CIV.3 IG
COUR DE CASSATION
Audience publique du 8 mars 1995
Rejet
M. BEAUVOIS, président
Arrêt n° 552 P
Pourvoi n° 93-13.659/T
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société Maître Z et Maître Noiraix Y, administrateur judiciaire et représentant des créanciers de la société Loft C2, dont le siège est à Villefranche-sur-Saône (Rhône),
en cassation d'un arrêt rendu le 27 janvier 1993 par la cour d'appel de Lyon (2e chambre), au profit de
1°) la société Gouillon-Giroud, dont le siège est 56, rue des Docks (9e) (Rhône), 2°) la société Ulti Service, dont le siège est à Villefranche-sur-Saône (Rhône),
3°) la société Debrun, dont le siège est à Villefranche-sur-Saône (Rhône), 4°) la société Fayard, dont le siège est à Fontaines-sur-Saône (Rhône),
5°) M. S, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Fayard, demeurant à Lyon (1er) (Rhône), 6°) la société Electro Force (SEF), dont le siège est à Villefranche-sur-Saône (Rhône),
7°) M. Gilles Q, demeurant à Lyon (Rhône), 8°) la société Glacever, dont le siège est à Villefranche-sur-Saône (Rhône), défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 1er février 1995, où étaient présents M. Beauvois, président, M. Chapron, conseiller référendaire rapporteur, MM. ..., ..., Mlle ..., MM. ..., ..., conseillers, Mme Cobert, conseiller référendaire, M. Baechlin, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Chapron, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. Z et de M. Noiraix Y, ès qualités, de la SCP Coutard et Mayer, avocat de la société Gouillon-Giroud et de la société Debrun, de Me Boulloche, avocat de la société Ulti Service, les conclusions de M. Baechlin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à la société Loft C2 et à MM. Z et Y Y, ès qualités, du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Fayard, M. S, ès qualités, la société Electro Force et la société Glacever ;
Sur le premier moyen
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 27 janvier 1993), qu'en 1985, la société Loft C2, depuis en redressement judiciaire, qui avait décidé la transformation de bâtiments anciens en centre sportif, a chargé M. Q, architecte, d'une mission de maîtrise d' uvre et a conclu des marchés séparés avec plusieurs entrepreneurs, dont la société Gouillon-Giroud, chargée du gros uvre, la société Debrun, chargée des menuiseries et la société Ulti-Service, qui a posé les revêtements de sol ; que la société Loft C2, soutenant que les marchés conclus étaient forfaitaires, a refusé de payer les soldes réclamés et, invoquant des désordres et des retards, a assigné les locateurs d'ouvrage en réparation ;
Attendu que la société Loft C2 fait grief à l'arrêt de dire que les marchés ne sont pas forfaitaires et de la condamner à payer diverses sommes aux entrepreneurs, alors, selon le moyen, que les juges du fond ne peuvent, pour condamner le maître de l'ouvrage à payer à un entrepreneur une somme supérieure à celle forfaitairement fixée en paiement de travaux supplémentaires, sans constater que les modifications demandées avaient entraîné un bouleversement de l'économie du contrat, sans relever, à défaut d'une autorisation écrite du maître de l'ouvrage de tous ces travaux, et sans rechercher si le maître d'oeuvre avait reçu mandat à cet effet ; qu'il résulte des termes même du jugement, dont les motifs ont été expressément adoptés, que les parties étaient convenues d'un prix ferme et forfaitaire et qu'il avait également expressément été prévu que la modification du volume des travaux ou du prix nécessitait une commande écrite du maître de l'ouvrage ; que si les juges du fond avaient relevé que les modifications qui sont intervenues l'avaient été soit à la demande de la société Loft C2, soit à celle du maître d'oeuvre, ils ont eux-mêmes relevé que, pour aucune de ces modifications, il n'a été établi d'écrit ; qu'ainsi, il ne pouvait aucunement être établi que les commandes avaient été effectivement passées par le maître de l'ouvrage ; que, dans ces conditions, en jugeant que le contrat avait perdu sa qualité de marché à forfait, tout en constatant l'absence de commande écrite des modifications, bien que l'écrit fût une condition nécessaire de l'admission d'une modification du prix aux termes des contrats conclus par les parties et de l'article 1793 du Code civil, la cour d'appel a violé ce texte par refus d'application, ensemble l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que de nombreuses modifications avaient été apportées aux marchés initiaux, que ni les plans originaires ni les descriptifs annexés aux marchés n'avaient été respectés, que le volume et la nature des prestations fournies par chaque entrepreneur avaient été modifiés de façon considérable en cours d'exécution des travaux et que ces modifications avaient été voulues par le maître de l'ouvrage, la cour d'appel en a exactement déduit que le bouleversement de l'économie de tous les contrats avait fait perdre aux marchés leur caractère forfaitaire ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen
Attendu que la société Loft C2 fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation in solidum de M. Q et des sociétés Gouillon-Giroud et Ulti Service à réparer le préjudice économique et commercial subi, alors, selon le moyen, " que chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à la réparer en totalité, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel est procédé entre eux et qui n'affecte pas l'étendue de leurs obligations envers la partie lésée ; que les différents entrepreneurs et l'architecte, par leur défaillance respective, avaient concouru à causer le préjudice subi par la société Loft C2 et dont la réalité a été expressément constatée par la cour d'appel ; que si certaines défaillances étaient plus graves et plus significatives que d'autres, il n'est pas moins constant que chacune d'entre elles, quelle que fût son importance, avait concouru à la production de l'entier dommage ; que bien qu'elle eût expressément relevé ce concours de contractuelles à l'origine du dommage et les condamner seulement en fonction de la gravité de leurs fautes respectives et chacun pour leur part à indemniser la victime ; d'où il suit qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1202 et 1147 du Code civil " ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les carences imputables à M. Q avaient eu une incidence certaine sur le retard pris par les travaux et les difficultés d'exploitation rencontrées, que le préjudice financier dû à l'impossibilité d'appliquer des pénalités de retard aux entreprises était imputable seulement à M. Q et que les fautes commises par les sociétés Gouillon-Giroud et Ulti Service n'affectaient l'utilisation que d'une ou deux installations du complexe sportif, la cour d'appel en a exactement déduit que leurs fautes n'ayant pas concouru à la réalisation de l'entier dommage commercial subi, l'architecte et les entrepreneurs ne devaient pas être condamnés in solidum ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi.
Condamne, ensemble, la société Loft C2 et MM. Z et Y Y, ès qualités, à payer aux sociétés Gouillon-Giroud et Debrun, d'une part, et à la société Ulti Service, d'autre part, chacun la somme de 8 000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne, ensemble, la société Loft C2 et MM. Z et Y Y, ès qualités, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du huit mars mil neuf cent quatre-vingt-quinze.