ARRET
N°158
Société [5]
C/
CPAM DE L'OISE
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 16 FEVRIER 2024
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N° RG 22/00130 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IKBQ - N° registre 1ère instance : 20/00599
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BEAUVAIS EN DATE DU 09 décembre 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Société [5]
A.T. : Mr [Y] [D]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Nathalie THIEFFINE de la SELAS FIDAL, avocat au barreau d'AMIENS
ET :
INTIME
CPAM DE L'OISE
Affaires Juridiques
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Mme [K] [I] munie d'un pouvoir régulier
DEBATS :
A l'audience publique du 12 Décembre 2023 devant, Mme Véronique CORNILLE, conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l'
article 945-1 du Code de procédure civile🏛 qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Février 2024.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Mathilde CRESSENT
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de :
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
M. Pascal HAMON, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 16 Février 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Mathilde CRESSENT, Greffier.
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DECISION
M. [Y] [D], salarié de la société [5] en qualité d'ouvrier qualifié, a été victime d'un accident du travail le 1er juillet 2020 dans les circonstances suivantes : « en enlevant les planches situées dans la remorque pour que le chargement puisse être déchargé, le salarié a forcé sur une planche qui était bloquée et s'est bloqué le dos », le certificat médical initial du 2 juillet 2020 constatant des dorsalgies et lombalgies bilatérales.
Le 16 juillet 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise (la CPAM) a pris en charge d'emblée cet accident.
Contestant l'opposabilité à son égard de cette décision, la société [5] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM, qui a implicitement rejeté son recours, puis saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais.
Par jugement du 9 décembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais a :
- débouté la société [5] de sa demande d'infirmation de la décision de la commission de recours amiable de la CPAM de l'Oise ;
- débouté la société [5] de son recours en inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident du travail de M. [D] survenu le 1er juillet 2020 ;
- déclaré opposable à la société [5] l'accident du travail de M. [D] survenu le 1er juillet 2020 ;
- condamné la société [5] aux dépens.
Par courrier recommandé expédié le 10 janvier 2022, la société [5] a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 10 décembre 2021.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 6 mars 2023, lors de laquelle l'affaire a été renvoyée à l'audience du 12 décembre 2023.
Par conclusions visées par le greffe le 11 décembre 2023 et oralement développées à l'audience, la société [5] demande à la cour de :
- la recevoir en ses conclusions et les dire bien fondées ;
- infirmer le jugement du tribunal judicaire de Beauvais dans toutes ses dispositions en ce qu'il a débouté la société [5] de sa demande en inopposabilité de l'accident ;
À titre principal,
- dire applicables les délais transitoires issus de l'ordonnance du 17 juin 2020 n°2020-737 ;
- dire les réserves de la société [5] recevables car émises dans le délai de 12 jours francs ;
- constater que la CPAM a pris sa décision de prise en charge sans ouvrir une instruction ;
- déclarer la décision de la caisse primaire d'assurance maladie en date du 16 juillet inopposable à la société [5] sur la forme pour non-respect de la procédure d'instruction ;
- lui déclarer également inopposable toutes décisions consécutives à celle-ci ;
À titre subsidiaire,
- déclarer la décision de la caisse primaire d'assurance maladie en date du 16 juillet inopposable à la société [5] en raison de l'absence de caractère professionnel de l'accident de travail ;
En tout état de cause,
- condamner la caisse primaire d'assurance maladie à 2 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
La société [5] expose à titre principal que la CPAM n'a pas respecté le délai de 12 jours francs qui lui était accordé en application de l'ordonnance du 17 juin 2020 pour émettre des réserves consécutivement à la déclaration d'accident du travail du 2 juillet 2020. Elle indique que la déclaration d'accident étant datée du 2 juillet 2020, le délai courait du 3 au 14 juillet 2020 et que, s'achevant un jour férié, il convenait de reporter l'échéance au 15 juillet 2020, date à laquelle elle a émis ses réserves en adressant à la CPAM un courrier recommandé avec accusé de réception.
La société fait ainsi valoir qu'elle a émis ses réserves le 15 juillet 2020, dans le délai qui lui était accordé par les textes applicables, et que la caisse devait en conséquence diligenter une enquête administrative avant de prendre en charge l'accident déclaré.
Elle précise que ses réserves mettent en doute la matérialité du fait accidentel et le fait qu'il soit survenu au temps et au lieu du travail ainsi que la réalité de la lésion tout en signalant l'absence de témoin oculaire, de sorte qu'ils s'agit de réserves motivées.
À titre subsidiaire, la société [5] conteste l'application de la présomption d'imputabilité en indiquant qu'aucun témoin n'a assisté aux faits déclarés, que le salarié n'a pas immédiatement informé son responsable et n'a consulté un médecin que le lendemain, date à laquelle il s'est rendu sur son lieu de travail pour déposer son arrêt de travail sans avoir l'air souffrant. Elle en conclut que la preuve que l'accident a eu lieu au temps et au lieu du travail n'est aucunement rapportée et qu'il appartenait en conséquence à la victime de prouver le lien de causalité entre les lésions constatées et l'accident déclaré.
Par conclusions visées par le greffe le 28 novembre 2023 et oralement développées à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
- débouter la société [5] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
La CPAM répond, à titre principal, que la matérialité de l'accident est parfaitement établie et que la prise en charge de l'accident du travail est justifiée dans la mesure où M. [Aa] a immédiatement informé le client chez qui il déchargeait la livraison, et son employeur le jour même, qu'il a consulté un médecin dès le lendemain et que celui-ci a constaté des lésions corroborant les circonstances de l'accident. Elle précise que l'absence de témoin oculaire de l'accident ne fait pas obstacle à la reconnaissance du caractère professionnel de cet accident.
Elle ajoute que M. [D] ne présentait aucun état pathologique préexistant et que la preuve d'un tel état n'est aucunement rapportée.
S'agissant du délai de 12 jours francs, la CPAM expose qu'il expirait le 14 juillet 2020, le jour de l'échéance devant être exclu, et que l'employeur pouvait en conséquence formuler des réserves jusqu'au 15 juillet 2020 inclus. Indiquant avoir reçu les réserves de l'employeur le 16 juillet 2020, la CPAM en conclut qu'elles ont été formulées hors délai et qu'elle pouvait par conséquent prendre cet accident en charge d'emblée sans instruction.
Pour le cas où la cour considérerait que l'employeur a émis ses réserves dans le délai qui lui était imparti, la CPAM fait valoir que celles-ci n'étaient pas motivées et ne faisaient donc pas obstacle à une prise en charge d'emblée du sinistre déclaré.
Conformément aux dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
MOTIFS
Sur l'opposabilité de la décision de prise en charge
En application de l'
article R. 441-6 du code de la sécurité sociale🏛, lorsque la déclaration de l'accident émane de l'employeur, celui-ci dispose d'un délai de dix jours francs à compter de la date à laquelle il l'a effectuée pour émettre, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, des réserves motivées auprès de la caisse primaire d'assurance maladie.
En application de l'
article 6 de l'ordonnance n° 2020-737 du 17 juin 2020🏛, lequel renvoie à l'
article 11 de l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020🏛, ce délai pour formuler des réserves motivées suite à une déclaration d'accident du travail est prorogé de deux jours pour tous les délais qui expiraient entre le 12 mars 2020 et le 10 octobre 2020.
En l'espèce, la déclaration d'accident du travail ayant été rédigée par l'employeur le 2 juillet 2020, le délai de dix jours francs dont disposait l'employeur pour émettre des réserves expirait entre le 12 mars 2020 et le 10 octobre 2020 et devait donc être prorogé de deux jours, comme en conviennent les parties.
Le délai de douze jours expirait le 15 juillet 2020 et non le 14 juillet 2020, jour férié, date retenue à tort par les premiers juges pour écarter le courrier de réserves et déclarer la décision de prise en charge d'emblée de l'accident bien fondée.
Ainsi, les parties s'opposent sur la date à laquelle l'employeur devaient émettre ses réserves, l'employeur invoquant la date d'expédition de son courrier de réserves (15 juillet 2020) et la CPAM, celle de sa réception (16 juillet 2020 en l'espèce).
Le délai prévu par l'article R. 441-6 du code de la sécurité sociale est un délai franc imparti à l'employeur pour émettre des réserves. La date à prendre en considération à l'égard de celui qui y procède est donc celle de l'expédition du courrier à la CPAM, et non celle de sa réception qui ferait supporter à l'expéditeur d'éventuels délais postaux.
La formule de l'article R. 441-6 du code de la sécurité sociale imposant l'obligation d'émettre les réserves « par tout moyen conférant date certaine à leur réception », que la caisse rappelle au soutien de ses prétentions, ne vise que la forme d'envoi de ces réserves pour exclure, notamment, l'envoi par lettre simple.
L'employeur ayant émis des réserves dans le délai qui lui était imparti, en l'espèce en adressant son courrier le 15 juillet 2020 pour un délai expirant le 15 juillet 2020 à minuit, il convient d'en vérifier le caractère motivé.
En application de l'
article R. 441-7 du code de la sécurité sociale🏛, la caisse doit engager des investigations lorsqu'elle a reçu des réserves motivées émises par l'employeur.
Constituent des réserves motivées de la part de l'employeur toute contestation de la matérialité de l'accident ou de son caractère professionnel portant sur les circonstances de temps et de lieu de sa réalisation ou encore sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail.
Aux termes de son courrier de réserves, l'employeur fait notamment observer qu'aucun élément ne permet de déterminer les conditions de ce « prétendu accident » et que l'existence d'un fait accidentel soudain et brutal au temps et au lieu du travail ayant pu entraîner l'apparition d'une lésion n'est ni prouvée ni corroborée par un élément objectif. L'employeur ajoute qu'aucun témoin n'a assisté aux faits, qui ont été déclarés une heure trente après leur survenance en dépit de la procédure interne de l'entreprise, et expose douter de la véracité des propos de son salarié. Au surplus, la société [5] rappelle que son salarié déclare avoir eu le dos bloqué et s'interroge sur la capacité d'un salarié blessé de cette manière à parcourir, seul, dans un véhicule poids lourd, les 45 kilomètres qui le séparaient de son site d'affectation et ne montrer à l'arrivée aucun signe de douleur. Enfin, la société indique que son salarié n'a déclaré l'accident qu'après s'être vu notifier une mise à pied conservatoire par le responsable d'exploitation du site et vise une attestation établie par ce dernier.
Ces éléments constituent bien une contestation précise et circonstanciée par l'employeur de la matérialité de l'accident qui déplore l'absence de témoins, suggère que M. [D] ne présentait aucune lésion et envisage que cette déclaration n'a été faite qu'en réaction à une mesure disciplinaire.
Il s'agit donc de réserves motivées adressées à la CPAM dans le délai qui était imparti à l'employeur pour ce faire de sorte que la CPAM devait, en application de l'article R. 441-7 du code de la sécurité sociale, engager des investigations avant de statuer sur le caractère professionnel de l'accident.
La caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, ayant pris cet accident en charge d'emblée et sans investigation, n'a par conséquent pas respecté ses obligations à l'égard de l'employeur et la décision de prise en charge doit être déclarée inopposable à la société [5].
Le jugement dont appel, en sens contraire, sera infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile
La caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'instance en application de l'
article 696 du code de procédure civile🏛 en ce compris les dépens de première instance.
L'équité ne commande toutefois pas de faire droit à la demande de la société [5] soutenue au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu le 9 décembre 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Beauvais,
Statuant à nouveau,
Dit inopposable à la société [5] la décision de la CPAM du 16 juillet 2020 de prendre en charge l'accident survenu le 1er juillet 2020 à M. [D],
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise aux dépens, en ce compris les dépens de première instance,
Déboute la société [5] de sa demande soutenue au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,