Jurisprudence : CA Orléans, 23-01-2024, n° 22/02822, Confirmation


COUR D'APPEL D'ORLÉANS


CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE


GROSSE à :

CPAM DE [Localité 5]

SELARL R & K AVOCATS

EXPÉDITION à :

SOCIÉTÉ [6]

Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS


ARRÊT DU : 23 JANVIER 2024


Minute n°23/2024


N° RG 22/02822 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GWC4


Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire d'ORLEANS en date du 18 Novembre 2022



ENTRE


APPELANTE :


CPAM DE [Localité 5]

[Localité 1]


Représentée par Mme [D] [W], en vertu d'un pouvoir spécial


D'UNE PART,


ET


INTIMÉE :


SOCIÉTÉ [6] venant aux droits de la SOCIÉTÉ [3]

[Adresse 2]

[Adresse 2]


Représentée par Me Michaël RUIMY de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON


D'AUTRE PART,



COMPOSITION DE LA COUR


Lors des débats :


En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue le 21 NOVEMBRE 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Nathalie LAUER, Président de chambre, chargé du rapport.


Lors du délibéré :


Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,

Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller.


Greffier :


Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.


DÉBATS :


A l'audience publique le 21 NOVEMBRE 2023.


ARRÊT :


- Contradictoire, en dernier ressort.


- Prononcé le 23 JANVIER 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile🏛.


- Signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le Magistrat signataire.


* * * * *


Le 22 juillet 2020, la société [3] a déclaré un accident de travail dont a été victime M. [Aa] [C], lequel était retrouvé inanimé sur un chantier. Son décès était constaté le même jour. La caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.


La société [3] a saisi la commission de recours amiable de la caisse par courrier du 14 décembre 2020. En l'absence de réponse, par requête adressée le 3 mars 2021, la société [3] a saisi le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans pour solliciter l'inopposabilité de la décision de la CPAM de [Localité 5] de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l'accident survenu le 20 juillet 2020 à M. [Aa] [C]. La commission de recours amiable a rejeté le recours après saisine de la juridiction.


Par jugement du 18 novembre 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans a :

- déclaré inopposable à la société [3] la décision de la CPAM de [Localité 4] de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail du 20 juillet 2020 dont a été victime M. [Aa] [C],

- condamné la CPAM de [Localité 4] aux entiers dépens.



Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 22 novembre 2022, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] a interjeté appel de ce jugement.


Par conclusions soutenues à l'audience, elle invite la Cour à :

- infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Orléans le 18 novembre 2022,

- confirmer que la prise en charge de l'accident mortel du 20 juillet 2020 est opposable à l'employeur, la société [3].


La société [6], venant aux droits de la société [3] demande à la Cour de :


Vu le code de la sécurité sociale

Vu la jurisprudence précitée,

Vu le jugement du tribunal judiciaire d'Orléans du 18 novembre 2022,

- confirmer le jugement du 18 novembre 2022 rendu par le tribunal judiciaire d'Orléans,

- juger que le dossier mis à disposition de l'employeur est incomplet,

- juger que la CPAM n'a pas respecté les dispositions de l'article R. 461-9 du code de la sécurité sociale🏛,

- juger que la CPAM a violé le principe du contradictoire,

En conséquence,

- déclarer la décision de prise en charge du 27 octobre 2020 du décès de M. [T] [C] inopposable à la société [3],

- condamner la CPAM aux entiers dépens.


Pour l'exposé détaillé des moyens des parties et conformément à l'article 455 du code de procédure civile🏛, il est expressément référé à leurs écritures susvisées.



SUR CE, LA COUR,


La caisse primaire d'assurance maladie poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré inopposable à la société [3] l'accident mortel dont a été victime M. [Aa] [C] le 20 juillet 2020. À l'appui, au fondement des articles L. 411-1, L. 441-6, R. 441-7, R. 441-8, R. 441-14 du Code de la sécurité sociale🏛🏛🏛🏛🏛 elle fait valoir que la caisse a parfaitement rempli son obligation d'information dès lors que l'assuré bénéficiait de la présomption d'imputabilité, la matérialité des faits n'étant pas contestée par l'employeur ; que dès lors que l'enquête administrative ne remet pas en cause tous les éléments essentiels de la matérialité, l'avis du médecin-conseil n'était pas requis, la reconnaissance étant d'ores et déjà acquise en l'absence de pathologie permettant de détruire juridiquement et de manière certaine la présomption d'imputabilité du décès au temps et au lieu du travail ; qu'elle n'avait aucune obligation de demander un certificat médical de décès alors qu'elle disposait du certificat de décès (voir notamment Cour d'appel d'Orléans, 18 janvier 2022, n° 21/2022) ; que de la même façon, elle n'avait pas l'obligation de procéder à un examen médical envisagé par l'article R. 442-1 du Code de la sécurité sociale🏛, d'autant plus au regard du décès de l'assuré ; que cet article offre à la caisse une simple faculté de faire procéder à un examen de la victime par un médecin-conseil ; que, cependant, s'agissant d'un malaise mortel, il convient de rappeler que la cause du décès est par nature interne et non immédiatement qualifiable sur le plan médical, sauf à recourir à la procédure d'autopsie prévue à l'article L. 442-4 du Code de la sécurité sociale🏛 ; que, s'agissant du certificat médical de décès, contrairement à ce qu'affirme l'employeur, la caisse n'avait aucune obligation de l'avoir en sa possession comme le rappellent plusieurs cours d'appel.


La société [6], venant aux droits de la société [3], conclut à la confirmation du jugement sur ce point. Elle expose principalement que le dossier mis à disposition de l'employeur était incomplet dans la mesure où manquent le certificat médical de décès ainsi que l'avis du médecin-conseil de la CPAM sur l'imputabilité du décès. Elle rappelle que selon les dispositions de l'article R. 434-31 du Code de la sécurité sociale🏛, dès qu'il apparaît que l'accident a entraîné, entraîne ou paraît entraîner la mort ou une incapacité permanente de travail, la caisse, à quelque époque que ce soit prend l'avis du service médical ; que la liste édictée par l'article R. 441-14 de ce même code n'est pas exhaustive ; que la CPAM doit tenir à la disposition de l'employeur tous les éléments de nature à lui faire grief ; que la Cour de cassation confirme que le dossier mis à disposition de l'employeur doit contenir l'ensemble des pièces constitutives du dossier ayant permis à la CPAM de prendre sa décision (Civ., 2ème 16 septembre 2010, n° 09-67.727⚖️), cette position étant confirmée à plusieurs reprises ; que le dossier doit être complet dès la clôture de l'instruction ; qu'il appartient à la caisse d'adresser une nouvelle lettre de clôture à l'employeur afin de lui permettre de consulter les pièces qui n'étaient pas au dossier mis à sa disposition lors de la consultation (Cour d'appel de Rennes, 22 mai 2019, RG n° 17/04037⚖️) ; qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation que l'avis du médecin-conseil doit figurer dans le dossier mis à disposition de l'employeur (Civ., 2ème 13 février 2014 n° 12-28.889⚖️) ;


qu'en matière de décès, la jurisprudence est claire sur l'obligation impérative de communiquer à l'employeur l'avis du médecin-conseil portant sur l'imputabilité d'un décès ainsi que le certificat médical initial indiquant la cause de ce décès ; que bien qu'il ne soit pas mentionné à l'article R. 441-13 du Code de la sécurité sociale🏛, l'avis du médecin-conseil de la CPAM est en effet susceptible de faire grief à l'employeur ; que l'avis du médecin conseil comme le certificat médical de décès permettent de prendre connaissance des éléments sur lesquels le médecin-conseil s'est basé pour considérer que le décès était imputable au travail (Cour d'appel de Caen, 17 décembre 2020, RG n° 18/01212⚖️) ; que la Cour d'appel de Nancy est venue rappeler que le certificat médical initial ou le certificat de décès, constatant les causes du décès, devait figurer au dossier mis à disposition de l'employeur (22 mai 2019 RG n° 19/00056) ; que ce document, médical, ne saurait être assimilé à l'acte de décès, acte administratif délivré par un officier d'état civil, dans la mesure où il n'établit en aucun cas la ou les causes du décès ; qu'il appartient à la CPAM de prouver qu'elle a respecté son devoir d'information et donc le principe du contradictoire à l'égard de l'employeur (Civ., 2ème 24 mai 2017 n° 16-17.728⚖️) ; qu'en l'espèce ne figurait pas dans le dossier consulté le certificat médical de décès portant mention des causes de ce décès, pas plus que l'avis motivé du médecin-conseil de la CPAM sur l'imputabilité du décès au travail ; que si l'intitulé des pièces disponibles à la consultation fait état d'un certificat médical initial (pièce n° 8 capture d'écran des pièces consultables le 26 octobre 2020), il s'agit en réalité de l'acte administratif de décès de Aa. [P] [C] alors que ce dernier ne se confond pas avec le certificat médical initial (Cour d'appel de Bordeaux, 17 septembre 2020 n° 18/01576) ; que la CPAM confirme elle-même qu'elle ne s'est basée que sur la déclaration d'accident du travail et sur l'acte de décès pour prendre en charge l'accident et le décès de M. [Aa] [C] ; qu'elle ne disposait donc d'aucun élément médical permettant de déterminer si la crise cardiaque était en lien avec l'activité professionnelle ; qu'il est étonnant que la CPAM ait pu émettre un avis sur l'imputabilité du décès de M. [Aa] [C] sans même avoir pris connaissance des causes de ce décès et ce d'autant qu'elle n'a manifestement pas pris connaissance des résultats de l'autopsie alors que l'employeur l'avait alerté à deux reprises sur ce point ; que par surcroît l'avis du médecin conseil sur l'imputabilité du décès au travail n'a pas plus été mis à disposition de l'employeur lors de la consultation du dossier alors que cet avis est obligatoire selon les dispositions de l'article R. 434-31 du Code de la sécurité sociale et destiné à éclairer la caisse sur les raisons médicales justifiant la prise en charge au titre de la législation professionnelle et donc l'imputabilité du décès au travail ; qu'ainsi, il doit se trouver impérativement au dossier constitué par la CPAM et mis à disposition de l'employeur alors que tel n'était pas le cas en l'espèce ; que par conséquent, à défaut de comprendre l'ensemble des pièces sur lesquelles la CPAM a pris sa décision, l'inopposabilité de la décision de prise en charge doit être prononcée car rendue en violation du principe du contradictoire ; que M. [Aa] [C] est décédé d'une crise cardiaque sans qu'aucun signe avant-coureur n'ait été détecté de sorte que l'imputabilité au travail n'était donc pas certaine, ce qui rendait l'avis du médecin-conseil de la CPAM nécessaire pour déterminer s'il existait un état pathologique antérieur ou non ; qu'en définitive, la carence de la CPAM fait nécessairement grief à l'employeur qui s'est trouvé dans l'impossibilité d'apprécier la justification médicale de la prise en charge au titre de la législation professionnelle du décès de son salarié.


Appréciation de la Cour


En application de l'article R. 441-8 du Code de la sécurité sociale 'I.-Lorsque la caisse engage des investigations, elle dispose d'un délai de quatre-vingt-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident.


Dans ce cas, la caisse adresse un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident à l'employeur ainsi qu'à la victime ou ses représentants, dans le délai de trente jours francs mentionné à l'article R. 441-7 et par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Ce questionnaire est retourné dans un délai de vingt jours francs à compter de sa date de réception. La caisse peut en outre recourir à une enquête complémentaire. En cas de décès de la victime, la caisse procède obligatoirement à une enquête, sans adresser de questionnaire préalable.


La caisse informe la victime ou ses représentants ainsi que l'employeur de la date d'expiration du délai prévu au premier alinéa lors de l'envoi du questionnaire ou, le cas échéant, lors de l'ouverture de l'enquête.


II.-A l'issue de ses investigations et au plus tard soixante-dix jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial, la caisse met le dossier mentionné à l'article R. 441-14 à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu'à celle de l'employeur. Ceux-ci disposent d'un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations, qui sont annexées au dossier. Au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l'employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d'observations'.


La caisse informe la victime ou ses représentants et l'employeur des dates d'ouverture et de clôture de la période au cours de laquelle ils peuvent consulter le dossier ainsi que de celle au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information et au plus tard dix jours francs avant le début de la période de consultation.


Selon l'article R. 441-14 du Code de la sécurité sociale dans sa version applicable aux faits de l'espèce, 'le dossier mentionné aux articles R. 441-8 et R. 461-9 constitué par la caisse primaire comprend ;

1°) la déclaration d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;

2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;

3°) les constats faits par la caisse primaire ;

4°) les informations communiquées à la caisse par la victime ou ses représentants ainsi que par l'employeur ;

5°) les éléments communiqués par la caisse régionale ou, le cas échéant, tout autre organisme.

Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur.

Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire'.


Ainsi, la caisse primaire d'assurance maladie, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, doit informer l'employeur de la fin de l'instruction, des éléments recueillis susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoit de prendre sa décision.


Le non-respect par la caisse de son obligation d'information au cours de la procédure d'instruction est sanctionné, si celle-ci aboutit à une décision de prise en charge, par l'inopposabilité de celle-ci à l'employeur, celui-ci étant privé de la faculté de faire valoir des éléments susceptibles d'éclairer la caisse et de peser sur le sens d'une décision susceptible de lui faire grief.


En l'espèce, il est établi par les pièces produites aux débats qu'alors qu'au titre des pièces constitutives du dossier de la caisse sont mentionnés la déclaration d'accident du travail, le certificat médical initial, les réserves de l'employeur et le rapport de l'agent enquêteur, seul l'acte de décès est présent au dossier et non le certificat médical de décès. L'acte d'état civil de décès, en ce qu'il est bien évidemment dépourvu de toute constatation médicale, ne saurait être assimilé à ce dernier de sorte que le dossier constitué par la caisse est dépourvu de tout élément médical relatif au malaise et au décès de M. [Aa] [C], ce qui fait nécessairement grief à l'employeur, empêché de faire valoir, comme il a été dit ci-dessus, des éléments susceptibles d'éclairer la caisse et de peser sur le sens d'une décision susceptible de lui faire grief.


En conséquence, sans qu'il n'y ait lieu dès lors d'explorer les autres moyens développés par l'employeur, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré inopposable à la société [6] la décision de prise en charge du décès de M. [Aa] [C] au titre de la législation sur les risques professionnels.


De ce fait, le jugement déféré sera également confirmé en ses dispositions accessoires.


En tant que partie perdante, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] supportera les dépens d'appel.



PAR CES MOTIFS :


Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,


Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 novembre 2022 par le Pôle social du tribunal judiciaire d'Orléans ;


Et, y ajoutant,


Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] aux dépens d'appel.


LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Agir sur cette sélection :