CE 5/6 ch.-r., 05-02-2024, n° 463620, mentionné aux tables du recueil Lebon
A54012KA
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2024:463620.20240205
Référence
44-006-03 Contestation d’une autorisation unique délivrée pour exploiter un parc éolien. Requérants soulevant, par la voie de l’exception, le moyen tiré de ce que la mise en compatibilité du plan local d’urbanisme (PLU) serait irrégulière faute d’avoir été précédée d’une évaluation environnementale....Le projet éolien en cause avait fait l’objet d’une évaluation environnementale ayant le même objet que celle qui aurait dû être réalisée au titre de la mise en compatibilité du PLU pour ce qui concerne le périmètre correspondant à l’assiette du projet et que cette évaluation avait été jointe au dossier de l’enquête publique, ce qui avait permis d’assurer l’information du public. ...Moyen infondé en ce qui concerne les parcelles d’assiette du projet.
M. K I, l'association Les amis de Beauregard, l'association Promenade historique dans la vallée de l'Ognon, l'association Vieilles maisons françaises, l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, Mme M I, M. G I, M. N L, M. B C, M. Q C, M. F C, le groupement agricole d'exploitation C, M. E A, M. et Mme P O, M. J D et M. B H ont demandé à la cour administrative d'appel de Nancy d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2018 par lequel le préfet du Doubs a autorisé la société Doubs Ouest Energies 2, d'une part, à construire et exploiter un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Lantenne-Vertière et de Mercey-le-Grand (Doubs), d'autre part, à défricher un hectare de parcelles boisées situées sur le territoire de ces mêmes communes. Par un arrêt n° 19NC00868 du 8 mars 2022, la cour administrative d'appel de Nancy⚖️ a fait droit à leur demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 avril et 28 juillet 2022 et le 20 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Doubs Ouest Energies 2 demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M. I et autres ;
3°) de mettre à la charge de M. I et autres, la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Doubs Ouest Energies 2 et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. I et autres ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que par un arrêté du 23 novembre 2018, le préfet du Doubs a délivré à la société Doubs Ouest Energies 2 une autorisation unique pour exploiter un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Mercey-le-Grand et de Lantenne-Vertière (Doubs), ainsi que pour défricher un hectare de parcelles boisées sur le territoire de ces communes. Par un arrêt du 8 mars 2022, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé cet arrêté.
Sur l'avis de l'autorité environnementale :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou au cas par cas. () ". L'article L. 122-1 du code de l'environnement🏛, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que : " () II. - Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine font l'objet d'une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité environnementale. () / III. - L'évaluation environnementale est un processus constitué de l'élaboration, par le maître d'ouvrage, d'un rapport d'évaluation des incidences sur l'environnement, dénommé ci-après " étude d'impact ", de la réalisation des consultations prévues à la présente section, ainsi que de l'examen, par l'autorité compétente pour autoriser le projet, de l'ensemble des informations présentées dans l'étude d'impact et reçues dans le cadre des consultations effectuées et du maître d'ouvrage () ". En vertu du III de l'article R. 122-6 du même code, dans sa version applicable au litige, l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1, lorsqu'elle n'est ni le ministre chargé de l'environnement, dans les cas prévus au I de cet article, ni la formation compétente du Conseil général de l'environnement et du développement durable, dans les cas prévus au II de ce même article, est la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable de la région sur le territoire de laquelle le projet doit être réalisé.
3. Aux termes de l'article R. 122-24 du code de l'environnement🏛 dans sa version applicable en l'espèce : " Dans chaque région, la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable bénéficie de l'appui technique d'agents du service régional chargé de l'environnement selon les modalités prévues aux articles R. 122-17 et suivants du présent code et R. 104-19 et suivants du code de l'urbanisme. Pour l'exercice de cet appui, par dérogation à l'article 2 du décret n° 2009-235 du 27 février 2009🏛 relatif à l'organisation et aux missions des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, à l'article 14 du décret n° 2010-687 du 24 juin 2010🏛 relatif à l'organisation et aux missions des services de l'Etat dans la région et les départements d'Ile-de-France et à l'article 5 du décret n° 2010-1582 du 17 décembre 2010🏛 relatif à l'organisation et aux missions des services de l'Etat dans les départements et les régions d'outre-mer, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, les agents de ce service sont placés sous l'autorité fonctionnelle du président de la mission régionale d'autorité environnementale ".
4. L'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 a pour objet de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Eu égard à l'interprétation de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C-474/10⚖️, il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce que l'entité administrative concernée dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné.
5. Lorsque le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, ou que cette autorité est le préfet de département disposant à cette fin des services de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), la mission régionale d'autorité environnementale (MRAe) de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable, dont l'organisation et les modalités d'intervention sont définies par les articles R. 122-21 et R. 122-24 à R. 122-24-2 du code de l'environnement🏛🏛, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive. Ainsi, dès lors qu'elle rend un avis dans les conditions prévues par ces dispositions, la MRAe doit être regardée comme intervenant de manière autonome à l'égard du préfet compétent pour autoriser le projet, sans que la circonstance qu'elle ait bénéficié, pour rendre son avis, ainsi que le prévoit l'article R. 122-24 du code de l'environnement cité au point 3, de l'appui technique d'agents du service régional chargé de l'environnement placés sous l'autorité fonctionnelle de son président soit, par elle-même, de nature à affecter cette autonomie.
6. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que l'avis de l'autorité environnementale était irrégulier au seul motif que la directrice régionale adjointe référente du service développement durable et aménagement de la DREAL Bourgogne-Franche-Comté faisait partie des agents mis à la disposition de la MRAe sans qu'il soit établi qu'elle n'avait pas participé à la préparation de cet avis, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
Sur la procédure de mise en compatibilité du plan local d'urbanisme de la commune de Lantenne-Vertière :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 600-12-1 du même code : " L'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale sont par elles-mêmes sans incidence sur les décisions relatives à l'utilisation du sol ou à l'occupation des sols régies par le présent code délivrées antérieurement à leur prononcé dès lors que ces annulations ou déclarations d'illégalité reposent sur un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet ". Il résulte de ces dispositions que l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un document local d'urbanisme n'entraîne pas l'illégalité des autorisations d'urbanisme délivrées lorsque cette annulation ou déclaration d'illégalité repose sur un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet en cause. Il appartient au juge, saisi d'un moyen tiré de l'illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours contre une autorisation d'urbanisme, de vérifier si l'un au moins des motifs d'illégalité du document local d'urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l'autorisation d'urbanisme. Un vice de légalité externe est étranger à ces règles, sauf s'il a été de nature à exercer une influence directe sur des règles d'urbanisme applicables au projet. En revanche, sauf s'il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet, un vice de légalité interne ne leur est pas étranger.
8. Aux termes de l'article R. 104-8 du code de l'urbanisme🏛 dans sa version alors applicable : " Les plans locaux d'urbanisme font l'objet d'une évaluation environnementale à l'occasion : / () 1° De leur élaboration, de leur révision ou de leur mise en compatibilité dans le cadre d'une déclaration d'utilité publique ou d'une déclaration de projet, s'il est établi, après un examen au cas par cas, que ces procédures sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement au sens de l'annexe II de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement () ".
9. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la mise en compatibilité du plan local d'urbanisme de la commune de Lantenne-Vertière a été opérée par une déclaration de projet relative au projet de parc éolien porté par la société Doubs Ouest Energies 2 et qu'à la suite d'un examen au cas par cas, l'autorité environnementale a considéré qu'il n'était pas nécessaire de soumettre cette mise en compatibilité à évaluation environnementale dès lors que le projet lui-même était soumis à une telle évaluation.
10. La cour administrative d'appel, après avoir relevé que cette mise en compatibilité conduisait à modifier la réglementation applicable à la zone A et celle applicable à un secteur donné de la zone N, dépassant le périmètre du seul projet de la société Doubs Ouest Energies 2, a jugé que la mise en compatibilité du plan local d'urbanisme aurait dû être précédée d'une évaluation environnementale et que ce vice avait privé les requérants d'une garantie et exercé une influence directe sur les règles d'urbanisme applicables au projet.
11. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le projet éolien en cause avait fait l'objet d'une évaluation environnementale ayant le même objet que celle qui aurait dû être réalisée au titre de la mise en compatibilité du plan local d'urbanisme pour ce qui concerne le périmètre correspondant à l'assiette du projet et que cette évaluation avait été jointe au dossier de l'enquête publique, ce qui avait permis d'assurer l'information du public. D'autre part, les règles du plan local d'urbanisme régissant les parcelles autres que celles correspondant à l'assiette du projet ne sont pas applicables à celui-ci. L'absence d'évaluation environnementale préalable à la modification de ces règles constitue ainsi un vice de légalité externe étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet, sans incidence sur la légalité de l'autorisation en litige. Par suite, en se fondant, pour annuler l'arrêté attaqué, sur ce que la mise en conformité du plan local d'urbanisme avec le projet n'avait pas été précédée d'une évaluation environnementale, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit.
12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 8 mars 2022 doit être annulé.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. I et autres la somme de 2 000 euros à verser à la société Doubs Ouest Energies 2, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Doubs Energies 2, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 8 mars 2022 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : M. I et autres verseront à la société Doubs Ouest Energies 2 une somme de 2 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. I et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Doubs Ouest Energies 2, à M. K I, premier dénommé pour l'ensemble des défendeurs et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 janvier 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 5 février 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. David Gaudillère
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse