ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Sociale
25 Novembre 1998
Pourvoi N° 96-43.460
M. Marc ...
contre
société Armbruster frères, société anonyme
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par M. Marc ..., demeurant Grussenheim, en cassation d'un arrêt rendu le 2 mai 1996 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), au profit de la société Armbruster frères, société anonyme, dont le siège est 68, rue du défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 14 octobre 1998, où étaient présents M. Merlin, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président et rapporteur, MM ..., ..., conseillers, Mmes ..., ..., conseillers référendaires, M. Terrail, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Merlin, conseiller, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. ..., de Me ..., avocat de la société Armbruster frères, les conclusions de M. Terrail, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. ... a été engagé par la société Armbruster, spécialisée dans le négoce en gros des céréales, le 12 mars 1990, en qualité de chef de silo à Grussenheim par un contrat à durée déterminée de 3 mois qui s'est poursuivi au delà du terme prévu ; qu'ayant appris verbalement de son chef hiérarchique sa mutation à Sundhoffen, il a contesté cette mesure par lettre du 1er février 1994 et a demandé le paiement des heures supplémentaires qu'il prétendait avoir effectuées ; que, par lettre du 4 février 1994, la société Armbruster lui a notifié sa mutation au silo de Sundhoffen, à titre de sanction disciplinaire ; qu'elle lui a ensuite, après un entretien préalable du 22 mars 1994, notifié son licenciement pour faute grave par courrier du 24 mars 1994 ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le premier moyen Vu l'article L 212-5 du Code du travail ;
Attendu que, pour débouter M. ... de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires et des indemnités de congés payés y afférentes, l'arrêt énonce que les parties avaient conclu une convention de forfait, la rémunération étant fixée à 8 300 francs, alors que le salaire conventionnel correspondant au coefficient 250 était de 6 571 francs, avec cette précision que ce salaire était "mensuel et forfaitaire et sans référence horaire ; les horaires de travail tiendront compte de la nature de l'activité du silo auquel vous êtes affecté" ; qu'une telle convention de forfait est licite sans qu'il soit nécessaire de connaître le forfait d'heures retenu et le salaire de base ; qu'en effet, la forfaitisation n'est pas ici prévue en raison de la pratique régulière dans l'entreprise d'un horaire supérieur à l'horaire légal, mais en raison de la nature particulière de l'activité, étant observé que M. ... ne conteste pas qu'aux périodes de récoltes succédaient des périodes creuses ;
que cette hypothèse, qui est celle où l'employeur n'a pas la faculté d'exercer un contrôle direct sur l'activité du salarié, variable dans le temps en fonction de celle de l'entreprise elle-même, n'impose pas l'indication de paramètres précis ;
qu'ainsi la revendication de M. ... n'est pas fondée ;
Attendu, cependant, que la rémunération forfaitaire n'est licite que pour autant qu'elle permet au salarié de percevoir, au moins, la rémunération à laquelle il peut légalement prétendre, y compris les majorations prévues pour les heures supplémentaires ; que sa licéité suppose donc nécessairement une comparaison entre le forfait convenu et le salaire minimum conventionnel augmenté des heures supplémentaires ; qu'en refusant de procéder à cette comparaison, la cour d'appel, qui devait rechercher le nombre d'heures effectivement accomplies par M. ..., a privé sa décision de base légale ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches
Vu les articles L 122-40, L 122-41 et L 122-44 du Code du travail ;
Attendu que, pour refuser d'annuler la sanction disciplinaire prononcée le 4 février 1994 contre M. ..., l'arrêt énonce que, s'il est vrai que la société Armbruster a notifié au salarié sa mutation pour motif disciplinaire de Grussenheim à Sundhoffen plus d'un mois après l'entretien consacré aux débats sur l'éventualité d'une sanction, elle était allée au-delà de ses obligations en mettant en oeuvre la procédure prévue par l'article L 122-41 du Code du travail, alors qu'à défaut de toute preuve des allégations du salarié sur le déclassement de fonctions né de cette mesure, celle-ci se limitait à une mutation géographique qu'il s'était expressément engagé à accepter dans le contrat de travail ; que, pour le même motif, M. ... n'est pas recevable à critiquer, en plus de la régularité de la procédure disciplinaire, le bien-fondé de la décision de l'employeur, celle-ci étant parfaitement justifiée par le comportement indiscipliné du salarié, notamment par l'incident survenu le 15 décembre 1993 au cours d'une réunion des chefs de silo que M. ... avait quittée avant son terme ;
Attendu, cependant, d'une part, que, dès lors qu'elle avait choisi de prononcer la mutation du salarié, non pas dans le cadre de son pouvoir de direction de l'entreprise et pour le seul intérêt du service, mais afin de sanctionner un comportement du salarié qu'elle considérait comme fautif, la société Armbruster avait l'obligation de respecter les formes et délais de la procédure disciplinaire ;
que, d'autre part, la mutation imposée au salarié d'un site dans un autre pour sanctionner sa faute constituait une mesure plus grave que le simple avertissement, dispensant l'employeur de respecter la procédure disciplinaire normale ;
Qu'en refusant d'annuler la sanction disciplinaire de mutation, alors que cette mesure ne pouvait plus être prise après l'expiration du délai d'un mois ayant commencé à courir le jour fixé pour l'entretien préalable, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le troisième moyen
Vu les articles L 122-14-3 et L 122-8 du Code du travail ;
Attendu que, pour dire le licenciement justifié par une faute grave, l'arrêt énonce que, depuis l'arrivée de M. ... à Sundhoffen, M. ..., responsable d'exploitation, a dû à plusieurs reprises s'y rendre depuis Colmar afin de lui donner personnellement les ordres à exécuter étant donné son caractère difficile ; que cette attitude mérite, compte tenu du niveau du salarié et de ses antécédents, le qualificatif de faute empêchant le maintien des relations contractuelles y compris pendant le préavis ;
Qu'en statuant ainsi, sans constater de sa part un refus d'exécuter les ordres reçus, ni l'existence de troubles susceptibles de lui être imputés, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé la faute grave rendant impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 mai 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Armbruster frères aux dépens ;
demande de M. ... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.