Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 11 Janvier 1994
Rejet.
N° de pourvoi 92-10.241
Président M. Bézard .
Demandeur Société Valeo Neiman
Défendeur société Sagatrans et autres.
Rapporteur M. ....
Avocat général M. Raynaud.
Avocats M. ..., la SCP Delaporte et Briard, M. Le ....
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 septembre 1991) que la société Neiman, devenue la société Valeo Neiman (société Neiman), a chargé la société Sagatrans d'acheminer de la marchandise au Nigeria et de ne la livrer à la société de droit nigerian Fezel Nigeria (société Fezel) que contre remise de l'original du connaissement ; que cette marchandise transportée par le GIE Scadoa a été livrée à son destinataire, le 25 février 1987, par une société Umarco nigerian (société Umarco) contre remise d'une simple lettre de garantie de la société Continental merchant bank (la Banque) ; que la société Neiman n'ayant pu être payée de la totalité du prix de la marchandise a assigné en responsabilité, le 30 juin 1988, la société Sagatrans ; que cette société a invoqué la prescription annale de l'article 108 du Code de commerce et a appelé en garantie le GIE Scadoa ; que ce dernier a appelé en garantie la société Umarco, la société Fezel et la Banque ; que la société Neiman a soutenu que la prescription n'était pas acquise faute d'avoir été informée à temps des modalités de remise de la marchandise ;
Attendu que la société Neiman fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré son action éteinte par prescription, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt s'est abstenu de rechercher concrètement, ainsi que l'y invitaient les conclusions, si l'expéditeur n'était pas en droit de se prévaloir de l'adage contra non valentem agere, du seul fait, constaté par l'arrêt, que c'est plusieurs mois après la livraison que le commissionnaire avait avisé son cocontractant de la non-remise obligée du connaissement original ; qu'en effet, il y a nécessaire suspension de la prescription annale lorsque l'exercice de l'action en dommages-intérêts du cocontractant est retardé par le fait du commissionnaire, sans qu'importe que ce fait soit fautif ou frauduleux ni que le délai annal soit expiré ; que l'arrêt est donc entaché d'un défaut de base légale par violation de l'adage susvisé, en relation avec l'article 108 du Code de commerce ; alors, d'autre part, qu'il résulte aussi des propres constatations de l'arrêt que le commissionnaire avait eu un comportement frauduleux et en tous cas gravement fautif en persistant pendant plusieurs mois à garder le silence sur le manquement à son obligation contractuelle qui lui imposait de veiller à ce que la livraison de la marchandise se fasse exclusivement contre remise de l'original du connaissement ; qu'en effet, ce silence persistant équivalant à une dissimulation mensongère constituait sinon un dol dans l'exécution du contrat, du moins une faute grossière équipollente au dol ; que l'arrêt a donc violé l'article 108 du Code de commerce et l'article 1147 du Code civil ; et alors, enfin et en tout état de cause, que dans la mesure où, comme l'admet l'arrêt, le contenu du télex du 6 octobre 1987 constituait " l'aveu " d'une livraison irrégulière, après un " silence " persistant du commissionnaire, il y avait donc matière à reconnaissance au moins implicite de sa responsabilité envers l'expéditeur et, partant, interruption de prescription ; que l'arrêt a donc violé les articles 2248 du Code civil et 108 du Code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, que la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription ; qu'ayant relevé que la société Neiman, qui a reconnu avoir entamé des pourparlers directs avec le destinataire pour le paiement du prix, avait pu avoir, à cette occasion, connaissance des conditions de remise de la marchandise, et, qu'au 6 octobre 1987, date du télex de la société Sagatrans l'informant de la situation, la société Neiman avait encore plusieurs mois pour agir contre son cocontractant, la cour d'appel en a déduit que l'action de cette société, qui n'avait pas été totalement paralysée par le silence de la société Sagatrans était prescrite ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;
Attendu, d'autre part, qu'en vertu de l'article 108 du Code de commerce seule la fraude ou l'infidélité peuvent faire échec à la prescription annale des actions auxquelles peuvent donner lieu le contrat de transport ;
Attendu, enfin, qu'après avoir relevé que, par son télex du 6 octobre 1987 la société Sagatrans avait informé la société Neiman, de ce que la compagnie maritime n'était pas en possession de l'original du connaissement et de ce que la marchandise n'avait été livrée que contre une lettre de garantie, l'arrêt retient souverainement de ces constatations que la simple relation d'un fait, comme en l'espèce, ne vaut pas reconnaissance, même implicite, de responsabilité interruptive de prescription ;
D'où il suit que le moyen inopérant en sa deuxième branche n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi.