Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 9 Octobre 1996
Rejet
N° de pourvoi 95-81.232
Président M. Jean Simon, conseiller doyen faisant fonction.
Demandeur Diego ...
Rapporteur Mme ....
Avocat général M. Dintilhac.
Avocat M. ....
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
REJET du pourvoi formé par Diego ..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre correctionnelle, en date du 7 février 1995, qui, pour proxénétisme, l'a condamné à une amende de 50 000 francs, et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 8, 10 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 66 de la Constitution de 1958, 111-3, 111-5, 225-5 et 225-61° du Code pénal, 334-6° du Code pénal ancien, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné le directeur de publication à une amende de 50 000 francs pour avoir fait office d'intermédiaire entre 2 personnes dont l'une se livre à la prostitution à raison d'annonces parues dans le journal Boum Boum et d'avoir accordé 40 000 francs de dommages-intérêts et 4 000 francs au titre des frais irrépétibles à la partie civile, la société AJC étant déclarée civilement responsable ;
" aux motifs que c'est à juste titre que les premiers juges ont dit établis les agissements poursuivis, en estimant que les publications en cause recouvraient manifestement des activités prostitutionnelles ; qu'il convient de relever que, selon une acception commune, est réputée s'adonner à la prostitution la personne qui fait métier de se livrer à la satisfaction des plaisirs d'ordre sexuel d'autrui, sans choix, et moyennant une rémunération ; que cette notion est distincte de celle de "débauche", laquelle, comme l'a justement relevé la défense, a aujourd'hui disparu des incriminations pénales visant le proxénétisme et les délits assimilés ; que ne peut, il est vrai, être retenu comme élément déterminant de l'existence, en la cause, d'une activité prostitutionnelle le fait qu'une simple recherche dans les fichiers de police a permis d'établir que, sur 105 des petites annonces ou encarts, 28 correspondaient à des personnes notoirement connues comme s'adonnant à la prostitution ; que la Cour relève cependant que le texte des annonces mentionnées dans le jugement () ne laisse aucun doute quant à la nature des prestations offertes ; qu'il y a lieu de rappeler le libellé de certaines de ces annonces, parmi d'autres "JH italien 25 a mignon, sportif, se déplace pour massage complet 7 j/ 7", "Bambi ravissante, corps d'Eve, sexe d'Adam", "Manuella très jolie, Body, charme fou", "JF réunionnaise sexy, vous attend pour détente tout en douceur", "Poupée russe, etc" ; que la Cour retient encore que certains encarts publicitaires d'un coût d'ailleurs plus élevé que les annonces habituelles comportent des dessins suggestifs sur la nature desquels il ne peut y avoir aucun doute, ainsi que l'ont estimé les premiers juges qui ont fait état de dessins de femmes dénudées assortis de commentaires tels que "toujours mieux, toujours plus", ou proposant "un massage anti-stress chinois" ; que si le prix des prestations n'est pas clairement indiqué dans les annonces les plus évocatrices (de type "Sabrina vous reçoit pour massage, relaxation et plus"), alors que d'autres, plus anodines, indiquent un prix (par exemple "le vrai massage 290 francs douceur et bien-être, praticiennes"), il n'en demeure pas moins que ces annonces, d'un coût relativement important pour les personnes dont elles émanent si l'on en juge selon le tarif des publications communiqué par le prévenu, laissent apparaître l'existence d'une activité lucrative et de type professionnel ; qu'à cet égard il convient de relever qu'un bon nombre desdites annonces comportent des horaires de prestatations réguliers, excluant dans certains cas les fins de semaine, qui dénotent une activité habituelle ; qu'en publiant en pleine connaissance de cause les annonces critiquées, et alors même qu'il admet avoir directement traité les annonces de sa revue sans passer par une régie publicitaire, Michel ... a fait office d'intermédiaire entre des personnes s'adonnant à la prostitution et les clients qui les rémunèrent, et ce en leur permettant de prendre contact grâce à la fourniture, dans lesdites annonces, des numéros téléphoniques ou des adresses des intéressées ; que les faits poursuivis sont désormais incriminés par l'article 225-61° du Code
pénal ; qu'il y a lieu de faire application de la pénalité nouvelle dans les limites de la peine encourue lors de la commission des faits () ; qu'il y a lieu d'accorder des dommages-intérêts et le bénéfice de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à la partie civile qui est recevable ;
" alors que, d'une part, en l'état de la forte connotation sexuelle des offres incriminées qui n'exprimaient aucune demande de contrepartie pécuniaire et dont les auteurs étaient inconnus des responsables du journal d'annonces gratuites, la cour d'appel avait ainsi caractérisé l'existence de simples offres de débauche, exclusives de toute prostitution, qui demeuraient étrangères au champ d'application de l'article 225-61° du nouveau Code pénal ;
" alors, d'autre part, qu'une offre de débauche objet d'une pollicitation supportée par un organe de presse dont les services ne transmettent pas les éventuelles acceptations à l'offrant demeure en tout état de cause étrangère au champ d'application du texte précité qui exige de la part de l'intermédiaire une véritable activité de rapprochement entre les parties ;
" alors, enfin, que l'office d'intermédiation prévu par l'article 225-61° requiert la condition d'habitude ; qu'une annonce de presse occasionnelle, retirée de son support dès que la police a fait part au journal de ses soupçons sur les activités supposées de l'annonceur, demeure étrangère aux prévisions du texte précité auxquelles font, en tout état de cause, obstacle les dispositions garantissant la liberté de la presse " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à la suite de la parution d'annonces proposant des activités à connotation sexuelle, sous la rubrique " Relaxation " du journal d'annonces gratuit dont il dirige la publication, Michel ... a été cité pour avoir fait office d'intermédiaire entre des personnes se livrant à la prostitution et celles qui les rémunèrent, faits prévus et réprimés par l'article 3346o ancien du Code pénal, applicable lors des faits, devenu l'article 225-61°, nouveau du même Code ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu, qui soutenait qu'en l'absence de toute référence à une contrepartie pécuniaire les annonces incriminées ne constituaient que de simples offres de débauche, désormais exclues du champ d'application de l'article 225-61° précité, les juges d'appel retiennent que les textes de ces annonces ne laissent aucun doute sur la nature prostitutionnelle des activités qu'elles recouvrent ; qu'ils relèvent, par motifs propres et adoptés, que, si le prix des prestations ainsi offertes ne figure que dans les annonces les plus anodines, le coût élevé de publication de ces messages, dont certains paraissent sous forme d'encarts publicitaires, laisse présumer chez l'annonceur l'exercice d'une activité lucrative, de type professionnel ;
Que les juges ajoutent qu'en publiant de telles annonces Michel ... a sciemment servi d'intermédiaire entre des personnes se livrant à la prostitution et leurs clients, en leur permettant d'entrer en relation au moyen de numéros de téléphone ou d'adresses dont il assurait la diffusion ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine de la nature prostitutionnelle des activités proposées, et dès lors que l'habitude n'est pas un élément constitutif du délit prévu par l'article 3346° ancien du Code pénal, devenu l'article 225-51° nouveau du même Code, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir aucun des griefs allégués ;
Que le moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.