Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 15 Novembre 1995
Cassation partielle
N° de pourvoi 94-85.414
Président M. Le Gunehec
Demandeur ... Bruno
Rapporteur M. ....
Avocat général M. Libouban.
Avocat la SCP Defrénois et Levis.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par ... Bruno, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, du 6 octobre 1994 qui, sur renvoi après cassation, dans les poursuites exercées contre Daniel Boulle, Jean ... et Henri ... pour exécution de travaux en méconnaissance des prescriptions du plan d'occupation des sols, l'a débouté de sa demande après avoir relaxé les prévenus.
LA COUR,
Vu le mémoire personnel produit en demande et les mémoires en défense ;
Sur les faits et la procédure ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Daniel Boulle, Jean ... et Henri ... ont, en tant que dirigeants d'Electricité de France, fait installer un transformateur au lieudit " La Villette à Tousson " en vertu d'un permis de construire du 13 mars 1986 ;
Attendu que, par arrêté du 17 octobre 1985, le préfet avait déclaré les travaux d'utilité publique et modifié le plan d'occupation des sols, afin de rendre licite l'implantation de ce transformateur au lieudit " La Villette ", classé comme " espace boisé ", mais que cet arrêté a été annulé le 3 juillet 1986 par le tribunal administratif ; que, les travaux ayant été poursuivis après cette date, Bruno ..., ainsi que plusieurs habitants de la commune, ont fait citer les responsables d'Electricité de France susnommés devant le tribunal correctionnel pour exécution de travaux en méconnaissance des prescriptions du plan d'occupation des sols ;
Attendu que, la cour d'appel de Paris ayant déclaré les prévenus coupables de cette infraction, la Cour de Cassation, par arrêt du 3 mars 1992, a annulé l'arrêt intervenu, en retenant que les juges auraient dû saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle relative à la légalité du permis de construire ;
Que, par un nouvel arrêt du 16 novembre 1993, cette Cour a cassé l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans désignée comme cour de renvoi, qui avait sursis à statuer et donné un délai de 3 mois aux prévenus pour saisir la juridiction administrative, en retenant que c'était à la partie qui contestait la légalité du permis de construire de saisir la juridiction administrative ;
Attendu que, désignée comme nouvelle cour de renvoi, la cour d'appel de Versailles a statué par l'arrêt attaqué ;
En cet état
Sur le moyen unique de cassation proposé et pris de la violation de l'article 122-3 du Code pénal entré en vigueur le 15 mars 1994
Vu ledit article, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte de l'article 122-3 du Code pénal que seule la personne poursuivie est fondée à invoquer une erreur sur le droit au sens de ce texte ;
Attendu, en outre, que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour relaxer les prévenus et débouter la partie civile de sa demande, la juridiction du second degré retient " qu'il est constant que le transformateur litigieux a été édifié conformément à un permis de construire délivré le 13 mars 1986 ; que cette autorisation, émanant d'une administration compétente, était réputée révélatrice d'une conformité de la construction envisagée aux règles d'urbanisme et notamment aux dispositions du plan d'occupation des sols ; qu'elle a généré, chez les personnes responsables de cette construction, la croyance en une possibilité d'accomplir légitimement l'acte incriminé, par une erreur de droit qu'elles n'étaient pas, au sens de l'article 122-3 du Code pénal, en mesure d'éviter " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que les prévenus ne s'étaient pas eux-mêmes prévalus des dispositions de l'article 122-3 et que, par ailleurs, les juges ont relevé que l'arrêté préfectoral du 17 octobre 1985, dont l'objet était de modifier le plan d'occupation des sols pour rendre la construction licite, avait été annulé le 3 juillet 1986 par le tribunal administratif avant la reprise des travaux, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des principes susénoncés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions civiles, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, du 6 octobre 1994, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen.