ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Commerciale
22 Février 1994
Pourvoi N° 92-14.438
Société Paul Dischamp
contre
M. ..., ès qualités d'administrateur du redressement judiciaire
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 12 février 1992), que la société Fromageries Routhier (la société Routhier) a facturé aux consorts ..., aux droits desquels est venue la société Paul Dischamp (la société Dischamp), le prix de vente de fromages qu'elle leur avait livrés ; qu'en considération de cette facture, la société Routhier a tiré, le 10 mars 1987, une lettre de change, à échéance du 15 avril 1987, sur la société Dischamp, mais que cette dernière n'a que partiellement acceptée en raison d'un désaccord portant sur la facturation d'un prix de vente d'un lot de fromages ;
que la société Routhier, ayant reconnu son erreur, a émis au profit de la société Dischamp, le 17 mars 1987, deux avoirs à échéance du 30 avril 1987 ; que, le 20 mars 1987, la Banque populaire de la Nièvre, devenue la Banque populaire de Bourgogne (la banque), a escompté la lettre de change ; que, par jugement du 31 mars 1987, la société Routhier a été mise en redressement judiciaire ; que la banque, exerçant ultérieurement l'action née de la provision, a réclamé à la société Dischamp le solde du montant de la lettre de change ; que la société Dischamp lui a opposé la compensation avec sa créance constituée sous forme d'avoirs ;
Attendu que la société Dischamp fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable sa demande de compensation pour absence de déclaration de sa créance au passif du redressement judiciaire de la société Routhier, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le porteur d'une lettre de change non acceptée n'a un droit acquis sur la provision qu'à l'échéance ; que le tiré, auquel il n'a pas été fait défense de payer, peut, jusqu'à l'échéance, se libérer entre les mains du tireur par tous moyens, y compris la compensation ; que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre du tireur, qui n'emporte pas déchéance du terme de la lettre de change, est sans influence dans les rapports entre le tireur et le tiers porteur, et ne peut avoir pour effet d'interdire au tiré d'opposer au tiers porteur la compensation légale, dès lors que les conditions en sont réunies à l'échéance de la lettre de change ;
qu'en limitant le droit du tiré non-accepteur d'opérer compensation aux seules créances échues avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire du tireur, la cour d'appel a violé les articles 116 du Code de commerce, 1289 et 1290 du Code civil, 50 et 56 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors, d'autre part, que les avoirs émis par la société Routhier antérieurement au 31 mars 1987, 127 918 francs, ayant eu pour objet, comme les autres avoirs admis par les juges du fond en déduction de la lettre de change, d'opérer une réduction de prix sur des factures erronées, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, en le requalifiant en une annulation d'une vente de marchandises pour qu'il lui soit substitué un contrat de prestation de services, tandis qu'aucune des parties ne contestait la créance de la société Dischamp résultant des avoirs émis par la société Routhier ; alors, en outre, qu'en relevant que les avoirs émis antérieurement au 31 mars 1987, soit les avoirs n° 035699 et 127 918 francs, étaient exigibles postérieurement à la date du redressement judiciaire, sans répondre aux conclusions de la société Dischamp, et aux motifs des premiers juges que cette société s'était appropriés, selon lesquels les dates d'échéance des avoirs émis au profit de la société Dischamp étaient inopposables à celle-ci pour avoir été fixées unilatéralement par la société Routhier, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que la compensation entre une créance du tiré sur le tireur et la provision de la lettre de change non acceptée se produisant en toute hypothèse dès lors que la créance du tiré sur le tireur répond aux conditions de l'article 1291 du Code civil avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire du tireur, la cour d'appel a violé, outre ce texte, l'article 116 du Code de commerce en relevant, pour écarter l'exception de compensation invoquée par la société Dischamp, qu'il importait peu que les créances de cette société soient échues avant ou après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du tireur, la société Routhier ;
Mais attendu, d'une part, que si le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire du tireur d'une lettre de change non acceptée n'a pas pour effet de consolider les droits du tiers porteur de celle-ci sur la provision, et n'empêche pas le tiré, pour la partie non acceptée de la créance, d'opposer la compensation jusqu'à l'échéance, il ne le peut, comme l'a énoncé à bon droit la cour d'appel, que si les conditions de la compensation légale ont été réunies avant l'ouverture de la procédure collective ou, à défaut, s'il existe entre les dettes respectives du tireur et du tiré un lien de connexité et si le tiré a déclaré au passif du redressement judiciaire du tireur sa créance d'origine antérieure ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt, contrairement aux allégations de la deuxième branche du moyen, retient le caractère certain, dès avant le jugement d'ouverture du redressement judiciaire, de la créance de la société Dischamp, représentée, le 17 mars 1987, par des avoirs et ne méconnaît pas ainsi l'objet du litige, peu important la requalification opérée, qui est sans incidence ;
Attendu, en outre, que l'avoir est une créance destinée au règlement d'une opération ultérieure ; que cette créance n'est ainsi exigible, à défaut de convention contraire, que lors de ce règlement, et non au moment de la constitution de l'avoir ; que, par ce motif de pur droit, il est répondu aux conclusions invoquées par la troisième branche du moyen ;
Attendu, enfin, qu'ayant constaté que la créance, au titre des avoirs, de la société Dischamp sur la société Routhier, en redressement judiciaire, n'avait pas été déclarée au passif, malgré son origine antérieure, c'est à bon droit que la cour d'appel, après avoir écarté la compensation légale, dont les conditions n'avaient pas été réunies avant l'ouverture de la procédure collective, dès lors que la créance de la société Dischamp n'était pas exigible à ce moment, a déclaré irrecevable la demande de compensation, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la quatrième branche du moyen ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi.