AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Monte Paschi Banque (anciennement Grindlay's Bank), dont le siège social est ... (9e), en cassation d'un arrêt rendu le 9 janvier 1992 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (2e chambre civile), au profit :
1 / de M. Marc Y..., demeurant Pas des Lanciers à Saint-Victoret (Bouches-du-Rhône),
2 / de M. Jean X..., demeurant ... (8e) (Bouches-du-Rhône), défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 26 avril 1994, où étaient présents :
M. Bézard, président, M. Grimaldi, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. de Gouttes, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Grimaldi, les observations de Me Choucroy, avocat de la société Monte Paschi Banque, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. Y..., de Me Cossa, avocat de M. X..., les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt déféré, que, les 28 et 29 août 1984, la société Grindlay's Bank a consenti à la société Contreplaqués Bérard Sicob (société Sicob) un prêt remboursable en vingt-huit trimestrialités ; que, le 20 août 1986, la société Sicob a été mise en redressement judiciaire ; qu'un jugement du 21 septembre 1987 a arrêté un plan de cession de l'entreprise à la société Nouvelle Sicob en ordonnant la cession au repreneur du contrat de prêt et en indiquant que les échéances de remboursement seront reprises après paiement du prix de cession, lequel devait être acquitté en douze mensualités, la première payable le 31 octobre 1987 ; que, le 18 novembre 1987, la société Grindlay's Bank a assigné MM. Y... et X... en leur qualité de caution du remboursement du prêt ;
qu'en cours d'instance, la société Grindlays's Bank a pris la dénomination de Monte Paschi Banque (la banque) ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la banque reproche à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande dirigée contre M. Y..., alors, selon le pourvoi, que si la déchéance du terme, prévue au contrat de prêt, est réputée non écrite à l'égard du débiteur principal par application de l'article 56 de la loi du 25 janvier 1985, cette règle ne peut bénéficier qu'à ce dernier, et la caution, sous peine de remettre en cause la finalité et la logique même du cautionnement, ne saurait profiter de cette règle pour se soustraire à l'engagement pris à l'égard du créancier si la déchéance du terme a été contractuellement prévue à l'égard de la caution, si bien qu'en énonçant que le Tribunal avait décidé à tort "que le maintien du terme à l'égard du débiteur principal ne profite pas à la caution, dès lors qu'une clause de déchéance du terme était prévue à l'origine tant à l'égard du débiteur principal qu'à l'égard de la
caution", la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision, au regard des articles 1134, 2011 et 2013 du Code civil ;
Mais attendu qu'en vertu des dispositions des articles 2013 du Code civil et 56 de la loi du 25 janvier 1985, c'est à bon droit qu'après avoir relevé que la société Sicob avait satisfait à ses engagements de remboursement jusqu'à la date du prononcé du redressement judiciaire, l'arrêt retient que le maintien du terme à l'égard du débiteur principal profite à la caution, nonobstant, en raison du caractère d'ordre public du second de ces textes, l'existence d'une clause de déchéance stipulée à l'égard de la caution ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 1134 du Code civil et 64 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que, pour rejeter la demande en remboursement de la banque en tant que dirigée contre M. Y... et afférente aux trimestrialités courant à compter du prononcé du jugement d'homologation du plan, l'arrêt retient que le plan de cession était conditionné par l'obtention de l'accord du prêteur, que ce dernier a donné son accord et que, "ce faisant, la banque a accepté que les échéances ne soient pas réglées jusqu'au 30 septembre 1988" ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser la volonté de la banque de renoncer à poursuivre la caution, comme elle en avait la faculté, dès lors que celle-ci ne pouvait, en vertu de l'article 64, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, se prévaloir des dispositions du jugement arrêtant le plan, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche :
Vu les articles 1273 du Code civil, ainsi que 64 et 86, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que, pour rejeter la demande en remboursement de la banque en tant que dirigée contre M. Y... et afférente aux trimestrialités courant à compter du prononcé du jugement d'homologation du plan, l'arrêt retient encore que le changement du débiteur résultant du jugement du 21 septembre 1987, "pris sur la base d'un dossier de redressement accepté par les divers créanciers", dont la banque "constitue une novation", et "qu'en exécution du plan de cession, la seule société tenue par le contrat de prêt est la société Nouvelle Sicob, que n'a pas cautionnée M. Y..." ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, alors que la cession du contrat par le jugement arrêtant le plan n'avait pas emporté novation de celui-ci, de sorte que le remboursement des échéances du prêt liant désormais la banque et le cessionnaire continuait à être garanti par la caution, et sans relever aucun élément de nature à établir la volonté de ces derniers de nover l'obligation mise à la charge du repreneur ou la volonté de la banque de renoncer à invoquer le bénéfice des dispositions de l'article 64 de la loi du 25 janvier 1985, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le premier moyen :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que, pour confirmer le jugement du tribunal de commerce qui s'était déclaré incompétent pour statuer sur la demande de la banque dirigée contre M. X..., l'arrêt, après avoir exactement énoncé que le cautionnement revêt un caractère commercial "s'il est établi que la caution avait, lors de la souscription de l'engagement, un intérêt patrimonial déterminant dans l'affaire à laquelle elle est intervenue", retient que le fait allégué que M. X... ait souscrit "en 1984" à l'augmentation de capital, pour une somme de 100 000 francs, "ne peut être pris en considération, ce fait étant largement postérieur à l'engagement de caution du 15 septembre 1978" ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'acte de cautionnement dont l'exécution était poursuivie datait des 28 et 29 août 1984, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 janvier 1992, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne MM. Y... et X..., envers la société Monte Paschi Banque, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du quatorze juin mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.