CE 9/10 ch.-r., 30-01-2024, n° 471649, mentionné aux tables du recueil Lebon
A00812IT
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2024:471649.20240130
Référence
54-01 Eu égard au rôle dévolu dans l’instruction des demandes d’autorisation d’utilisation du sol au maire d’arrondissement, élu de la personne morale que constitue la Ville de Paris, la notification d’un recours gracieux ou d’un recours contentieux contre un permis de construire délivré par le maire de Paris, au maire de l’arrondissement dans lequel se situe le terrain d’assiette du projet, à l’adresse de la mairie d’arrondissement, doit être regardée comme une notification faite à l’auteur de la décision au sens de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, alors même que l’affichage de ce permis sur ce terrain ne fait pas mention de cette adresse.
M. C J, Mme O I, M. G M, M. P T, Mme H S épouse T, M. K A, M. B L, Mme Q F épouse L, M. U N et Mme E D ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés des 3 juillet 2019 et 6 octobre 2020 par lesquels R de Paris a délivré un permis de construire et un permis modificatif à la société civile immobilière Financière Saint Louis pour la surélévation d'un immeuble situé au 126, rue de Charenton (XIIème arrondissement), ainsi que la décision du 13 novembre 2019 rejetant leur recours gracieux contre le permis initial. Par un jugement n° 1927565/4-2 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a fait droit à ces demandes.
Par un arrêt n° 21PA04959 du 29 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris⚖️ a, sur appel de la société civile immobilière Financière Saint Louis, annulé ce jugement et rejeté les demandes de M. J et autres.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 février et 23 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. J, M, T, A et L et Mmes I, T et L demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société civile immobilière Financière Saint Louis ;
3°) de mettre à la charge de la société civile immobilière Financière Saint Louis et de la Ville de Paris une somme globale de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. C J, représentant unique désigné, et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société civile immobilière financière Saint Louis ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêté du 3 juillet 2019, R de Paris a délivré à la société civile immobilière (SCI) Financière Saint Louis un permis de construire portant sur la surélévation d'un immeuble situé en fond de cour au 126 rue de Charenton, dans le XIIème arrondissement de Paris. Saisi par M. J et d'autres voisins du projet, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 6 juillet 2021, annulé cet arrêté, la décision rejetant le recours gracieux formé à son encontre ainsi que l'arrêté du 6 octobre 2020 portant délivrance d'un permis modificatif. Par un arrêt du 29 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement sur appel de la SCI Financière Saint Louis, au motif, d'une part, que les conclusions tendant à l'annulation du permis initial étaient irrecevables, faute pour les demandeurs d'avoir notifié leur recours au maire de Paris et, d'autre part, que les conclusions dirigées contre le permis modificatif étaient également irrecevables, en raison de l'absence d'intérêt à agir des demandeurs au regard des modifications apportées par ce permis au permis initial. M. J et autres se pourvoient en cassation contre cet arrêt.
2. L'article R. 600-1 du code de l'urbanisme🏛 dispose que :
" En cas () de recours contentieux à l'encontre () d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, () l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. () L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif (). ".
3. Aux termes de l'article L. 2511-1 du code général des collectivités territoriales🏛 : " La Ville de Paris et les communes de Marseille et Lyon sont soumises aux règles applicables aux communes, sous réserve des dispositions du présent titre et des autres dispositions législatives qui leur sont propres ". L'article L. 2511-25 du même code prévoit que le conseil d'arrondissement élit le maire d'arrondissement, lequel est chargé, en vertu de l'article L. 2511-26 de ce code🏛, de certaines attributions relevant du maire de la commune ou du maire de Paris. Aux termes de l'article L. 2511-30 du même code : " Le maire d'arrondissement émet un avis sur toute autorisation d'utilisation du sol dans l'arrondissement délivrée par le maire de la commune ou le maire de Paris et au nom de celle-ci en application des dispositions du code de l'urbanisme () ".
4. Les dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme visent, dans un but de sécurité juridique, à permettre au bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme, ainsi qu'à l'auteur de cette décision, d'être informés à bref délai de l'existence d'un recours gracieux ou contentieux dirigé contre elle. Eu égard au rôle dévolu dans l'instruction des demandes d'autorisation d'utilisation du sol au maire d'arrondissement, élu de la personne morale que constitue la Ville de Paris, la notification d'un recours gracieux ou d'un recours contentieux contre un permis de construire délivré par le maire de Paris, au maire de l'arrondissement dans lequel se situe le terrain d'assiette du projet, à l'adresse de la mairie d'arrondissement, doit être regardée comme une notification faite à l'auteur de la décision au sens de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme, alors même que l'affichage de ce permis sur ce terrain ne fait pas mention de cette adresse.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. J et autres ont adressé la notification de leur recours contentieux contre le permis de construire initial délivré par R de Paris à la SCI Financière Saint Louis, pour un projet situé dans le XIIème arrondissement de Paris, à l'adresse " Hôtel de Ville du 12ème arrondissement de Paris - Madame R - 130 avenue Daumesnil 75012 Paris ". Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en estimant que ce recours contentieux n'avait pas fait l'objet d'une notification à l'auteur du permis litigieux, pour en déduire que les conclusions tendant à l'annulation du permis de construire initial étaient irrecevables, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit.
6. La cour ayant, en raison de l'irrecevabilité qu'elle a ainsi opposée à tort aux conclusions dirigées contre le permis initial, dénié l'intérêt à agir des demandeurs contre le permis modificatif en ne prenant en compte que les seules modifications apportées par celui-ci au projet, il y a lieu, par suite, d'annuler également l'arrêt en tant qu'il s'est prononcé sur le permis modificatif.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI Financière Saint Louis, d'une part, et de la Ville de Paris, d'autre part, le versement à M. J et autres d'une somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. J et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 29 décembre 2022 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : La société civile immobilière Financière Saint Louis et la Ville de Paris verseront à M. J et autres une somme de 1500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société civile immobilière Financière Saint Louis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. C J, représentant unique désigné, à la société civile immobilière Financière Saint Louis et à la Ville de Paris.
Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 30 janvier 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Chloé-Claudia SediangZKOBF31L