Jurisprudence : CA Amiens, 30-01-2024, n° 22/03872

CA Amiens, 30-01-2024, n° 22/03872

A01702KI

Référence

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ARRET

N°96


CPAM [Localité 8] [Localité 9]


C/


Société [6]


COUR D'APPEL D'AMIENS


2EME PROTECTION SOCIALE


ARRET DU 30 JANVIER 2024


*************************************************************


N° RG 22/03872 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IRBF - N° registre 1ère instance : 20/02085


JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'ARRAS (POLE SOCIAL) EN DATE DU 04 juillet 2022



PARTIES EN CAUSE :


APPELANTE


CPAM [Localité 8]-[Localité 9]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]


représentée par Mme [O] [R], munie d'un pouvoir régulier


ET :


INTIMEE


Société [6]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]


représentée par Me Julie Vallez, avocat au barreau de Valenciennes, substituant Me Hervé Moras de la SCP Lemaire - Moras & Associés, avocat au barreau de Valenciennes


DEBATS :


A l'audience publique du 26 octobre 2023 devant M. Renaud Deloffre, conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 945-1 du code de procédure civile🏛 qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 janvier 2024.


GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Aa Ab



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :


M. Renaud Deloffre en a rendu compte à la cour composée en outre de :


M. Philippe Mélin, président,

Mme Graziella Hauduin, président,

et M. Renaud Deloffre, conseiller,


qui en ont délibéré conformément à la loi.


PRONONCE :


Le 30 janvier 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛, M. Philippe Mélin, président a signé la minute avec Mme Diane Videcoq-Tyran, greffier.


*

* *


DECISION


Monsieur [X] [V] a été recruté par la société [6] en qualité de manutentionnaire à compter du 17 septembre 2001.


Il a établi en date du 28 novembre 2019 une déclaration de maladie professionnelle accompagnée d'un certificat médical initial établi le 28 novembre 2019 par le docteur [Z] faisant état de « hernie discale L5 S1 avec scapulalgie gauche ».


Par courrier recommandé du 13 février 2020, la société [6] a émis des réserves.


Par décision en date du 14 mai 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 9] ( ci-après également la caisse ou la CPAM de [Localité 8]-[Localité 9]) a pris en charge la maladie du 30 août 2019 de M. [Ac] [V], au titre du tableau n°98 des maladies professionnelles.


Par courrier du 8 juin 2020, le conseil de la société [6] a saisi la commission de recours amiable afin de contester la décision de prise en charge de la pathologie du 30 août 2019 de MonsAdeur [V].


En sa séance du 9 octobre 2020, la commission de recours amiable a rejeté la demande de la société [6].


Par lettre recommandée avec accusé réception expédiée le 14 octobre 2020, la société [6] a saisi le tribunal judiciaire de Lille afin de contester la décision de rejet implicite de la commission de recours amiable.



Par jugement en date du 4 juillet 2022, le tribunal a décidé ce qui suit :


Le tribunal, par décision contradictoire rendue en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

DÉCLARE inopposable à la société [6] la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 9] du 14 mai 2020 relative à la prise en charge de la maladie professionnelle déclarée le 28 novembre 2019 de M. [Ac] [V] ;

CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 9] à payer à la société [6] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;

CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 9] aux dépens de l'instance ;

DIT que le présent jugement sera notifié à chacune des parties conformément à l'article R. 142-10-7 du code de la sécurité sociale🏛 par le greffe du tribunal.


Appel de ce jugement a été interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 9] par courrier expédié au greffe de la cour le 25 juillet 2022.



Par conclusions reçues par le greffe le 17 janvier 2023 et soutenues oralement par sa représentante, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 9] demande à la cour de :

Recevoir la caisse dans ses conclusions de ce jour ;

Infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Lille en date du 04 juillet 2022 ;Débouter la société [6] de l'ensemble de ses demandes fin et conclusions ;

Confirmer que l'affection dont est atteint Monsieur [V] doit être prise en charge au titre des maladies professionnelles ;

Dire opposable à la société [6] la décision de prise en charge de la maladie déclarée par Monsieur [V] du 30 août 2019 au titre de la législation professionnelle ;

Débouter la société de sa demande de condamnation de la caisse au

titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société [6] à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner la société aux entiers dépens.


Elle fait en substance valoir que :


Elle a parfaitement respecté la procédure d'instruction prévue par les textes, que le dossier était librement consultable avec possibilité d'observations du 27 avril 2020 au 11 mai 2020 puis en consultation uniquement jusqu'à la prise de décision.

En ce qui concerne la condition médicale du tableau, le médecin-conseil a bien constaté l'existence d'une atteinte radiculaire de topographie concordante.

En ce qui concerne le délai de prise en charge de 6 mois, il est respecté puisque la cessation de l'exposition du salarié au risque est le 30 août 2019, date de son placement en arrêt maladie, tandis que la date de première constatation médicale est identique.

En ce qui concerne la preuve de l'exposition au risque, les déclarations du salarié corroborées par les constatations de l'agent assermenté font apparaître la manutention de charges lourdes.


Par conclusions n° 2 reçues par le greffe de la cour le 9 mars 2023 et soutenues oralement par avocat, la société [6] demande à la Cour de :


Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du pôle social de Lille en date du 04/07/2022.

En conséquence,

Dire et juger la Société [6] recevable et bien fondée en son recours.

Infirmer en toutes ses dispositions la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable près la CPAM de [Localité 8] [Localité 9].

Statuant à nouveau,

Dire et juger inopposable à la Société [6] la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8] [Localité 9] en date du 14/05/2020 de prendre en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles la maladie (Cf Tableau n°98) déclarée par Monsieur [X] [V] (N°NIR : [Numéro identifiant 1]) le 28/11/2019.

Débouter la CPAM de [Localité 8] [Localité 9] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Condamner la CPAM de [Localité 8] [Localité 9] à payer à la Société [6] la somme de 3.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner la CPAM de [Localité 8] [Localité 9] aux entiers frais et dépens de l'instance.


Elle fait en substance valoir ce qui suit :

Il n'est pas établi que la caisse l'ait informée de la possibilité de consulter le dossier au moins 10 jours avant la notification de la décision litigieuse ni de la date à laquelle elle prévoyait de prendre sa décision.

Il n'est pas établi que la caisse l'ait informée des examens médicaux pratiqués par MonsAdeur [V].

La caisse a clôturé l'instruction du dossier de Monsieur [V] le même jour que l'établissement du colloque médico-administratif ce qui pose difficulté car l'enquête ne peut être clôturée avant que le colloque soit établi.

Il appartenait à la caisse de répondre à sa lettre de réserves motivées et de diligenter une enquête administrative au contradictoire de toutes les parties.

Il n'est pas établi que la condition médicale tenant à l'atteinte radiculaire de topographie concordante soit remplie.

Rien ne permet de dire que le délai de prise en charge de 6 mois soit respecté. La caisse n'établit pas qu'à la date du 26 août 2019 ou du 1er octobre 2019 Monsieur [V] était encore en activité.

La condition tenant à la liste limitative des travaux prévue au tableau n'est pas remplie, faute notamment de manutention de charges lourdes par le salarié. A l'exception des opérations autour de la ligne de coupe, toutes les opérations s'effectuent au moyen de ponts roulants, pinces, palonniers électriques.



MOTIFS DE L'ARRET.


Aux termes des articles L. 461-1 et L. 461-2 du code de la sécurité sociale🏛🏛 sont présumées d'origine professionnelle les affections énumérées aux tableaux prévus à l'article R. 461-3 du code de la sécurité sociale🏛 lorsqu'il est établi que celui qui en est atteint a été exposé de façon habituelle au cours de son travail, dans les conditions prévues au tableau correspondant, à l'action d'agents nocifs ou à des travaux pouvant s'avérer pathogènes.


Il résulte de ces textes que la maladie telle qu'elle est désignée dans les tableaux de maladies professionnelles est celle définie par les éléments de description et les critères d'appréciation fixés par chacun des tableaux et que la maladie déclarée doit correspondre précisément à celle décrite au tableau, avec tous ses éléments constitutifs, et doit être constatée conformément aux éléments de diagnostic éventuellement prévus.


En cas de contestation par l'employeur, à l'appui d'une demande d'inopposabilité d'une décision de prise en charge, il appartient à la caisse primaire d'assurance maladie, subrogée dans les droits du salarié, de démontrer que les conditions du tableau de maladies professionnelles dont elle invoque l'application sont remplies tandis qu'il revient à l'employeur, si la présomption est établie, d'apporter la preuve contraire à cette dernière en établissant que le travail du salarié n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie.

Il résulte également des textes précités que lorsque le certificat médical initial ne permet pas de dire que la totalité des conditions de la maladie sont remplies, la caisse satisfait à ses obligations en matière de caractérisation de la maladie par la production de l'avis de son médecin conseil faisant apparaître, en se référant à des éléments extrinsèques à cet avis tirés d'un examen ou d'un certificat médical, que la ou les conditions manquantes sont remplies, l'employeur ayant alors la possibilité de solliciter une mesure d'expertise s'il établit l'existence d'un doute sur la pertinence de l'avis du médecin ou des pièces sur lesquelles il s'appuie


Le tableau n° 98 des maladies professionnelles, objet du litige, vise les affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes et l'affection désignée par le tableau est la "sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante" ainsi que la "radiculalgie crurale par hernie discale L2-L3 ou L3-L4 ou L4-L5, avec atteinte radiculaire de topographie concordante".


Il résulte des textes précités et du tableau n° 98 (la problématique étant identique sur ce point en ce qui concerne le tableau n° 97) qu'il appartient au juge, lorsqu'il est saisie d'une contestation de ce chef, de rechercher si l'affection déclarée présentait une atteinte radiculaire de topographie concordante lorsque le libellé de la maladie mentionnée au certificat médical initial est différent de celui figurant au tableau 98 (2e Civ., 4 mai 2016, pourvoi n° 15-18.059⚖️ ; 2e Civ., 7 novembre 2019, pourvoi n° 18-21.742⚖️ ; 2e Civ., 25 novembre 2021, pourvoi n° 20-16.126⚖️), le juge devant alors vérifier si l'avis du médecin-conseil favorable à la prise en charge de cette pathologie était fondé sur un élément médical extrinsèque (en ce sens 2e Civ., 6 janvier 2022, pourvoi n° 20-14.868⚖️ 2e Civ., 25 novembre 2021, pourvoi n° 20-16.126).

En l'espèce, le certificat médical initial fait état d'une « hernie discale avec sciatalgie gauche L5 S1".


Ce diagnostic fait certes état d'une sciatalgie gauche ainsi que d'une hernie discale comprimant la racine L5/S1 droite mais ne fait pas état d'une atteinte radiculaire de topographie concordante c'est-à-dire d'une cohérence entre le niveau de la hernie et le trajet de la symptomatologie douloureuse du patient.


L'avis du praticien-conseil de la caisse ( colloque médico-administratif produit en pièce n° 7 de la caisse) indique le code syndrome, précise que le libellé du syndrome est une sciatique par hernie discale L5-C1 puis indique que l'examen prévu par le tableau a été réalisé et qu'il s'agit du scanner du rachis lombaire du 1er octobre 2019 du docteur [T] à [Localité 7] et il en conclut que les conditions médicales du tableau sont remplies.


Pas plus que le certificat médical initial, l'avis du praticien-conseil de la caisse ne fait pas référence à l'atteinte radiculaire de topographie concordante.


Deux éléments extrinsèques sont visés par l'avis à savoir le scanner précité et la « date de l'arrêt de travail en lien avec la pathologie ».


Le scanner est un élément permettant de mettre en évidence l'atteinte radiculaire mais en aucun cas la topographie concordante de cette atteinte, qui relève d'un examen clinique.


L'arrêt de travail permet d'étayer la date retenue pour la première constatation médicale de la maladie mais n'a strictement aucun lien avec la condition médicale tenant à la constatation clinique de la topographie concordante.


Il convient dans ces conditions de constater que la caisse n'établit pas que la maladie déclarée répondrait à l'intégralité des conditions médicales du tableau.


C'est donc à juste titre que les premiers juges ont décidé que la décision de prise en charge devait être déclarée inopposable à l'employeur ce qui justifie la confirmation du jugement de ce chef, sauf à préciser que l'inopposabilité ainsi prononcée l'est pour le motif de fond tiré de l'absence de caractère professionnel de la maladie dans les rapports entre la caisse et l'employeur à raison de l'absence de caractérisation de l'intégralité des conditions médicales de la maladie désignée au tableau n° 98.


La caisse succombant en ses prétentions, il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et aux frais non répétibles, et ajoutant au jugement, de la condamner aux dépens de première instance de condamner la caisse aux dépens d'appel et à une somme supplémentaire de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en la déboutant de ses prétentions de ce chef.



PAR CES MOTIFS


La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,


Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à préciser que l'inopposabilité qu'il prononce l'est pour le motif de fond tiré de l'absence de caractère professionnel de la maladie de Monsieur [X] [V] dans les rapports entre la caisse et l'employeur à raison de l'absence de caractérisation par la caisse de l'intégralité des conditions médicales de la maladie désignée au tableau n° 98.


Et ajoutant au jugement déféré,


Déboute la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8]-[Localité 9] de ses prétentions sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne à régler à la société [6] de ce dernier chef une somme supplémentaire de 1000 € ainsi qu'aux dépens d'appel.


Le greffier, Le président,

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