ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Commerciale
15 Novembre 1994
Pourvoi N° 92-19.302
Epoux Petit
contre
Caisse centrale des banques populaires et autres.
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 10 juillet 1992), qu'au cours du mois de juillet 1987, M et Mme ... ... ont vendu les actions de la société Repetto à la société Esmark international ; que cette cession a été consentie au prix de 65 millions de francs, dont quinze payables en 5 versements annuels ; qu'aucun de ces paiements à terme n'a été effectué et que la société Esmark international a été mise en liquidation judiciaire au cours de l'année 1989 ; que M et Mme ... ont réclamé à la Caisse centrale des banques populaires (la banque), à titre de dommages-intérêts, le montant de la somme demeurée impayée ;
Attendu que M et Mme ... reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la banque, qui accorde un financement très important, destiné à l'achat de titres, à une société n'ayant pratiquement pas de fonds propres, commet une faute envers les vendeurs des titres, qui, trompés par une fausse apparence de solvabilité de cette société, acceptent de lui céder les titres en acceptant qu'une partie du prix soit payable à terme, et leur cause ainsi un préjudice égal au solde du prix impayé ; qu'ainsi, en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que les dispositions de l'article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966, interdisent toute opération, quelle que soit sa qualification, qui vise à fournir à une personne le moyen d'acheter ou de souscrire à crédit des actions émises par une société par prélèvement des actifs de celle-ci, telles la constitution de sûretés et les distributions de dividendes ; qu'ainsi les financements consentis par la banque étaient irréguliers et qu'à ce titre également, la faute de celle-ci était caractérisée et leur avait bien causé un préjudice égal au solde du prix impayé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc violé les articles 217-9 de la loi du 24 juillet 1966 et 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt constate, par motifs propres et adoptés, que M et Mme ... ont, en exécution d'une promesse de cession faite à la société Esmark, avec faculté de substitution, cédé les actions de la société Repetto à la société Esmark International, filiale créée pour cette opération, la société Esmark leur ayant délivré une " lettre de confort " en couverture de ses engagements ;
qu'au vu de ces constatations la cour d'appel a pu décider que l'avis réservé d'un expert, désigné dans un autre litige, sur la faiblesse des fonds propres apportés par le groupe Esmark ne suffisait pas, en l'absence d'autres éléments comptables sur l'évolution de la société, à établir que la banque avait commis une faute en assurant le financement critiqué ni que ce financement avait été à l'origine de la défaillance de la société Esmark ou du préjudice subi par M et Mme ... ;
Attendu, d'autre part, que l'article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966 interdit à une société par actions d'avancer des fonds, d'accorder des crédits ou de consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions par un tiers, sauf si de telles opérations sont effectuées en vue de l'acquisition d'actions par ses salariés ; qu'il résulte de l'arrêt que la banque a prêté à la société Repetto, qui a nanti son fonds de commerce pour la garantir, une somme destinée à l'achat de 10 % de ses actions pour les distribuer à ses salariés et que l'indication donnée à la banque de cette finalité établit, à son égard, le caractère régulier de l'engagement de la société Repetto ; que la cour d'appel constate, en outre, que les deux prêts consentis par la banque à la société Esmark International ont été garantis par un gage sur les actions de la société Repetto, ce dont il résulte que les biens engagés n'étant pas la propriété de la société Repetto, la constitution de cette sûreté n'entrait pas dans le champ de l'interdiction posée par l'article 217-9 ; qu'enfin, ayant constaté que l'un des prêts consentis à la société Esmark international était remboursable par distribution de réserves non obligatoires et de dividendes de la société Repetto, la cour d'appel, qui a fait apparaître que l'engagement de remboursement au moyen de tels fonds avait été pris non par la société Repetto mais par la société Esmark international qui n'avait aucun pouvoir pour engager les biens de la société Repetto, a pu retenir qu'un tel prêt n'était pas irrégulier au regard de l'article 217-9 précité ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi.