Pourvoi n° 96-12.762
Cour de cassation - Chambre CIV. 1
Arrêt n° 1402 P du 16 juillet 1997
Rejet
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
I. - Sur le pourvoi n° 96-12.762 formé par la société Éditions Plon, société anonyme, dont le siège est Paris, en cassation d'un arrêt du 13 mars 1996 de la cour d'appel de Paris (1e chambre, section A), en ce qu'il est rendu au profit
1°/ de Mme Danielle ..., demeurant Paris,
2°/ de M. Gilbert ..., demeurant Libourne,
3°/ de M. Jean-Christophe ..., demeurant Paris,
4°/ de Mlle Mazarine ..., demeurant Paris, défendeurs à la cassation ;
EN PRÉSENCE
1°/ de M. Claude ..., demeurant Paris,
2°/ du Syndicat national de l'édition, dont le siège social est Paris , 3°/ du Syndicat de la presse magazine et d'information, dont le siège social est Paris,
4°/ de la Fédération nationale de la presse française, dont le siège social est Paris,
II. - Sur le pourvoi n° 96-12.876 formé par M. Claude ..., en cassation du même arrêt en ce qu'il est rendu au profit de
1°/ de Mme Danielle ..., 2°/ de M. Gilbert ...,
3°/ de M. Jean Christophe ..., 4°/ de Mlle Mazarine ..., défendeurs à la cassation ;
EN PRÉSENCE
1°/ la société Éditions Plon, 2°/ du Syndicat national de l'édition,
3°/ du Syndicat de la presse magazine et d'information, 4°/ de la Fédération nationale de la presse française,
La société Éditions Plon, demanderesse au pourvoi principal n° 96-12.762, invoque, à l'appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ; M. ..., demandeur au pourvoi principal n° 96-12.876, invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;
Moyens produits par la SCP Ryziger et Bouzidi, avocat aux Conseils pour la société Éditions Plon, demanderesse au pourvoi n° 96-12.762
2.1. PREMIER MOYEN DE CASSATION
LE POURVOI REPROCHE À LA DÉCISION ATTAQUÉE D'AVOIR confirmé l'ordonnance de référé faisant défense à la Société ÉDITIONS PLON et à Claude ... de poursuivre la diffusion du livre "LE GRAND SECRET", sous peine d'une astreinte de 1 000 F, et d'avoir par là-même déclaré recevable la demande formée par Madame ... et les enfants du Président François ... ;
AUX MOTIFS QUE la lecture du livre "LE GRAND SECRET" révèle que celui-ci contient notamment de faits couverts par le secret médical auquel le coauteur de ce livre est tenu, et revêt de ce fait un caractère manifestement illicite ; que Madame ... et les enfants de François ... ont été heurtés dans leurs sentiments les plus profonds par cette révélation d'éléments afférents tant à la personnalité et à la vie privée de leur époux et père, qu'à leur propre intimité, publiquement faite par le médecin personnel du Président de la République défunt en qui ce dernier avait placé sa confiance sous la protection d'un secret professionnel légalement institué et solennellement rappelé à tout médecin par la lecture du Serment d'Hippocrate lors de son entrée dans la profession ; qu'il s'ensuit que Madame ... et les enfants de François ... ont, chacun en ce qui le concerne, un intérêt légitime à agir en cessation du trouble que leur cause l'acte manifestement illicite que constitue ladite révélation ;
ALORS D'UNE PART QUE le secret professionnel ne concerne que les rapports entre celui qui est tenu au secret professionnel et celui qui au profit duquel il est institué ; que les tiers, si proches soient-ils, ne peuvent prévaloir d'une violation du secret professionnel ; qu'en décidant que madame ... et les enfants de François ... avaient chacun un intérêt légitime à agir en cessation du trouble que leur cause l'acte manifestement illicite que constitue une révélation de faits couverts par le secret professionnel, la décision attaquée a violé les articles 226-12 du Code Pénal, 9 du Code Civil, 2 et 3 du Code de Procédure Pénale ;
ALORS D'AUTRE PART QUE si la violation du secret professionnel peut constituer une atteinte à la vie privée d'une personne, elle ne concerne pas la vie privée de tiers, si proches soient-ils ; qu'en décidant que Madame ... et les enfants de François ... ont un intérêt légitime à agir car ils ont été heurtés, non seulement par la révélation d'éléments afférents à la personnalité et à la vie privée de leur époux et père qu'à leur propre intimité, la décision attaquée a violé l'article 9 du Code Civil.
2.2. DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
LE POURVOI REPROCHE À LA DÉCISION ATTAQUÉE D'AVOIR confirmé l'ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de PARIS, faisant défense à la Société ÉDITIONS PLON et à Claude ... de poursuivre la diffusion du livre "LE GRAND SECRET" ;
AUX MOTIFS QUE si des faits couverts par le secret auquel le médecin est tenu peuvent être révélés par celui-ci, pour répondre à des accusations portées à son encontre au cours d'une instance judiciaire, cette dérogation au principe de l'intangibilité du secret médical ne peut, en l'espèce, être invoquée par Monsieur ..., dès lors qu'il ne fait pas l'objet de telles accusations ;
ALORS QUE le médecin qui fait l'objet d'attaques de la part de son client quant à la façon dont il l'a soigné (ou d'attaques de tiers) a le droit de se défendre, dès lors que ces attaques sont publiques, même si aucune action judiciaire n'a été intentée contre lui ; qu'en l'espèce actuelle en limitant la possibilité pour le médecin de se défendre, au seul cas où il aurait à répondre à des accusations portées à son encontre au cours d'une instance judiciaire, la Cour d'appel a violé l'article 226-13 du Nouveau Code pénal.
2.3. TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUE d'avoir confirmé l'ordonnance de référé faisant défense à la Société ÉDITIONS PLON et à Claude ... de poursuivre la diffusion du livre "LE GRAND SECRET" ;
AUX MOTIFS QUE la révélation accomplie au moyen de la diffusion du livre "LE GRAND SECRET" de faits couverts par le secret médical auquel le coauteur ce de livre est tenu revêt un caractère manifestement illicite ; que les appelants et les intervenants ne sont pas fondés à prétendre que la mesure conservatoire d'interdiction de poursuite de la diffusion du livre litigieux méconnaîtrait le principe de valeur constitutionnelle de la liberté de communication de pensées et des opinions consacrées par l'article 11 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1989 principe duquel découle celui de la liberté de presse et de l'édition ; qu'en effet ce même article pose aussi en principe que l'on doit répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ; que constitue un tel abus la révélation au moyen de la diffusion d'un ouvrage imprimé de faits couverts par le secret auquel l'auteur de cet ouvrage est tenu à raison de son état de sa profession dans un intérêt général et d'ordre public ; que si l'article 10-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Individuelles garantit à toute personne le droit à la liberté d'expression, cette même convention dispose en son article 10-2 que l'exercice des libertés peut comprendre ce droit "comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines... sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique... pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ; que tel est l'objet de la sanction que constitue au sens de ce dernier texte, la mesure conservatoire prescrite par le premier juge ;
ALORS D'UNE PART QUE si l'homme politique bénéficie du secret professionnel et du respect du à sa vie privée, les impératifs de cette protection doivent être mis en balance avec les intérêts de la libre discussion des questions politiques et en particulier d'un chef de Gouvernement, la protection qui lui était due de son vivant, s'efface au bénéfice de la nécessité de pouvoir juger dans une perspective historique des événements intervenus pendant son mandat ; qu'en se référant aux restrictions posées par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et par l'article 10-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, sans rechercher si les exigences de l'information et la nécessité de juger des événements intervenus pendant le septennat de Monsieur ... ne justifiaient pas, dans un intérêt général, une atteinte tant, à la règle du secret professionnel qu'à la règle de la protection de la vie privée, et si l'interdiction prononcée constituait une mesure nécessaire dans une société démocratique, la Cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 9 du Code Civil, de l'article 226-13 du Nouveau Code Pénal, de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, de l'article 10 § 1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ;
ALORS D'AUTRE PART QUE cette recherche était d'autant plus nécessaire que l'exposante avait fait valoir que le Président de la République lui-même avait, dès le 20 mai 1981, fait paraître un communiqué débutant par la déclaration que les Français sont en droit d'attendre de celui qu'ils ont choisi pour assurer la plus haute charge de l'Etat des informations relatives d'une part, à son patrimoine et d'autre part, à son état de santé que, si conformément à cet engagement furent publiés chaques semestres entre 1981 et 1992 des bulletins de santé ceux-ci à aucun moment ne firent état d'un cancer ; que c'est donc à l'initiative du Président de la République lui-même que la question de sa santé a été portée sur la place publique, et que, dans ce contexte, les intérêts majeurs de la République étant en jeu, et le secret d'état n'ayant plus de raison d'être, les ÉDITIONS PLON se trouvaient bien fondées dans leurs démarches d'éditeur tributaire du devoir d'informer ; qu'en se référant cependant aux limitations et restrictions contenues dans l'article 10 § 2 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, la Cour d'appel a violé ce texte ;
ALORS DE TROISIÈME PART QUE l'exposante avait fait valoir que compte tenu des éléments rappelés ci-dessus, l'atteinte à la vie privée et au secret médical, s'il y avait atteinte n'était pas d'une gravité suffisante que pour justifier la mesure prise par les premiers juges ; qu'en ne se prononçant sur ce point les juges du fond ont omis de répondre à un moyen essentiel des conclusions de l'exposante, et par là même violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile.
2.4. QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUE d'avoir confirmé l'ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de PARIS faisant défense à la Société ÉDITIONS PLON et à Monsieur ... de poursuivre la diffusion du livre "LE GRAND SECRET" sous astreinte de 1 000 F par jour ;
AUX MOTIFS QUE la lecture du livre litigieux contient notamment la description de modalité d'organisation de la couverture médicale de François ..., la description détaillée des événements qui ont conduit à la prescription d'examens médicaux de François ..., les résultats de ces examens et la relation d'entretiens entre François ..., Monsieur ... et des médecins appartenant à l'Hôpital du Val-de-Grâce ; la description de l'examen médical effectué sur la personne de François ... par le Professeur ... et le compte rendu de l'entretien subséquent au cours duquel le Professeur ... et Monsieur ... ont révélé à François ... la nature de la maladie qui l'affectait et les modalités du traitement médical que celle-ci appelait ; le compte rendu d'un entretien entre François ... et Monsieur ... relativement au secret médical auquel celui-ci est tenu à l'égard de l'entourage familial de son patient ; la description d'un protocole de soins déterminé par le Professeur ... et monsieur ..., l'indication du nom d'emprunt sous lequel ont été réalisés par un laboratoire privé des examens biologiques concernant François ... ; la description de certains troubles physiques ayant affectés François ... et l'indication des médicaments administrés à celui-ci pour mettre fin à ces troubles et prévenir leur récidive ; la description de crises d'angoisse subies par François ..., la description des effets secondaires du traitement médical suivi par François ... ; la description de scènes de la vie privée de François ... ; des informations relatives à l'évolution de santé de François ... et à l'incidence de cette évolution sur le comportement de celui-ci, la description des conditions dans lesquelles ont été établis certains bulletins relatifs à l'état de santé de François ... ; la description des fonctions exercées par Monsieur ..., médecin auprès de François ... et de l'entourage de celui-ci ; la nature des interventions des Professeurs ... et ... auprès de François ..., la description du déroulement de l'opération chirurgicale pratiquée le 16 juillet 1994 sur la personne de ce dernier ; la description du traitement médical prescrit à François ... par Monsieur ..., médecin homéopathe et des modalités de fabrication des médicaments utilisés à l'occasion de ce traitement ; la relation de conflits d'influence ayant opposé plusieurs médecins appartenant à l'entourage de François ..., la description des modalités du traitement médical suivi par François ... et des examens médicaux suivi par celui-ci à la fin de l'année 1994 ; que les faits révélés dans les passages précités du livre "LE GRAND SECRET" sont venus à la connaissance de Monsieur ... à l'occasion de l'exercice de sa profession de médecin auprès de François ... ; que comme tels ces faits sont manifestement couverts par le secret professionnel ; que la révélation accomplie au moyen de la diffusion du livre "LE GRAND SECRET" de faits couverts par le secret médical auquel le coauteur de ce livre est tenu revêt un caractère manifestement illicite ; que Madame ... et les enfants de François ... ont été heurtés dans leurs sentiments les plus profonds par cette révélation d'éléments afférents tant à la personnalité et à la vie privée de leur époux et père qu'à leur propre intimité, publiquement faite par le médecin personnel du Président de la République défunt en qui ce dernier avait placé sa confiance sous la protection d'un secret professionnel légalement institué et solennellement rappelé à tout médecin par la lecture du Serment d'Hippocrate lors de son entrée dans la profession ; qu'il s'ensuit que Madame ... et les enfants de François ... ont, chacun en ce qui le concerne, un intérêt légitime à agir en cessation du trouble que leur cause l'acte manifestement illicite que constitue ladite révélation ;
ALORS D'UNE PART QUE pour qu'un fait puisse constituer une violation du secret professionnel, il faut que le fait ait un caractère confidentiel soit relatif à l'exercice de la profession et ait trait à l'exercice de celle-ci ; que la décision attaquée qui relève que le livre litigieux comporterait la description de scènes de la vie privée de François ..., ne caractérise pas en ce qui concerne lesdits faits une violation du secret professionnel et a par là violé l'article 226-13 du nouveau Code pénal ;
ALORS D'AUTRE PART QUE les constatations des juges du fond doivent permettre à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle sur l'application de l'article 9 du Code civil quant à l'existence d'une atteinte à la vie privée ; que la décision attaquée qui se contente d'énumérer un certain nombre de passages du livre "LE GRAND SECRET" sans en donner une analyse précise, et sans indiquer en quoi ils porteraient atteinte à l'intimité de Madame ... et des enfants de François ... n'est pas légalement justifiée au regard de l'article 9 du Code civil ;
ALORS DE TROISIÈME PART QUE la décision attaquée qui se contente de relever un certain nombre de passages qui, d'après elle, porteraient atteinte au secret médical concernant François ... ou à la vie privée de celui-ci, n'a pu, sans tirer les conséquences légales de ses propres affirmations décider que le livre aurait porté atteinte tant à la personnalité et à la vie privée de leurs époux et père qu'à leur propre intimité ; qu'ainsi la décision attaquée est entachée de violation de l'article 9 du Code civil.
Moyens produits par Me ..., avocat aux Conseils pour M. ..., demandeur au pourvoi n° 96-12.876
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR fait défense à la société ÉDITIONS PLON et au Docteur ... de poursuivre la diffusion du livre "Le Grand Secret", sous astreinte de 1 000 F par ouvrage diffusé ;
AUX MOTIFS QUE les descriptions et informations touchant à l'état de santé de François ... et aux traitements médicaux suivis constituaient des faits venus à la connaissance du Docteur ... à l'occasion de l'exercice de sa profession de médecin auprès de François ... ; que comme tels ces faits étaient manifestement couverts par le secret médical ; que les arguments avancés pour justifier la révélation de ces faits étaient dépourvus de pertinence ; qu'ainsi ni la prétendue contribution du Docteur ... à la recherche sur la solution au problème que pose le contrôle de l'état de santé du chef de l'Etat, ni la publication du vivant de celui-ci de bulletins relatifs à l'état de sa santé ne légitiment cette révélation ; que si des faits couverts par le secret médical pouvaient être révélés par celui-ci pour répondre à des accusations portées à son encontre au cours d'une instance judiciaire, cette dérogation au principe de l'intangibilité du secret médical ne pouvait être invoquée par le Docteur ... dès lors qu'il n'avait pas fait l'objet de telles accusations ; que Madame ... et les enfants de François ... avaient été heurtés dans leurs sentiments les plus profonds par cette révélation d'éléments afférents tant à la personnalité et à la vie privée de leur époux et père, publiquement faite par le médecin personnel du Président de la République défunt en qui ce dernier avait placé sa confiance sous la protection d'un secret professionnel légalement institué et solennellement rappelé à tout médecin par la lecture du serment d'Hippocrate lors de son entrée dans la profession ; qu'il s'ensuivait que Madame ... et les enfants de François ... avaient un intérêt légitime à agir en cessation du trouble manifestement illicite que constituait la révélation en cause ; qu'ils étaient recevables à se prévaloir des dispositions de l'article 809 aliné;a 1 du Nouveau Code de Procédure Civile pour demander au juge des référés de faire cesser ce trouble ; qu'il entrait dans le pouvoir du juge des référés de prescrire même en présence d'une contestation sérieuse les mesures conservatoires qui s'imposaient pour faire cesser un tel trouble ; que la mesure d'interdiction de poursuite de la diffusion n'était pas contraire à la liberté constitutionnelle de communication des pensées et des opinions, qui prévoyait que l'on devait répondre des abus de liberté, et donc des abus de révélation ; que la mesure conservatoire prescrite à l'effet de faire cesser le trouble manifestement illicite de cet abus ne méconnaissait pas l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ; que la mesure conservatoire ne portait pas non plus atteinte à l'article 10-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme relative à la liberté d'expression, qui prévoyait des sanctions pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ; qu'elle ne portait pas atteinte à la présomption d'innocence, dès lors que l'ordonnance de référé était une décision provisoire qui n'avait pas au principal autorité de chose jugée ;
ALORS QUE les quatre moyens de cassation développés par la société ÉDITIONS PLON au soutien de son pourvoi n° E 96-12.762, que le Docteur ... s'approprie expressément, sont à apprécier dans le cadre de la compétence du juge des référés, si bien que se trouve a fortiori exclu le caractère "manifestement illicite" du trouble allégué, et prive la décision attaquée de toute base légale au regard des articles 484, 808 et 809 du Nouveau Code de Procédure Civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR fait défense à la société ÉDITIONS PLON et au Docteur ... de poursuivre la diffusion du livre "Le Grand Secret", sous astreinte de 1 000 F par ouvrage diffusé ;
AUX MOTIFS QUE les descriptions et informations touchant à l'état de santé de François ... et aux traitements médicaux suivis constituaient des faits venus à la connaissance du Docteur ... à l'occasion de l'exercice de sa profession de médecin auprès de François ... ; que comme tels ces faits étaient manifestement couverts par le secret médical ; que les arguments avancés pour justifier la révélation de ces faits étaient dépourvus de pertinence ; qu'ainsi ni la prétendue contribution du Docteur ... à la recherche sur la solution au problème que pose le contrôle de l'état de santé du chef de l'Etat, ni la publication du vivant de celui-ci de bulletins relatifs à l'état de sa santé ne légitiment cette révélation ; que si des faits couverts par le secret médical pouvaient être révélés par celui-ci pour répondre à des accusations portées à son encontre au cours d'une instance judiciaire, cette dérogation au principe de l'intangibilité du secret médical ne pouvait être invoquée par le Docteur ... dès lors qu'il n'avait pas fait l'objet de telles accusations ; que la mesure d'interdiction de poursuite de la diffusion n'était pas contraire à la liberté constitutionnelle de communication des pensées et des opinions, qui prévoyait que l'on devait répondre des abus de liberté, et donc des abus de révélation ; que la mesure conservatoire prescrite à l'effet de faire cesser le trouble manifestement illicite de cet abus ne méconnaissait pas l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ; que la mesure conservatoire ne portait pas non plus atteinte à l'article 10-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme relative à la liberté d'expression, qui prévoyait des sanctions pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ; qu'elle ne portait pas atteinte à la présomption d'innocence, dès lors que l'ordonnance de référé était une décision provisoire qui n'avait pas au principal autorité de chose jugée ;
ALORS QUE dès lors qu'il n'était pas contesté que le Docteur ... avait été dispensé par le Président MITTERRAND du secret médical au regard de la santé du chef de l'Etat, la Cour d'Appel, qui a jugé que le Docteur ... restait soumis au secret médical dont il avait été dispensé pour rétablir la vérité, que ce secret médical lui interdisait de se défendre au regard des accusations qui étaient portées contre lui dans l'exercice de ses fonctions de médecin du Président, et que ce même secret médical aurait pu constituer un obstacle légal au droit des citoyens français de connaître la vérité qui leur avait été masquée, n'a pas légalement établi le caractère "manifestement illicite" du trouble apporté par la publication du livre "Le Grand Secret" au regard de l'article 226-13 du Nouveau Code Pénal, de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, de l'article 10 paragraphe 1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, ensemble l'article 809 du Nouveau Code de Procédure Civile.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR fait défense à la société ÉDITIONS PLON et au Docteur ... de poursuivre la diffusion du livre "Le Grand Secret", sous astreinte de 1 000 F par ouvrage diffusé ;
AUX MOTIFS QUE Madame ... et les enfants de François ... avaient été heurtés dans leurs sentiments les plus profonds par cette révélation d'éléments afférents tant à la personnalité et à la vie privée de leur époux et père, publiquement faite par le médecin personnel du Président de la République défunt en qui ce dernier avait placé sa confiance sous la protection d'un secret professionnel légalement institué et solennellement rappelé à tout médecin par la lecture du serment d'Hippocrate lors de son entrée dans la profession ; qu'il s'ensuivait que Madame ... et les enfants de François ... avaient un intérêt légitime à agir en cessation du trouble manifestement illicite que constituait la révélation en cause ; qu'ils étaient recevables à se prévaloir des dispositions de l'article 809 aliné;a 1 du Nouveau Code de Procédure Civile pour demander au juge des référés de faire cesser ce trouble ; qu'il entrait dans le pouvoir du juge des référés de prescrire même en présence d'une contestation sérieuse les mesures conservatoires qui s'imposaient pour faire cesser un tel trouble ; que la mesure d'interdiction de poursuite de la diffusion n'était pas contraire à la liberté constitutionnelle de communication des pensées et des opinions, qui prévoyait que l'on devait répondre des abus de liberté, et donc des abus de révélation ; que la mesure conservatoire prescrite à l'effet de faire cesser le trouble manifestement illicite de cet abus ne méconnaissait pas l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ; que la mesure conservatoire ne portait pas non plus atteinte à l'article 10-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme relative à la liberté d'expression, qui prévoyait des sanctions pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ; qu'elle ne portait pas atteinte à la présomption d'innocence, dès lors que l'ordonnance de référé était une décision provisoire qui n'avait pas au principal autorité de chose jugée ;
ALORS QUE dès lors qu'il n'était pas contesté que le Docteur ... avait été dispensé par le Président MITTERRAND du secret médical au regard de la santé du chef de l'Etat, la Cour d'Appel, qui n'a pas recherché si l'intérêt supérieur de la démocratie, le droit des citoyens de connaître la vérité qui leur avait été occultée, les atteintes portées à la propre vie privée du médecin en raison des faux qu'il avait dû cautionner, n'étaient pas de nature à justifier, en proportion avec l'atteinte à la vie privée de la famille du défunt Président, la révélation de la vérité médicale, n'a pas légalement caractérisé le caractère "manifestement illicite" du trouble apporté par la publication du livre "Le Grand Secret" au regard de l'article 9 du Code Civil, de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, de l'article 10 paragraphe 1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, ensemble l'article 809 du Nouveau Code de Procédure Civile.
LA COUR, en l'audience publique du 10 juin 1997.
Joint les pourvois ns° 96-12.762 et 96-12.876
Sur les quatre moyens du pourvoi de la société des Éditions Plon et les trois moyens du pourvoi de M. ..., réunis, tels qu'ils sont énoncés dans les mémoires en demande, et reproduits ci-après
Attendu que la cour d'appel, statuant en référé, a caractérisé le trouble manifestement illicite en retenant que l'ouvrage de M. ... contenait, sur l'évolution de l'état de santé de François ..., des révélations qui caractérisaient la violation manifeste du secret médical ;
Et attendu que les juges ont souverainement estimé que la mesure conservatoire d'interdiction de poursuivre la diffusion du livre, prise à titre provisoire et dont les effets étaient limités dans le temps, était seule de nature à faire cesser ce trouble, dans l'attente d'une décision sur le fond ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE les pourvois ;
Fait masse des dépens et les laisse pour moitié à la charge de la société Éditions Plon et pour moitié à la charge de M. ... ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Éditions Plon à payer la somme globale de 10 000 francs aux consorts ... et condamne M. ... à payer la somme globale de 5 000 francs aux consorts ....
Sur le rapport de M. ..., conseiller, les observations de la SCP Ryziger et Bouzidi, avocat de la société Éditions Plon, de Me ..., avocat de M. ..., de la SCP Rouvière et Boutet, avocat des consorts ... et de Mlle ..., les conclusions de Mme Le Foyer ... ..., avocat général.
M. ..., Président.