Jurisprudence : Cass. crim., 29-11-1994, n° 93-81.321, Rejet



Chambre criminelle
Audience publique du 29 Novembre 1994
Pourvoi n° 93-81.321
... Pierre
Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 29 Novembre 1994
Rejet
N° de pourvoi 93-81.321
Président M. Le Gunehec

Demandeur ... Pierre
Rapporteur Mme ....
Avocat général M. Libouhan.
Avocats la SCP Célice et Blancpain, la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
REJET du pourvoi formé par ... Pierre, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 26 février 1993, qui, pour infraction au Code du travail, l'a condamné à 1 577 amendes de 30 francs chacune ainsi qu'à des réparations civiles et a ordonné la Publication de la décision.
LA COUR,
Vu les mémoires ampliatif et additionnel produits en demande et le mémoire en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article L 121-1 du Code du travail, violation des articles L 321-1 et suivants du même Code dans la rédaction de ce texte antérieure à la loi du 29 juillet 1992, notamment des articles L 321-7, L 321-1-3, L 321-11 du Code du travail, de l'article 1134 du Code civil, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Barazer, président-directeur général d'IBM France, coupable du délit de non-respect de la procédure de licenciement collectif pour motif économique réprimé par l'article L 321-11 du Code du travail et l'a, en répression, condamné à 1 577 amendes, allouant de surcroît 10 000 francs de dommages-intérêts, et 10 000 francs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT ;
" aux motifs, d'une part, qu'aux réunions des 24 avril, 13 juin et 26 septembre 1991, Barazer avait exposé au comité central d'entreprise (CCE) la nécessité pour l'entreprise de procéder à une réduction des effectifs sans recourir à des licenciements ; que les conditions et les modalités précises des "offres de départ volontaire" avaient fait l'objet d'une discussion le 3 octobre 1991 entre la direction et les syndicats et que ces négociations avaient abouti le 8 octobre 1991 à un accord d'entreprise sur lequel le CCE avait émis un avis favorable (pp. 6 et 7) ; que l'offre de départ volontaire était adressée à tous les salariés réunissant certaines conditions d'ancienneté, que chacun était libre de l'accepter ou de se maintenir jusqu'à l'âge de la retraite (pp. 8 et 10) ; que les indemnités de départ versées aux 1 577 bénéficiaires de cette offre étaient supérieures aux indemnités légales de licenciement ;
" que la société avait voulu éviter de décider elle-même autoritairement quels seraient les salariés évincés (pp. 16 et 18) et qu'elle ne s'était pas réservée le droit de refuser une candidature pour quelque raison que ce soit ; qu'il convenait cependant d'analyser la nature même de cette opération dénommée ODV (p 14) ; que, certes, il est établi que sur 1 577 salariés ayant quitté l'entreprise selon ce processus, il ne pouvait être cité aucun exemple de licenciement individuel parmi ces salariés ; mais qu'il est courant que la juridiction prud'homale analyse comme un licenciement une modification substantielle du contrat de travail ne revêtant pas la forme apparente d'un licenciement et que tout plan social a justement pour objet d'éviter les licenciements (p 15) ; qu'un tel plan social établi en vertu de l'article L 321-4 comporte, indépendamment de la consultation du comité d'entreprise, toutes sortes de garanties tenant aux critères proposés pour l'ordre de licenciements ; que les mesures mises en place par IBM n'étaient pas comparables à celles relatives à un plan social et avaient au contraire pour effet de tenter les salariés à renoncer prématurément à leur emploi (p 19) ;
" que la rupture ne pouvait être imputée au salarié comme ce serait le cas de celui qui aurait choisi de quitter l'entreprise mais devait être, dans le cadre de l'article L 321-7, inspiré de la directive européenne du 17 février 1975, attribuée à la volonté de l'employeur de supprimer 1 800 postes de travail pour des raisons économiques ; qu'ainsi la cause première et déterminante de la rupture du contrat de travail est la volonté de l'employeur, la transaction n'intervenant que dans un deuxième temps à des fins purement indemnitaires (p 17) ; que les indemnités allouées pour compenser le préjudice personnel des salariés correspondaient, en droit social comme en droit fiscal, à une rupture provoquée par l'employeur, peu important l'acceptation du salarié dont la portée était au demeurant limitée par le caractère transactionnel de l'accord (p 19) ; que "les 1 577 départs doivent être tenus pour des licenciements assortis du versement d'indemnités particulières ; que Pierre ... et Françoise ... ne sont pas fondés à contester cette conclusion, sous le prétexte qu'il n'aurait été procédé à aucun licenciement " sec " (p 20)" ;
" que la jurisprudence antérieure à la loi du 29 juillet 1992, laquelle est d'ailleurs rétroactive, condamnait déjà la solution adoptée par IBM (p 21) ; qu'ainsi, Barazer, qui avait substitué à la méthode autoritaire des licenciements secs "celle plus douce et socialement acceptable des départs négociés", avait effectué un choix non critiquable en opportunité mais pénalement répréhensible dans la mesure où la procédure spéciale de l'article L 321-3 avait été éludée alors que le bilan de l'opération s'était soldé par 1 577 licenciements effectifs (p 22) ;
" alors que le licenciement est l'exercice par l'employeur d'une prérogative de mettre fin unilatéralement au contrat de travail et que tel n'est pas le cas de la simple proposition formulée dans l'"offre de départ volontaire" (ODV), qui exclut toute rupture unilatérale, et se trouve strictement dépourvue de tout effet sur la relation de travail à défaut d'acceptation du salarié ; que, dès lors, l'arrêt attaqué, qui distingue artificiellement dans l'ODV "une initiative de rupture" qui serait imputable à l'employeur, suivie, dans un deuxième temps, d'une acceptation du salarié sur les seules conséquences indemnitaires de ladite rupture, se trouve privé de toute base légale au regard des articles 1134 du Code civil et L 121-1 et L 321-1 du Code du travail ;
" alors que, s'il existe d'autres formes de licenciement qu'une lettre notifiant la rupture du contrat de travail (et que ne reçurent aucun des 1 577 salariés ayant quitté l'entreprise ainsi que le constate la cour d'appel (p 15, alinéa 2), et que celui-ci peut également résulter d'une modification substantielle, d'une suppression de poste ou d'une transformation d'emploi unilatéralement imposées au salarié contre son gré, l'arrêt attaqué relève, lui-même, que du fait du caractère général de l'offre de départ volontaire, la société IBM ne pouvait certainement pas prévoir combien de salariés répondraient à son appel "ni dans quelles catégories ou dans quels secteurs d'activité des départs volontaires se produiraient" (p 16, alinéa 3) ce qui exclut que l'employeur ait, en l'espèce, utilisé ces autres modes de licenciement ; qu'ainsi la décision attaquée ne caractérise en l'occurrence aucune forme de licenciement et ne répond donc pas au chef péremptoire des conclusions faisant valoir que le plan mis en uvre avait radicalement écarté ces solutions et n'entrait donc ni pratiquement ni même virtuellement dans le champ de l'article L 321-1 et suivants du Code du travail ;
" alors qu'il est constant que les départs volontaires négociés dans le cadre d'un plan de réduction des effectifs obéissent fiscalement au même régime que les "indemnités de licenciement" de sorte qu'en se référant à la notion d'indemnité de licenciement figurant dans les explications données aux salariés et qui correspondaient, d'ailleurs, à l'instruction 5 F1287 émanant de la Direction générale des Impôts, comme le constate l'arrêt attaqué, l'employeur n'a nullement modifié la qualification du contrat qu'il proposait au salarié et qu'en se déterminant ainsi par une circonstance inopérante, la cour de Paris a entaché sa décision d'une insuffisance caractérisée de motifs ;
" alors qu'en admettant même que la directive communautaire du 17 février 1975 et l'article L 321-1 dans sa rédaction applicable à l'époque, aient eu déjà pour effet d'imposer aux entreprises de recourir à la procédure spéciale du licenciement collectif pour toute réduction d'effectifs (ce qui n'est pas), une telle obligation ne saurait, en l'absence de licenciement effectif, engager uniquement la responsabilité civile de son débiteur, les dispositions répressives de l'article L 321-11, qui sont de droit strict, demeurant expressément cantonnées au seul cas où "l'employeur aura effectué un licenciement" ;
" alors, subsidiairement, qu'à l'époque des faits considérés (octobre 1991), le demandeur se trouvait sous l'empire des articles L 321-1, L 321-4 et L 321-4-1 issus de la rédaction que leur avait donnée la loi du 2 août 1989 d'où il résultait que la procédure spéciale ne devait être mise en uvre que pour les licenciements "envisagés ou effectués" de sorte qu'aurait constitué nécessairement une incrimination nouvelle la loi du 29 juillet 1992 qui serait venue étendre l'obligation, pénalement sanctionnée, d'appliquer également cette procédure à toute rupture du contrat de travail et, qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel aurait, alors, violé l'article 4 du Code pénal ;
" aux motifs, d'autre part, que, si aucune contestation, hormis celle du syndicat CFDT, n'avait été soulevée par les candidats au départ qui ne s'étaient pas estimés lésés (p 11, alinéa 1er), et si un accord d'entreprise assorti d'un avis conforme du CCE avait été signé, les termes de ce dernier n'avaient pas été scrupuleusement appliqués, 300 salariés qui ne remplissaient pas les conditions d'âge ayant cependant bénéficié du système ; que, de surcroît, les procès-verbaux des réunions du CCE faisaient état de cas dans lesquels les managers allaient chercher des volontaires sans respecter les principes de l'accord ; qu'ainsi des pressions directes avaient été exercées par certains membres de la hiérarchie, ayant agi avec ou sans l'assentiment exprès de la direction générale pour contraindre les salariés à résilier leur contrat sous la menace d'un licenciement et que la même observation vaut pour les établissements dans lesquels tous les emplois ou presque avaient été supprimés, ce qui laisse présumer qu'il s'agissait en réalité d'une fermeture d'établissement (p 19, alinéa 2) ; qu'en particulier, avait été ainsi cité l'exemple de Mmes ... et ... ; que le prévenu avait répondu d'une façon embarrassée et qu'il avait réaffirmé qu'aucune contrainte ne devait être utilisée (p 13) ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments corroborés par l'étude du syndicat CGC, lequel a refusé de signer l'avenant, que, contrairement à l'appréciation du tribunal, l'application de l'accord avait été faite dans de nombreux cas (qui ne sont pas restés exceptionnels) dans un esprit qui n'était pas conforme au principe du volontariat et que celui-ci avait pu être détourné de l'utilisation qui aurait dû en être faite (pp. 13 et 14) ;
" alors qu'il ne résulte ni des termes de la citation ni des conclusions d'appel que la CFDT, partie poursuivante, ait invoqué des cas précis de pressions ayant eu pour effet de substituer frauduleusement à une rupture contractuelle une mesure unilatérale de licenciement ou que le nombre de prétendues pressions ait modifié la nature globale de l'offre de départ volontaire, de sorte que l'arrêt attaqué qui se fonde ainsi sur des faits étrangers à la poursuite et déduits de simples rumeurs, apparaissant dans des procès-verbaux de réunions de comités d'entreprise, prive sa décision de base légale tant au regard de l'article 388 que de l'article 427 du Code de procédure pénale ;
" alors que, faute d'indiquer en quoi les pressions litigieuses auraient abouti à un véritable état de contrainte et auraient, par elles-mêmes, provoqué la rupture du contrat de travail, l'arrêt attaqué, qui ne constate pas que l'employeur en soit revenu à des licenciements par résiliation unilatérale, et qui ne se fonde pas sur la fraude, ne caractérise nullement l'élément matériel de l'infraction ; qu'il en est d'autant plus ainsi que la cour de Paris s'abstient de relever que les deux seules personnes qu'elle cite ont quitté l'entreprise ;
" alors que les motifs selon lesquels les pressions auraient été exercées par certains membres de la hiérarchie "ayant agi avec ou sans l'assentiment exprès de la direction" ne caractérisent aucunement, à l'égard du président-directeur général, l'élément intentionnel de l'infraction qui lui est personnellement imputée ; que, de même, les considérations selon lesquelles tous les emplois ou presque se seraient trouvés supprimés dans certains établissements ce qui laisserait présumer une fermeture, restent d'ordre dubitatif et ne sauraient asseoir une condamnation pénale ;
" alors qu'en tout état de cause, la mise en uvre incorrecte des accords d'entreprise assortis d'un avis favorable du comité d'entreprise, ne serait pas, par elle-même, de nature à caractériser une infraction à l'article L 321-11 et ne pourrait concerner que des faits étrangers à la prévention ;
" alors qu'enfin, et subsidiairement, l'arrêt attaqué qui se borne à constater "certains cas de pression qui ne sont pas restés exceptionnels" (p 13), sans les isoler par rapport à la masse des départs intervenus sur la base du volontariat, ne donne aucune base légale à la condamnation prononçant 1 577 amendes réduites à 30 francs, l'article L 321-11 ayant pour objet de réprimer individuellement les licenciements irrégulièrement décidés et nullement de sanctionner globalement les erreurs procédurales qu'aurait pu commettre l'employeur dans des opérations de réduction d'effectifs " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à la suite de difficultés d'ordre économique, la compagnie IBM a, en 1991, annoncé la suppression de plusieurs milliers d'emplois à l'échelon mondial ; que, le 13 juin 1991, Pierre ..., président du conseil d'administration de la compagnie IBM France, a informé le comité central d'entreprise que la diminution des profits annuels contraignait d'envisager le départ de 1 800 salariés en 1991 et de plusieurs centaines d'autres en 1992 ; que, le 26 septembre, lors d'une réunion de ce comité, il a proposé notamment une offre de départ volontaire ouverte à tous les salariés nés après le 31 décembre 1934 qui en feraient la demande avant le 15 janvier 1992 et accepteraient la résiliation conventionnelle de leurs contrats avant le 31 mars 1992, moyennant le paiement d'une indemnité de séparation égale à 1 mois de salaire par année d'ancienneté ; qu'un accord d'entreprise a été conclu le 3 octobre 1991 entre la direction et plusieurs syndicats sur les conditions et les modalités de l'opération ; que le préambule de cet accord relevait la nécessité, pour diminuer les dépenses de la société, de la suppression d'emplois et d'une diminution significative des effectifs et précisait que l'indemnité allouée aux partants avait la nature d'une indemnité conventionnelle de licenciement et avait pour but de compenser le préjudice personnel causé au salarié par son départ de l'entreprise ;
Attendu que, 1 577 salariés ayant accepté l'offre proposée et la rupture de leurs contrats de travail étant intervenue sans qu'ait été suivie la procédure prévue par les articles L 321-1 et suivants du Code du travail dans leur rédaction en vigueur lors des faits poursuivis, la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT a fait citer devant le tribunal correctionnel Pierre ... en application de l'article L 321-11 dudit Code qui réprime l'inobservation de cette procédure ; que les premiers juges, considérant qu'il n'y avait pas eu de licenciement pour motif économique, ont relaxé le prévenu ;
Attendu que, saisie des appels du ministère public et de la partie civile, la cour d'appel, pour infirmer le jugement entrepris et déclarer le prévenu coupable, énonce notamment que, même si aucun licenciement n'a été notifié aux salariés concernés, l'opération avait pour but de supprimer 1 800 postes sur 10 000 ; qu'elle observe que, si le protocole de résiliation conventionnelle mentionne que le salarié signataire accepte la rupture de son contrat de travail qui lui est proposé par IBM France, c'est la société qui a pris l'initiative de la rupture ; qu'elle retient que l'article L 321-1 du Code du travail, qui définit le licenciement économique comme celui effectué par l'employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, s'applique dès lors à l'espèce ;
Attendu qu'en l'état des ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu'en effet, l'employeur qui envisage de procéder à la suppression de nombreux emplois, pour motif économique, est tenu de respecter les dispositions d'ordre public des articles L 321-1 et suivants du Code du travail, peu important que les emplois ne soient supprimés que par la voie de départs volontaires, dans le cadre d'un accord collectif d'entreprise ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le mémoire proposant un moyen additionnel (sans intérêt) ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.

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