocassettes avaient été dupliquées à partir de vidéogrammes originaux, sans l'autorisation de leur producteur ; que 647 vidéocassettes contrefaisantes et 1 100 jaquettes, reproduites par photocopie, ont été saisies dans les locaux de la société ; que Gérard ..., dirigeant celle-ci, est poursuivi, sur le fondement de l'article L 335-4 du Code de la propriété intellectuelle, pour reproduction et mise à disposition du public de vidéogrammes en violation des droits voisins du droit d'auteur ;
Attendu que le prévenu a fait valoir que les films pornographiques ne bénéficient de la protection légale, en tant qu' uvre de l'esprit, qu'à la condition qu'ils ne présentent pas un caractère odieux et dégradant pour la personne humaine, ce qui caractériserait une infraction pénale ;
Attendu que, pour écarter ce moyen de défense, les juges d'appel énoncent qu'aux termes de l'article L 112-1 du Code de la propriété intellectuelle, les uvres de l'esprit sont protégées, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ; qu'ils en déduisent qu'en l'absence de preuve de son caractère illicite, une uvre pornographique bénéficie de la protection accordée par la loi sur la propriété littéraire et artistique ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a, sans inverser la charge de la preuve, fait l'exacte application des textes visés au moyen, lequel doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation proposé pour Gérard ..., pris de la violation des articles 6, 1382 et 1383 du Code civil, 111-3, 121-1 du Code pénal, L 335-4, L 335-6, L 335-7 du Code de la propriété intellectuelle, 426 et 426-1 du Code pénal ancien, ensemble les articles 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale
" en ce que l'arrêt attaqué a mis à la charge de Gérard Menoud 2 indemnités de 500 000 francs (au profit de la société FFCM) et 300 000 francs (au profit de la société Marc Dorcel) ;
" aux motifs propres que la procédure d'instruction établit que les prévenus ont reconnu avoir dupliqué par photocopies noir et blanc ou couleurs environ 1 100 jaquettes de films ; qu'ils ont reconnu également sous l'autorité d'Emmanuelle ... à une certaine période puis, sous celle de Gérard ..., président du conseil d'administration à partir du moment où la société Défi a été transformée en société anonyme, la contrefaçon des cassettes destinées à la location et à la projection, par duplication ;
" et aux motifs encore, qu'en l'état du dossier, et notamment en fonction du rapport d'expertise déposé le 6 février 1995 par Jacques Pierre ... expert mandaté par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Perpignan, et notamment les annexes relatives aux scellés n° 14 concernant essentiellement les bandes magnétiques recopiées et éditées par la société Marc Dorcel, la Cour dispose d'éléments suffisants pour, en tenant compte du prix moyen retenu par l'expert pour la commercialisation des cassettes recopiées et du nombre de ces dernières, évaluer avec précision l'ensemble du dommage subi par la société FFCM à la somme de 500 000 francs et celui subi par la société Marc Dorcel à la somme de 300 000 francs en tenant compte tant du dommage résultant des cassettes recopiées que du dommage résultant des photocopies des jaquettes de films ;
" alors que seuls les dommages en rapport de lien de cause à effet avec les faits reprochés au prévenu, et retenus comme étant pénalement répréhensibles, peuvent être mis à la charge de ce dernier ; qu'en l'espèce, et s'agissant de la contrefaçon des cassettes, les juges du fond n'ont retenu la responsabilité de Gérard ... qu'à compter du 1er août 1990, date à laquelle il est devenu président du conseil d'administration de la société Défi ; qu'en s'abstenant de faire le départ entre les cassettes reproduites antérieurement au 1er août 1990 et les cassettes reproduites postérieurement à cette date, pour ne faire peser sur Gérard ..., que le préjudice lié à la reproduction des cassettes intervenue postérieurement au 1er août 1990, les juges du fond, qui ont fait obstacle au contrôle de la Cour de Cassation quant à l'exercice d'un lien de cause à effet, ont privé leur décision de base légale au regard des règles susvisées " ;
Attendu qu'après avoir retenu la responsabilité pénale de Gérard ..., président de la société anonyme Defi à compter du 1er août 1990, les juges d'appel le condamnent solidairement avec l'ancienne gérante de la société, coupable des mêmes faits, commis courant 1989 et 1990, à des dommages-intérêts envers deux producteurs de vidéogrammes, constitués partie civile ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 480-1 du Code de procédure pénale ;
Que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour la société Güfa, pris de la violation des articles L 325-4, L 335-6, L 335-7 du Code de la propriété intellectuelle, 326, 326-1 du Code pénal ancien, de l'article 2 du Code de procédure pénale, des articles 61 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 1er et 5 de son protocole additionnel, de l'article 1382 du Code civil et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense
" en ce que, l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Güfa ;
" aux motifs que "la constitution de partie civile de la société de droit allemand Güfa, telle quelle est enregistrée tant en première instance que par les conclusions visées en appel, ne permet pas de déterminer avec précision, selon les termes de la loi, la personnalité juridique de la société Güfa, ni la personnalité juridique de son représentant légal ; que, dès lors, tous les actes visés au débat ne justifient pas que la société Güfa ait qualité pour agir en justice" ;
" alors, d'une part, qu'il ne résulte pas des termes de l'arrêt, ni de la procédure, que la société de droit allemand Güfa, dont la constitution de partie civile a été déclarée irrecevable en cause d'appel, faute d'avoir justifié de sa personnalité juridique et de celle de son représentant légal, ait été mise, au préalable, en mesure de s'expliquer sur ce point et d'apporter, le cas échéant, les précisions requises ; qu'ainsi, en ne permettant pas à la société Güfa de défendre à l'exception d'irrecevabilité de sa constitution de partie civile, soulevée d'office par la cour d'appel, l'arrêt a violé les textes et principes susvisés ;
" alors, d'autre part, que le délit de contrefaçon ayant pour objet d'assurer la protection des droits d'auteurs, la société Güfa, organisme de droits d'auteur, comme le note l'expert et le relèvent les prévenus eux-mêmes, ayant essentiellement vocation à assurer la protection desdits droits d'auteur, avait en toute hypothèse, nécessairement qualité pour se constituer partie civile et pour obtenir réparation du préjudice causé du fait de l'infraction de reproduction et de mise à la disposition du public des vidéogrammes placés sous sa protection juridique " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société de droit allemand Güfa, invoquant la reproduction de 112 titres de vidéogrammes en violation de ses droits, s'est constituée partie civile à l'audience du tribunal correctionnel ; que les premiers juges ont accueilli sa demande et lui ont alloué un indemnité de 840 000 francs ;
Attendu qu'à l'appui de leur appel, les prévenus ont notamment soulevé une exception d'irrecevabilité de la constitution de partie civile aux motifs que cette société de gestion collective des droits d'auteur ne justifie pas d'un préjudice personnel, ni de sa qualité de mandataire ou d'un intérêt pour agir ; que la partie civile s'est bornée à conclure à la confirmation de la décision des premiers juges ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la société Güfa, la cour d'appel retient qu'elle ne justifie pas de sa qualité pour agir ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués au moyen qui doit, dès lors, être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.