CIV. 1 CF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 2 octobre 2013
Cassation partielle
M. CHARRUAULT, président
Arrêt no 1057 F-D
Pourvoi no C 10-11.841
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la société SCI Morice, société civile immobilière, dont le siège est Le Pontet,
contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2009 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre A), dans le litige l'opposant à Mme Marcelle Y, veuve Y, domiciliée L'Isle-Sur-La-Sorgue,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 3 septembre 2013, où étaient présents M. Charruault, président, M. Girardet, conseiller rapporteur, M. Gridel, conseiller doyen, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Girardet, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Morice, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme Y, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu selon l'arrêt attaqué, que Mme Y qui avait vendu à la SCI Morice des actions de la société anonyme coopérative de construction " Les Orchidées III " donnant droit à l'attribution d'une villa contre paiement d'une partie du prix au comptant et du solde sous forme d'une rente viagère, a assigné la SCI Morice en résolution de la vente, après lui avoir fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches
Attendu que la SCI Morice fait grief à l'arrêt de constater que la résolution était acquise au 28 janvier 2007, alors, selon le moyen
1o/ que l'imprécision du commandement de payer qui ne reproduit pas intégralement la clause résolutoire visée est sanctionnée par sa nullité ; que la cour d'appel qui a écarté l'exception de nullité du commandement de payer soulevée par la SCI aux motifs que ce commandement respectait la double obligation consistant dans l'expression de la volonté du crédirentier de se prévaloir de la clause résolutoire et du délai imparti au débirentier pour s'exécuter, après avoir néanmoins constaté que la clause résolutoire visée était improprement reproduite dans l'acte de commandement s'agissant de la portée des conséquences encourues par le débiteur en cas d'inexécution dans le délai imparti, a violé les articles 112 et suivants du code de procédure civile ;
2o/ qu' il appartient au crédirentier de faciliter l'exécution de son obligation par le débirentier, que le créancier ne peut exciper de mauvaise foi de l'inexécution de son obligation par le débiteur pour obtenir la résolution du contrat ; que la cour d'appel qui a jugé que la mauvaise foi de la crédirentière n'était pas établie au motif inopérant que la SCI Morice accusait un retard de paiement, ce qui n'exonérait pas les juges de rechercher, comme il leur était demandé, si la crédirentière, Mme Y, n'avait pas excipé de mauvaise foi de la résolution du contrat, a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
3o/qu' il appartient au crédirentier de faciliter l'exécution de son obligation par le débirentier ; que la cour d'appel qui a jugé que la mauvaise foi de la crédirentière n'était pas établie au motif inopérant que la SCI Morice accusait un retard de paiement, sans rechercher, comme il lui était demandé si la crédirentière, Mme Y, n'avait pas excipé de mauvaise foi de la résolution du contrat en délivrant un premier commandement alors que le premier retard déploré avait d'ores et déjà été honoré et alors que le second retard de paiement était consécutif à un chèque retourné impayé sans que la crédirentière ne prenne le soin d'avertir la SCI de cet incident de paiement, tandis qu'elle refusait un paiement par virement, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt, d'une part, constate que les termes de la clause résolutoire, reproduits au commandement de payer, informaient clairement le débiteur de l'intention du crédirentier de se prévaloir du bénéfice de cette clause et l'avertissaient qu' à défaut de paiement, dans un délai de trente jours, des causes du commandement, le contrat de vente serait résolu, et d'autre part, relève, par motifs non contestés, que la SCI Morice n'était pas à jour du paiement de la rente correspondant aux mois d'octobre, novembre et décembre 2006 et que précédemment, en 2005 et 2006, elle avait régularisé sa situation juste avant l'échéance prévue aux commandements qui lui avaient été délivrés ;
Que la cour d'appel, appréciant souverainement la mauvaise foi alléguée du crédirentier et n'étant pas tenue de répondre aux griefs que ses constatations rendaient inopérants, en a déduit à bon droit, par motifs propres et adoptés, que la résolution de la vente était acquise au 27 janvier 2007 et a ainsi légalement justifié sa décision ;
Mais sur le second moyen pris en sa première branche Vu les articles 1134 et 1229 du code civil ;
Attendu que constitue une clause pénale toute évaluation conventionnelle forfaitaire et a priori des conséquences d'une inexécution imputable ;
Attendu que la clause résolutoire litigieuse prévoyait qu'en cas de résolution, tous les arrérages perçus par le crédirentier et tous les embellissements et améliorations apportés à l'immeuble seraient définitivement acquis au crédirentier et que la destination de la part du prix payé comptant serait laissée à l'appréciation des tribunaux ;
Attendu que pour dire que les arrérages échus et les travaux et embellissements réalisés ainsi que la part du prix payé comptant, restaient
acquis à Mme Y, l'arrêt retient que la SCI Morice n'établissait pas que la clause dût être qualifiée de clause pénale ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que les arrérages perçus, les embellissements et améliorations éventuellement apportés à l'immeuble et la partie du prix payé comptant étaient définitivement acquis au crédirentier, l'arrêt rendu le 24 novembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne Mme Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Morice
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que la résolution était acquise le 28 janvier 2007 et d'avoir en conséquence prononcé la résolution de la vente intervenue entre Madame Y et la S.C.I. Morice le 7 août 1989 ;
AUX MOTIFS QUE la clause résolutoire visée dans l'acte notarié du 7 août 1989 a été reprise dans le commandement du 28 décembre 2006 ainsi qu'il suit " à défaut de paiement à son échéance exacte d'un seul terme de la rente et 30 jours après un simple commandement de payer contenant déclaration par le crédirentier de son intention de se prévaloir du bénéfice de la présente clause et resté sans effet, la présente vente sera résolue de plein droit purement et simplement sans qu'il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire nonobstant l'offre postérieure des arrérages " ; que cette clause résolutoire expresse visée dans l'actes est sans équivoque et elle est clairement rédigée ; que le jugement pouvait dès lors constater la résolution ; que la S.C.I. Morice ne saurait invoquer utilement que l'huissier de justice a omis de reproduire le paragraphe suivant pour obtenir la nullité du commandement " lors de la résolution, tous les arrérages perçus par le crédirentier et tous embellissements et améliorations apportés à l'immeuble vendu seront de plein droit définitivement acquis au crédirentier, sans recours ni répétition à titre de dommages intérêts et d'indemnité forfaitaire. La partie du prix payé comptant sera en ce cas et quant à sa destination laissée à l'appréciation souveraine des tribunaux " ; qu'en effet, le commandement de payer a respecté la double obligation consistant tout d'abord à avertir le débiteur de l'intention du crédirentier de faire valoir la clause résolutoire et d'autre part à lui impartir un délai pour qu'il remplisse ses obligations à défaut de quoi le contrat sera irrévocablement résolu ; que la S.C.I. Morice est mal fondée à alléguer l'exécution de mauvaise foi telle que visée par l'article 1134 du Code civil puisque dès le 8 avril 2005 cette société avait un retard de paiement de 3.149, 28 euros et qu'elle a régularisé juste avant l'échéance prévue dans le commandement ; qu'elle a agi de la sorte lorsqu'elle a été destinataire d'un deuxième commandement le 27 mars 2006 d'avoir à payer 2.572, 66 euros ; que le commandement délivré le 28 décembre 2006 a permis le paiement de seulement deux mois sur trois et celui de janvier 2007 est resté impayé car réglé avec un chèque sans provision ; que depuis les échéances restent dues ; que la mauvaise foi de la crédirentière n'est pas établie ;
1o) ALORS, d'une part, QUE l'imprécision du commandement de payer qui ne reproduit pas intégralement la clause résolutoire visée est sanctionnée par sa nullité ; que la Cour d'appel qui a écarté l'exception de nullité du commandement de payer soulevée par la S.C.I. aux motifs que ce commandement respectait la double obligation consistant dans l'expression de la volonté du crédirentier de se prévaloir de la clause résolutoire et du délai imparti au débirentier pour s'exécuter, après avoir néanmoins constaté que la clause résolutoire visée était improprement reproduite dans l'acte de commandement s'agissant de la portée des conséquences encourues par le débiteur en cas d'inexécution dans le délai imparti, a violé les articles 112 et suivants du Code de procédure civile ;
2o) ALORS, d'autre part, QU' il appartient au crédirentier de faciliter l'exécution de son obligation par le débirentier, que le créancier ne peut exciper de mauvaise foi de l'inexécution de son obligation par le débiteur pour obtenir la résolution du contrat ; que la Cour d'appel qui a jugé que la mauvaise foi de la crédirentière n'était pas établie au motif inopérant que la S.C.I. Morice accusait un retard de paiement, ce qui n'exonérait pas les juges de rechercher, comme il leur était demandé, si la crédirentière, Madame Y, n'avait pas excipé de mauvaise foi de la résolution du contrat, a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
3o) ET ALORS, enfin, QU' il appartient au crédirentier de faciliter l'exécution de son obligation par le débirentier ; que la Cour d'appel qui a jugé que la mauvaise foi de la crédirentière n'était pas établie au motif inopérant que la S.C.I. Morice accusait un retard de paiement, sans rechercher, comme il lui était demandé si la crédirentière, Madame Y, n'avait pas excipé de mauvaise foi de la résolution du contrat en délivrant un premier commandement alors que le premier retard déploré avait d'ores et déjà été honoré et alors que le second retard de paiement était consécutif à un chèque retourné impayé sans que la crédirentière ne prenne le soin d'avertir la S.C.I. de cet incident de paiement, tandis qu'elle refusait un paiement par virement (p. 6 et 7, concl.28 sept. 2009), a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que les arrérages perçus voire échus et produisant intérêts restaient acquis au crédirentier ainsi que les travaux et embellissements réalisés par le débirentier lors de la résolution du contrat ainsi que la partie du prix payé comptant ;
AUX MOTIFS QUE l'article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et qu'elles doivent être exécutées de bonne foi ; que l'intégralité de la clause résolutoire a été reprise dans l'assignation du 28 mars 2007 et la S.C.I. n'a pas constitué avocat ainsi qu'il a été dit ; que les termes du contrat de vente du 7 août 1989 qui sont clairs et précis ne justifient aucune interprétation ; que c'est à bon droit que le premier juge a affirmé que les arrérages perçus voire échus et produisant intérêts restent acquis au crédirentier ainsi que les travaux et embellissements réalisés par le débirentier lors de la résolution du contrat ; que la partie du prix payé comptant est également acquise au crédirentier en contrepartie de la mise à disposition des lieux jusqu'au jour du jugement ; que Madame Y crédirentière est âgée de 88 ans et la rente viagère constitue l'essentiel de ses revenus alors que la S..C.I. Morice perçoit des revenus locatifs pour la villa acquise en 1989 ; que la société appelante ne démontre pas la réalité d'une clause pénale contenue dans l'acte qui fait la loi des parties ; qu'elle ne justifie pas davantage que le montant des dommages intérêts soit réduit à un euro symbolique puisqu'il n'y a pas à appliquer l'alinéa 2 de l'article 1152 du Code civil ; que le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions ;
1o) ALORS, d'une part, QUE constitue une clause pénale la clause d'un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d'avance l'indemnité à laquelle donnera lieu l'inexécution de l'obligation contractée ; que la Cour d'appel, en jugeant sur le fondement de l'article 1134 du Code civil que la clause résolutoire devait s'appliquer en son entier aux motifs inopérants qu'elle avait été reprise dans l'acte d'assignation et qu'elle ne prêtait pas à interprétation tandis que n'était pas établie la réalité d'une clause pénale dans l'acte, a refusé de requalifier la clause résolutoire en une clause pénale, comme il lui incombait de le faire à l'aune de son caractère punitif, cette dernière prévoyant en tout état de cause en cas de résolution le maintien à son profit pour la crédirentière de la fraction de paiement réglée sous forme d'arrérages par le débirentier, comme l'invoquait la société Morice, et a, ce faisant, violé les articles 1134 et 1229 du Code civil ;
2o) ALORS, d'autre part, QUE que la Cour d'appel en jugeant sur le fondement de l'article 1134 du Code civil que la clause résolutoire devait s'appliquer en son entier aux motifs inopérants qu'elle avait été reprise dans l'acte d'assignation et qu'elle ne prêtait pas à interprétation tandis qu'il n'était pas établi la réalité d'une clause pénale dans l'acte, a refusé de requalifier la clause résolutoire en une clause pénale, comme il lui incombait de le faire à l'aune de son caractère punitif, s'interdisant par là-même d'exercer le cas échéant son pouvoir de modération de la condamnation, en violation de l'article 1152, alinéa 2 du Code civil ;
3o) ET ALORS, enfin, QUE le cas échéant, il appartient aux juges du fond de requalifier une clause d'indemnité d'occupation en clause pénale ; que la Cour d'appel en jugeant sur le fondement de l'article 1134 du Code civil que la clause résolutoire devait s'appliquer en son entier aux motifs inopérants qu'elle avait été reprise dans l'acte d'assignation et qu'elle ne prêtait pas à interprétation tandis qu'il n'était pas établi la réalité d'une clause pénale dans l'acte, refusant par là même de requalifier la clause résolutoire en une clause
pénale, comme il lui incombait de le faire à l'aune de son caractère punitif, et refusant par là-même d'exercer son pouvoir de contrôle de la qualification des actes soumis à son appréciation, a violé l'article 12 du Code de procédure civile.