N° R 22-83.661 F-D
N° 00459
SL2
12 AVRIL 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 AVRIL 2023
M. [A] [F] et la société [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour
d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 18 mai 2022, qui, pour
harcèlement moral, a condamné, le premier, à six mois d'emprisonnement avec
sursis et 5 000 euros d'amende, la seconde, à 10 000 euros d'amende, et a
prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations
complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Ricard,
Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [A] [F] et de la société [1], les
observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [Z] [E], les
observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mmes [V] [W], [T] [I],
[G] [J] et [R] [K], et les conclusions de M. Aubert, avocat général
référendaire, après débats en l'audience publique du 14 mars 2023 où étaient
présents M. Bonnal, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme
Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de
l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers
précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent
arrêt.
Enoncé du moyen
8. Le moyen présenté pour M. [F] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a
condamné M. [F] pour harcèlement moral commis du 1er septembre 2008 au 13
juillet 2011 à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une
amende de 5 000 euros et déclaré responsable solidairement avec les autres
prévenus du préjudice subi par les parties civiles, le condamnant
solidairement à leur verser une indemnité provisionnelle, dans l'attente de la
fixation de l'indemnisation définitive, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'
article 121-1 du code pénal🏛, nul n'est responsable
pénalement que de son propre fait, et que, d'autre part, l'article 222-33-2 du
code pénal, dans sa rédaction antérieure à la
loi du 4 août 2014🏛, sanctionne
le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou
pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter
atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale
ou de compromettre son avenir professionnel ; que, pour condamner [A] [F],
directeur régional de la société [1], pour harcèlement moral entre le 1er
septembre 2008 et le 13 juillet 2011, la cour d'appel a relevé qu'il avait
participé à des entretiens déstabilisants imposés à certaines salariées dans
le bureau de [O] [H], directeur d'agence, également condamné pour harcèlement
moral ; qu'il avait été alerté par le CHSCT des pressions et inaptitudes au
travail, qu'il connaissait donc le mode de fonctionnement au travail du
directeur d'agence et de la superviseuse et a cependant maintenu le directeur
d'agence dans ses fonctions probablement dans le seul but de réaliser les
chiffres d'affaires escomptés, ajoutant que sa lettre de licenciement
mentionne d'ailleurs que malgré les alertes, il s'était ouvertement opposé à
la mise en place d'actions ; qu'en constatant que le directeur de région avait
participé à des entretiens déstabilisants, sans avoir précisé en quoi ces
entretiens auraient été répétés à l'égard des salariées et en quoi ils
auraient dépassé les limites du pouvoir de direction, ce qui ne permettait pas
de mettre en évidence des actes positifs du prévenu constitutifs de
harcèlement moral, ni sa prétendue connaissance de tels actes commis par le
directeur d'agence, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des
articles 121-1 et 222-33-2 du code pénal🏛 ;
2°/ qu'en ne précisant pas quels éléments permettaient de considérer que le
prévenu avait commis des actes positifs constitutifs de harcèlement moral à
l'encontre de chacune des salariées visées à la prévention, tout en retenant
sa culpabilité à l'encontre de chacune d'elles et en le déclarant responsable
de leur préjudice, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, au regard des
articles 222-33-2 du code pénal et 2, 388 et 464 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en ne se prononçant pas sur les conclusions du prévenu qui soutenait
que [R] [K] s'était seulement plainte des entretiens et pressions par [O] [H],
affirmant n'avoir jamais eu d'entretien avec [A] [F], et faisant état d'un
harcèlement en 2014, à une époque où [A] [F] n'était plus dans l'entreprise,
ayant été licencié en juillet 2011, la cour d'appel qui retient pourtant à
l'encontre de [A] [F] du harcèlement moral à l'encontre de cette salariée, n'a
pas justifié sa décision au regard des articles 459 et 593 du code de
procédure pénale ;
4°/ que faute de s'être prononcée sur les conclusions du prévenu qui
contestaient les allégations de [Z] [E], faisant seulement état à l'encontre
de [A] [F] de propos désobligeants qu'il aurait eu à l'occasion de l'entretien
préalable en vue du licenciement de la salariée, intervenu en 2013, alors que
[A] [F] n'était plus dans l'entreprise, ce qui ne permettait pas de lui
imputer le harcèlement dénoncé par cette partie civile, la cour d'appel n'a
pas justifié sa décision au regard des articles 459 et 593 du code de
procédure pénale ;
5°/ que faute de s'être prononcée sur les conclusions du prévenu qui
rappelaient que Mme [Aa] ne reprochait pas d'actes de harcèlement à M. [F],
mais prétendait qu'il avait cautionné l'action de M. [H] (conclusions, p. 6),
ce qui ne permettait pas de lui imputer le harcèlement dénoncé par cette
partie civile, en l'absence d'acte positif à son encontre, la cour d'appel n'a
pas justifié sa décision au regard des articles 459 et 593 du code de
procédure pénale ;
6°/ que s'agissant de [V] [W], les conclusions ont relevé que cette partie
civile « indique seulement qu'une fois, elle a été convoquée devant Mr [F] et
Mr [H] qui lui reprochait son manque d'implication pour réaliser son chiffre
», établissant un fait unique du directeur régional, dont rien ne permettait
de considérer qu'il n'entrait pas dans le cadre du pouvoir de direction
(conclusions, p. 6), ce qui ne permettait pas de caractériser le harcèlement
moral commis par le prévenu à l'encontre de cette partie civile ; que faute de
s'être expliquée sur ce chef péremptoire de conclusions, la cour d'appel n'a
pas justifié sa décision au regard des articles 459 et 593 du code de
procédure pénale ;
7°/ que, s'agissant de [G] [J] et [T] [I], [A] [F] contestait les faits
qu'elles rapportaient et soutenait que les entretiens réalisés, uniques pour
chacune d'elles, étant justifiés par le pouvoir de direction, ne permettaient
pas de caractériser des actes positifs de harcèlement moral, pas plus que
l'allégation d'ordres donnés par le prévenu, qui n'étaient pas établis ; qu'en
retenant le harcèlement moral du fait de la participation du prévenu à un
entretien avec chacune de ces salariés, sans répondre à ces moyens
péremptoires de ses conclusions, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision
au regard des
articles 459 et 593 du code de procédure pénale🏛🏛 ;
8°/ que le harcèlement moral résulte d'actes positifs causant la dégradation
des conditions de travail ; que pour retenir la culpabilité de [A] [F], la
cour d'appel a relevé qu'en sa qualité de directeur régional, il avait été
alerté par le CHSCT des pressions et des inaptitudes professionnelles et que,
s'impliquant dans le fonctionnement de l'agence, par ses interventions au
cours de certains entretiens avec le personnel, il connaissait le mode de
fonctionnement au travail de la superviseuse et du directeur de l'agence,
considérés comme constitutif de harcèlement moral et l'a maintenu probablement
dans le seul but de réalisation des chiffres d'affaires escomptés ; qu'elle a
ajouté que sa lettre de licenciement mentionne d'ailleurs que malgré les
alertes, il s'était ouvertement opposé à la mise en place d'actions ; que ce
faisant, en reprochant au prévenu de n'avoir pas pris les mesures pour faire
cesser le harcèlement commis par le directeur d'agence et la superviseuse,
qu'il aurait connu, sans constater aucun acte positif de harcèlement moral
commis directement par ce directeur régional à l'encontre des salariées visées
à la prévention, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des
articles 121-1 et 222-33-2 du code pénal ;
9°/ qu'en se contentant de constater que le prévenu avait maintenu le
fonctionnement de l'agence comportant l'emploi de procédés constitutifs de
harcèlement moral par le directeur de l'agence, lui reprochant une abstention
d'agir contre un harcèlement moral qu'il connaissait, la cour d'appel ne
constate pas que le prévenu était l'instigateur du harcèlement commis par
d'autres, qui seul permettrait d'en faire un co-auteur du harcèlement moral et
n'a dès lors pas justifié sa décision au regard des articles 121-1 et 222-33-2
du code pénal ;
10°/ qu'en retenant la culpabilité du prévenu pour avoir laissé commettre le
harcèlement en connaissance de la situation, lui reprochant au plus une
complicité de harcèlement moral pour laquelle il n'était pas poursuivi, sans
avoir appelé ses observations sur une possible requalification des faits, la
cour d'appel a ainsi méconnu l'
article 388 du code de procédure pénale🏛 et 6, §
3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
11°/ qu'enfin, en retenant la culpabilité du prévenu pour avoir laissé
commettre le harcèlement moral, sans avoir expliqué en quoi sa carence à
intervenir contre le harcèlement était la cause du préjudice des salariées
visées à la prévention dès lors que le prévenu prétendait ne pouvoir se voir
imputer l'infraction à l'encontre de celles de ces salariées qui se
plaignaient de harcèlement postérieur à son départ, la cour d'appel a ainsi
privé sa décision de base légale au regard des articles 222-33-2 du code pénal
et 2 du code de procédure pénale. »