Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 10 Juin 1997
Rejet.
N° de pourvoi 95-13.799
Président M. Bézard .
Demandeur Société Béton chantier du Lot
Défendeur directeur général des Impôts et autre
Rapporteur M. ....
Avocat général Mme Piniot.
Avocats MM ..., ....
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Montauban, 12 janvier 1995), que par acte sous seing privé du 24 novembre 1989, enregistré le 6 décembre suivant, la société Culetto a cédé à la société Béton chantier du Lot (BCL), appartenant au groupe Lafarge-Coppée, les éléments incorporels de son fonds de commerce de fabrication et de vente de béton prêt à l'emploi sis à Moissac, pour une valeur de 100 000 francs non soumise, en raison de son montant, aux droits de mutation ; que le même jour la société Culetto a cédé à un établissement financier, la société Loca BTP, pour 4 900 000 francs l'ensemble du matériel attaché à cette fabrication et a consenti à BCL un bail commercial sur le terrain où est implantée l'installation ; que, quatre jours plus tôt, Loca BTP a accordé à la société BCL la location de l'ensemble des éléments d'exploitation qu'elle allait acheter, pour une durée ferme et irrévocable de 5 ans, moyennant un loyer trimestriel de 319 922 francs, soit 6 398 440 francs pour la durée totale ; que la même société Loca BTP a obtenu de la société Ciment Lafarge, faisant partie du même groupe, l'engagement ferme de racheter le matériel loué à l'expiration du bail pour la somme de 49 000 francs minimum ; que l'administration des Impôts a estimé que l'ensemble de ces opérations dissimulait la cession par la société Culetto à la société BCL de son fonds de commerce de Moissac et a notifié à l'acquéreur un redressement tendant au paiement des droits de mutation prévus par l'article 719 du Code général des impôts, grossi des pénalités prévues en cas d'abus de droit ;
Sur les deux moyens, le premier, pris en ses deux branches, réunis
Attendu que la société BCL reproche au jugement d'avoir rejeté sa demande de décharge des droits résultant du redressement, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'existence de l'abus de droit est subordonnée à la démonstration par l'Administration du caractère fictif de l'acte ou de son objectif purement fiscal ; qu'à cet égard le jugement n'a pas procédé à des recherches suffisantes, privant sa décision de base légale au regard de l'article L 64 du Livre des procédures fiscales ; alors, d'autre part, qu'en se bornant à relever que le montage des opérations ne s'expliquait que par la volonté d'éluder le paiement des droits d'enregistrement sans répondre à ses conclusions faisant valoir les avantages financiers de la location longue durée par rapport à l'acquisition directe des biens et écartant par là même tout caractère fictif de l'opération litigieuse, le jugement attaqué a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que le contrat de crédit-bail portant sur les éléments corporels du fonds de commerce n'entre pas dans le champ d'application des articles 719 et 720 du Code général des impôts lorsqu'il n'a pas été conclu entre le cédant des éléments incorporels du fonds et la société qui a acquis ces derniers ; qu'en l'espèce elle a acquis de la société Culetto les éléments incorporels d'un fonds de fabrication et vente de béton prêt à l'emploi ; que Culetto a vendu la centrale à béton et les matériels à une société de financement Loca BTP, qui lui a loué ces éléments ; qu'il s'ensuit que le contrat de location était conclu non entre le cédant des éléments incorporels du fonds et la société qui a acquis ces derniers, mais entre la société financière et la société qui a acquis les éléments incorporels du fonds ; que dès lors, en retenant néanmoins que le contrat de crédit-bail entrait dans le champ d'application de l'article 719 du Code général des impôts, le jugement a violé ce texte ainsi que les articles L 64 du Livre des procédures fiscales et 5 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il résulte de l'article L 64 mentionné que l'Administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse, laquelle peut résulter d'une pluralité d'actes dont aucun, pris isolément, n'est soumis à impôt mais dont l'ensemble des composantes, étroitement liées, aboutit au résultat recherché par les parties ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé que la société BCL ne peut sérieusement discuter de la réunion entre ses mains de la clientèle et du matériel, le Tribunal retient que le montant élevé des loyers trimestriels stipulés, le contrat se présentant comme une location de longue durée par une société du même groupe que le locataire apparent, n'avait pas de raison économique sérieuse et que le prix des loyers versés correspondait à un financement du prix du matériel au taux de 11,5 % sur 5 ans ; que de ces constatations et appréciations, il a pu déduire que, derrière une apparence d'actes non soumis à l'impôt, ces actes dissimulaient une mutation du fonds de commerce de la société Culetto à BCL ; qu'il a ainsi répondu aux conclusions prétendument délaissées et légalement justifié sa décision ; que les moyens ne sont pas fondés ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi.