Jurisprudence : CA Bordeaux, 11-01-2024, n° 21/04527

CA Bordeaux, 11-01-2024, n° 21/04527

A20062EZ

Référence

CA Bordeaux, 11-01-2024, n° 21/04527. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/104149423-ca-bordeaux-11012024-n-2104527
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COUR D'APPEL DE BORDEAUX


CHAMBRE SOCIALE - SECTION B


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ARRÊT DU : 11 JANVIER 2024


SÉCURITÉ SOCIALE


N° RG 21/04527 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MII3


S.A.R.L. [3]


c/

CPAM DE LA CHARENTE


Nature de la décision : réouverture des débats à l'audience du 25 janvier 2024

à 14 heures


Notifié par LRAR le :


LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :


La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).


Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,


Grosse délivrée le :


à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 juillet 2021 (R.G. n°18/00622) par le Pole social du TJ d'ANGOULEME, suivant déclaration d'appel du 02 août 2021.



APPELANTE :


S.A.R.L. [3] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]


représentée par Me Jérôme BOUSQUET de la SELARL BOUSQUET, avocat au barreau de CHARENTE substitué par Me BAULON


INTIMÉE :


CPAM DE LA CHARENTE prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]


représentée par Madame [D], dûment mandatée



COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue le 09 novembre 2023, en audience publique, devant Madame Valérie Collet conseillère chargée d'instruire l'affaire, qui a retenu l'affaire


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :


Madame Marie-Paule Menu, présidente

Madame Sophie Lésineau, conseillère

Madame Valérie Collet, conseillère


qui en ont délibéré.


Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps


ARRÊT :


- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile🏛.



EXPOSE DU LITIGE


Mme [J] [S], employée en qualité de vendeuse en boulangerie par la SARL [3], a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente (en suivant : la CPAM de la Charente) une déclaration d'accident du travail le 26 juillet 2018 survenu le 19 juillet 2018 dans les circonstances suivantes: « Marchait du côté du snacking vers côté boulangerie. A heurté l'angle du mur face à la caisse snacking. Siège des lésions: main droite ; nature des lésions : trauma main droite oedème +++ douleurs +++».


Le certificat médical initial, établi le 21 juillet 2018, a fait état d'un « trauma main D - douleurs + 'dème ».


L'employeur a émis des réserves motivées par lettres des 30 juillet 2018 et 08 août 2018.


Par courrier du 20 septembre 2018, la CPAM de la Charente a notifié à la société [3] sa décision de prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.


La commission de recours amiable (CRA) de la CPAM de Charente a rejeté, le 15 novembre 2018, la contestation de la société [3] tendant à se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge.


Par lettre recommandée du 6 décembre 2018, la société [3] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Angoulême d'un recours contre la décision explicite de rejet de la CRA.



Par jugement en date du 26 juillet 2021, le pôle social du tribunal judiciaire d'Angoulême a :

-débouté la société [3] de ses demandes,

-dit que la décision de prise en charge de l'accident du travail survenu à Mme [S] le 19 juillet 2018 est opposable à la société [3],

-laissé les éventuels dépens à la charge de la société [3].



La société [3] a relevé appel de ce jugement le 2 août 2021 par voie électronique.


A l'audience du 9 novembre 2023, la société [3], reprenant oralement ses conclusions transmises par voie électronique le 28 octobre 2021, demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de lui déclarer inopposable la décision de prise en charge de l'accident déclaré par Mme [S], de condamner la CPAM de la Charente à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛, outre les dépens d'appel.


Elle conteste la réalité du fait accidentel allégué en faisant valoir qu'elle produit les images de vidéo surveillance qui ne démontrent pas que l'accident se serait produit sur le lieu du travail. Elle expose que Mme [S] est clairement visible sur les vidéos du 19 juillet 2018 entre 14h36 (en réalité 14h21 compte tenu d'un décalage sur l'heure de 15 minutes) et 14h59 (en réalité 14h44), dans une attitude tout à fait normale, sans que sa main droite ne présente de trace de lésion ou de blessures. Elle affirme que le prétendu choc n'a jamais eu lieu et qu'au contraire, Mme [S] a continué à utiliser sa main 'accidentée' pour utiliser la caisse, déplacer des plateaux, rendre la monnaie et sans montrer la moindre attitude de souffrance. Elle ajoute que Mme [S] a menti lorsqu'elle a indiqué dans son courrier du 13 septembre 2018 que Mme [R] l'a encaissée à 14h alors que la vidéo surveillance démontre que l'encaissement a eu lieu après 14h37 soit après l'accident. Elle rappelle que M. [Aa], n'a rien vu mais a simplement indiqué avoir entendu sa collègue se plaindre en se tenant la main.

Elle considère que le refus par le médecin du travail du paiement de l'indemnisation temporaire d'inaptitude à Mme [S] caractérise une incertitude sur le caractère professionnel de l'inaptitude prononcée. Elle indique que la CPAM de la Charente avait auparavant refusé la prise en charge d'une nouvelle lésion invoquée par la salariée au motif qu'elle ne relevait pas de 'l'accident du travail' déclaré précédemment. Elle fait observer que Mme [S] est venue travailler comme d'habitude les jours suivants.


La CPAM de la Charente, développant oralement ses conclusions reçues le 26 janvier 2022 par courrier, demande à la cour de:

'- dire que la matérialité des faits est établie ;

- juger que la prise en charge de l'accident du travail survenu à Mme [S] le 19 juillet 2018 est opposable à l'employeur ;

- confirmer le jugement entrepris ;

- débouter la société [3] de sa demande visant à voir condamner la CPAM au paiement de la somme de 2000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'employeur aux entiers dépens.

- à titre subsidiaire, si la cour d'appel de Bordeaux venait à rendre une décision d'inopposabilité à l'encontre de la CPAM de la Charente, réduire la demande d'article 700 de l'employeur à de plus juste proportion.


Elle soutient que Mme [S] a été victime d'un traumatisme à la main droite le 19 juillet 2018 dans l'exercice de son activité professionnelle, qu'aucun élément du dossier n'a permis de mettre en doute les faits déclarés par la salariée et constatés médicalement et que l'attestation de M. [Aa] corrobore les déclarations de Mme [S].


Elle estime que l'employeur fait preuve d'une attitude déloyale en produisant les images de vidéo surveillance devant le tribunal uniquement sans avoir permis un débat contradictoire à ce sujet au cours de l'instruction du dossier d'accident du travail. Elle souligne qu'il aurait été opportun de recueillir les observations de la victime sur les images filmées.


Elle demande à la cour d'écarter les images de vidéo surveillance des débats, précisant que son service informatique n'a pas pu accéder aux images et qu'en tout état de cause il manque les deux enregistrements suivants : de 14h45mn42s (soit 14h30mn42s) à 14h47mn37s (soit 14h32mn37s) et de 14h48mn42s (soit 14h33mn42s) à 14h49mn04s (14h34mn04s). Elle en conclut que l'accident du travail survenu à 14h30 n'a pas été enregistré, précisant que la caméra n'a pourtant pas pu se mettre en veille durant les périodes où aucun enregistrement n'est produit puisqu'il y avait toujours des personnes en mouvement.


Elle affirme que Mme [S] a parfaitement pu poursuivre son travail durant les 30 minutes restantes jusqu'à l'heure de sa débauche, sans prendre conscience de sa blessure et sans se plaindre plus amplement. Elle déclare que si aucune blessure n'est visible sur les images enregistrées, c'est en raison du fait que la main de Mme [S] a enflé progressivement et non pas instantanément.


Elle insiste sur le fait que le médecin du travail et le médecin conseil ont confirmé que l'inaptitude de Mme [S] était en lien avec l'accident du travail du 19 juillet 2018, que le refus d'attribution de l'indemnité temporaire d'inaptitude est dû au fait que Mme [S] percevait des prestations espèces, que l'existence d'une pathologie intercurrente, dont la prise en charge a été refusée, est sans incidence sur la matérialité du fait accidentel, que le motif de l'arrêt de travail ne constitue pas une preuve de l'absence de fait accidentel et que les images de vidéo surveillance dont se prévaut l'employeur pour dire que Mme [S] aurait menti, sont parcellaires et sujettes à caution en raison du dysfonctionnement de l'horodatage.


Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions écrites soutenues oralement à l'audience.



MOTIFS DE LA DÉCISION


Aux termes de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale🏛 « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise. »


Constitue un accident du travail un événement ou une série d'évènements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il en est résulté une lésion corporelle, et ce quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.


La survenance de l'accident aux temps et lieu du travail a pour effet de le présumer imputable au travail, sauf preuve contraire d'une cause totalement étrangère au travail.


La présomption d'imputabilité ne peut dès lors produire ses effets que lorsque sont établis :

- la matérialité du fait accidentel,

- sa survenance au temps et au lieu du travail.


Il s'ensuit qu'il appartient à la caisse primaire d'assurance maladie, subrogée dans les droits de la victime, de rapporter la preuve que l'accident est intervenu sur le lieu et dans le temps du travail pour bénéficier de la présomption d'imputabilité. Cette preuve peut être rapportée soit par des témoignages soit par des présomptions de fait sérieuses, graves et concordantes. Il appartient ensuite à l'employeur qui conteste cette imputabilité de rapporter la preuve d'une cause étrangère.


En l'espèce, il résulte de la déclaration d'accident du travail que Mme [S] aurait heurté l'angle d'un mur alors qu'elle marchait d'un point à un autre au sein de la boulangerie, le 19 juillet 2018, à 14h30. Cet événement a bien eu lieu au temps et au lieu de son travail puisque ses horaires de travail, tels qu'indiqués par la salariée et non contestés par l'employeur, étaient de 11h45 à 15h00. La salariée a rencontré son médecin le 21 juillet 2018 qui a constaté un ' trauma main D - douleurs + oedème' et a prescrit un arrêt de travail initial d'une journée le 21 juillet 2018. Il est observé à ce stade que les lésions médicalement constatées, dans un temps relativement proche de l'accident, sont tout à fait compatibles avec l'accident tel qu'il a été relaté par la salariée. La CPAM de la Charente produit également l'attestation de M. [V] [Aa], vendeur, qui explique que 'alors que j'avais la tête penchée vers la caisse enregistreuse, j'ai entendu quelqu'un se cogner. Au moment où j'ai levé la tête, je vois ma collègue [J] se tenir la main droite en criant 'aïe''.


Pour contester ces éléments, la société [3] produit un CD Rom contenant, selon ses dires, les images de la vidéo surveillance du magasin du 19 juillet 2018 entre 14h21 et 14h44 (horaires tenant compte du décalage de 15 minutes). C'est tout à fait vainement que la CPAM de la Charente reproche à l'employeur d'avoir fait preuve de déloyauté alors que dans son courrier de réserves du 8 août 2018, la société [3] a clairement indiqué à la CPAM que la boulangerie était équipée d'une caméra et que la vidéo démontrait l'absence de fait accidentel. Dans son courrier de saisine de la CRA, l'employeur a de nouveau évoqué l'existence de la vidéo démontrant, selon lui, l'absence de fait accidentel. Il appartenait donc à la CPAM de la Charente, dans le cadre de l'enquête qu'elle avait diligentée, de prendre connaissance des images de vidéo surveillance que l'employeur tenait à sa disposition. Ainsi aucune déloyauté ne peut être reprochée à la société [3].


Il n'y a pas plus lieu d'écarter des débats le CD Rom produit par la société [3], le fait allégué que la vidéo ne soit pas continue entre 14h21 et 14h44 ne constituant pas un motif sérieux pour faire droit à la demande la CPAM de la Charente, ce fait à le supposer avéré ne pouvant avoir de conséquence que sur la force probante de cette pièce. Il n'est en outre soutenu aucune fin de non-recevoir dans le cadre de la présente instance.


Dès lors que le CD Rom contenant les images de vidéo surveillance n'est pas écarté des débats, il apparaît nécessaire de pouvoir procéder à son visionnage de manière contradictoire, en présence des parties, ces dernières devant pouvoir formuler leurs observations en suivant, ce qui conduit donc à ordonner une réouverture des débats.


Il est en conséquence sursis à statuer sur les demandes des parties et les dépens sont réservés.



PAR CES MOTIFS


Ordonne la réouverture des débats et renvoie l'affaire et les parties à l'audience du 25 janvier 2024 à 14h00, salle M, la notification du présent arrêt valant convocation, afin de permettre le visionnage des images de vidéo surveillance contenues sur le CD Rom produit par la SARL [3], de manière contradictoire, en présence des parties et/ou de leurs conseils respectifs,


Sursoit à statuer sur les demandes des parties


Réserve les dépens.


Signé par Madame Marie-Paule Menu, présidente, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


S. Déchamps MP. Menu

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