ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Civile 1
10 Janvier 1995
Pourvoi N° 92-18.762
M. ... et autres
contre
conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Tours et autres.
Joint les pourvois n°s 92-18762 et 92-44501, en raison de leur connexité ;
Sur la recevabilité du pourvoi 92-44501
Attendu qu'une même personne, agissant en la même qualité, ne peut former qu'un seul pourvoi en cassation contre la même décision ;
Attendu que MM ..., ..., ..., ..., ..., ... ont formé, le 26 octobre 1992, contre un arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 26 juin 1992, un pourvoi enregistré sous le n° 92-44501 ;
Attendu que les susnommés, qui, en la même qualité avaient déjà formé contre la même décision, le 26 août 1992, un pourvoi enregistré sous le numéro 92-18762, ne sont pas recevables à former un nouveau recours en cassation ;
Sur le pourvoi n° 92-18762
Reçoit le Syndicat des avocats de France, l'Association française des avocats d'entreprise, l'association Juri-Avenir en leur intervention à l'appui des prétentions de M. ... et autres ;
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, (Orléans, 26 juin 1992), que MM ..., ..., ..., ..., ... et ..., avocats au barreau de Tours, ont formé un recours contre la décision du conseil de l'Ordre de porter au tableau, établi pour l'année 1992, la mention d'avocat salarié, à la suite du nom des avocats inscrits sous cette modalité ;
Sur le premier moyen
Attendu que les susnommés font grief à la cour d'appel d'avoir rejeté leur recours, alors qu'en affirmant, tout à la fois, que l'exercice de la profession d'avocat en qualité de salarié pouvait susciter des inquiétudes chez la clientèle, quoique les risques de dépendance à redouter ne fussent pas réels, que d'ailleurs le législateur avait pris toutes les précautions pour assurer l'indépendance des avocats salariés, pour terminer en relevant que l'intervention de l'avocat salarié créait le risque d'une maîtrise occulte du dossier par l'employeur, la cour d'appel se serait contredite et aurait privé sa décision de motifs ;
Mais attendu que la cour d'appel ne s'est pas contredite en rappelant, d'une part, les précautions prises par le législateur pour assurer l'indépendance des avocats salariés, en retenant, d'autre part, l'utilité d'informer le justiciable, avant même qu'il fasse choix d'un avocat, de la nature et de l'étendue des rapports qui s'établissent nécessairement entre lui-même et l'employeur d'un avocat salarié ; que, dès lors, le moyen n'est pas fondé ; Sur le second moyen, pris en ses deux branches
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que le tableau des avocats au barreau de Tours devait comporter la mention " avocat salarié ", alors, selon le moyen, de première part, qu'il est interdit au juge de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui lui sont soumises ; que pour statuer comme elle a fait, la cour d'appel, après avoir rappelé que la loi de 1990 se borne à énoncer les mentions qui peuvent, de manière facultative, suivre le nom de l'avocat, ne pouvait se demander si d'autres modes d'exercice de la profession, en d'autres termes le salariat, ne devaient pas être portées à la connaissance du public ; qu'en se déterminant ainsi, à partir de considérations relatives à l'opportunité d'imposer une mention que la loi n'avait pas rendue obligatoire, la cour d'appel s'est substituée au législateur, méconnaissant ainsi ses pouvoirs, en violation de l'article 5 du Code civil ; et alors d'autre part, que la profession d'avocat est une profession libérale et indépendante ; que l'avocat salarié bénéficie de l'indépendance que comporte son serment ; que si la loi du 31 décembre 1990 a fait apparaître le statut d'avocat salarié, elle n'a nulle part imposé que cette qualité figure au tableau ; que celui-ci ne comporte que la seule distinction entre personnes physiques ou morales ; que, pour l'information de la clientèle, l'article 136 du décret du 27 novembre 1991 impose seulement à l'avocat salarié d'indiquer l'avocat pour le compte de qui il agit ; qu'enfin, le lien de subordination, caractéristique du salariat, n'existe que pour la détermination des conditions du travail, mais non pour l'exercice de la profession et les rapports avec le client ; qu'en décidant, dans ces conditions, d'imposer dans le tableau l'usage d'une mention établissant une discrimination entre les avocats salariés et les autres, la cour d'appel a méconnu les articles 1, alinéas 3 et 7, alinéa 4, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifié par la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990, les articles 95, 136 et 137 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
Mais attendu que l'article 162 du décret du 27 novembre 1991 prévoit que le règlement intérieur du conseil de l'Ordre fixe les dispositions nécessaires pour assurer l'information du public quant aux modalités d'exercice de la profession par les membres du barreau ; Que la cour d'appel, qui a relevé qu'aux termes de l'article 7, alinéa 4, de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, l'avocat salarié ne peut avoir de clientèle personnelle, et qui a constaté les rapports particuliers qui s'instaurent, de ce fait, entre le client et l'avocat employeur, en a déduit à bon droit, sans aggraver par là les différences de situation établies par la loi entre les avocats, ni édicter une règle de portée générale, que la décision du conseil de l'Ordre de porter au tableau la mention de salarié après le nom des avocats exerçant en cette qualité était licite, parce que de nature à assurer une complète information du public et à favoriser un choix éclairé de son conseil par le client ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
PAR CES MOTIFS
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° 92-44501 ;
REJETTE le pourvoi n° 92-18762.