ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Civile 1
17 Janvier 1995
Pourvoi N° 93-11.412
M. Jean ...
contre
M. Pierre ....
Attendu que, le 29 octobre 1957, Robert ..., est décédé en laissant sa veuve, Georgette ..., et leurs deux enfants, MM ... et ... ..., que par acte du 19 juillet 1958, Georgette ... a consenti à ceux-ci une donation-partage de certains des biens ayant dépendu de la communauté ayant existé entre les époux ou de la succession ; que cet acte mentionnait le rapport dû par M. Jean ... à la succession de son père, d'une somme représentant la dot qui lui avait été constituée en avancement d'hoirie ; qu'après le décès de leur mère, survenu le 3 avril 1985, M. Pierre ... a assigné son frère en partage de la communauté ayant existé entre leurs parents et des successions de ceux-ci ;
qu'au cours des opérations, M. Jean ... a demandé que son frère rapporte à la succession de Robert ... la valeur de la donation déguisée dont M. Pierre ... avait bénéficié lors de la cession d'une étude notariale que son père lui avait consentie par un acte du 14 novembre 1950, moyennant un prix de 1 733 000 francs qui n'avait pas été versé ; que le Tribunal a accueilli cette demande et dit que le rapport se ferait selon les dispositions de l'article 860 du Code civil ; que sur son appel, M. Pierre ..., qui soutenait que dans l'acte de 1958, son frère avait renoncé à demander le rapport de la donation déguisée, a aussi demandé que celui-ci rapporte une somme de 2 019 910 francs, montant des dons manuels et avantages indirects qu'il aurait reçus de son père ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en ses deux branches
Attendu que M. Pierre ... reproche à l'arrêt attaqué, qui a statué sur ces demandes, d'une part, d'avoir dénaturé la clause de l'acte de donation partage du 19 juillet 1958 qui énonce que " MM ... et ... ... reconnaissent qu'aucun autre rapport que celui ci-dessus n'est à faire à la succession de Robert ..., leur père ; ils déclarent enfin qu'ils sont quittes de toutes dettes et charges l'un envers l'autre ", et, d'autre part, de n'avoir pas répondu aux conclusions par lesquelles il faisait valoir que cet acte, consacrant des accords familiaux, avait précisément pour but de constater l'égalité des avantages accordés par les parents à chacun de leurs deux enfants, le prix de la cession de l'office étant de même importance que le montant des fonds remis à M. Jean ... ;
Mais attendu que la cour d'appel, par une interprétation que l'ambiguïté de l'acte du 19 juillet 1958 rendait nécessaire, a estimé que la clause litigieuse ne visait que les biens objets de l'acte et que la stipulation relative à l'absence de rapport ne pouvait s'appliquer à d'autres biens et en particulier à l'office notarial ;
que dès lors, elle n'était pas tenue de répondre au simple argument dont fait état la seconde branche du moyen ; que celui-ci ne peut donc être accueilli ; Et sur le second moyen du pourvoi incident, pris en ses deux branches
Attendu que M. Pierre ... n'a pas soutenu devant la cour d'appel que son frère aurait été débiteur de la succession, mais a seulement demandé le rapport des donations qui lui auraient été consenties ; qu'en estimant qu'il ne rapportait pas la preuve de l'intention libérale qui aurait animé Robert ... lorsqu'il a mis à la disposition de son fils Jean les sommes litigieuses, la cour d'appel a, sans inverser la charge de la preuve, nécessairement exclu l'existence de telles donations ; que par ce seul motif, elle a légalement justifié sa décision ; que le moyen, inopérant en sa première branche, ne peut donc être accueilli ;
Mais sur l'unique moyen du pourvoi principal
Vu l'article 843 du Code civil ;
Attendu qu'en décidant que la donation déguisée portant sur l'office notarial n'est soumise à réduction que si sa valeur excède la quotité disponible calculée sur la masse des biens de la succession à laquelle aura été fictivement ajoutée la valeur de cette cession, sans constater la volonté du donateur de dispenser M. Pierre ... de rapport, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a statué sur le rapport de la donation déguisée dont a bénéficié M. Pierre ... à la suite de l'acte du 14 novembre 1950, l'arrêt rendu le 6 novembre 1992, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai.