ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Chambre Commerciale
02 Février 1993
Pourvoi N° 91-13.558
M. ..., ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de
contre
caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Morbihan.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 19 décembre 1990), que M. ... ayant été mis en redressement judiciaire, le Crédit agricole du Morbihan (la banque), qui avait consenti au débiteur des prêts d'une durée égale ou supérieure à un an, a effectué pour chacun d'eux une déclaration de créance au titre du capital restant dû ainsi que des intérêts convenus pour la rémunération du prêt et des intérêts de retard prévus aux contrats ; que le juge-commissaire a admis les intérêts de la première catégorie à titre provisionnel pour un franc et a rejeté les intérêts de retard en retenant que la banque avait refusé les propositions de règlement qui lui avaient été faites par M. ..., lesquelles prévoyaient le respect des tableaux d'amortissement correspondant aux prêts concernés quand une telle solution lui aurait permis de se voir désintéressée conformément aux accords contractuels passés ;
Sur le premier moyen pris en ses deux branches
Attendu que M. ..., agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation et de représentant des créanciers de M. ... fait grief à l'arrêt d'avoir, écartant le principe d'une admission provisionnelle des intérêts à échoir, admis la banque au passif pour ses créances telles que mentionnées dans ses déclarations, aux motifs, selon le pourvoi, que " si les nécessités pratiques conduisent obligatoirement à nuancer le caractère définitif de la déclaration comme c'est le cas en l'espèce pour une créance mixte qui comporte une part d'intérêts à échoir ", il n'en reste pas moins vrai qu'il est exigé du créancier une déclaration aussi bien des créances échues et restées impayées que des autres avec indication des sommes à échoir et de leur échéance (article 51, 1er alinéa, de la loi du 25 janvier 1985) et aussi indication des modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté (article 67-2° du 1er alinéa du décret d'application du 27 décembre 1985), alors, d'une part, que l'obligation de déclarer le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture du redressement judiciaire avec indication des sommes à échoir s'applique aux seules créances en capital, dont le chiffre peut être déterminé à cette date, et ne peut, en l'absence de déchéance du terme, concerner les intérêts non encore échus ; qu'ainsi, dans l'hypothèse de l'existence d'intérêts dont le cours n'est pas arrêté lors de l'ouverture du redressement, l'article 67 du décret d'application du 27 décembre 1985 prévoit simplement la nécessité d'indiquer " les modalités de calcul des intérêts cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté " ; que dès lors, en écartant le principe d'une déclaration provisionnelle et en exigeant que soit précisé le montant exact des intérêts, la cour d'appel a violé les articles 51 de la loi du 25 janvier 1985 et 67 du décret du 27 décembre 1985 ; et alors, d'autre part, que la banque, dans ses conclusions d'appel signifiées le 10 septembre 1990, a contesté le bien-fondé de l'ordonnance entreprise au seul motif que " sauf à rendre impossibles tous calculs ultérieurs, la décision statuant sur l'état des créances doit, tout comme la déclaration, préciser le taux et le point de départ des intérêts ou à tout le moins comporter la mention " intérêts selon contrat ", qu'elle a donc limité l'objet du litige à la seule nécessité d'une telle précision " ; que dès lors, la cour d'appel, en décidant que pour chacun des prêts, la déclaration de passif devait comporter également le montant de la créance des intérêts à échoir, a statué ultra petita et violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a énoncé que les dispositions de la loi du 25 janvier 1985 ne prévoyaient d'exception au caractère définitif de la déclaration de créance puis de l'admission que pour les créances du Trésor Public et des organismes de prévoyance et de Sécurité Sociale ; que par ce seul motif elle a justifié légalement sa décision ;
Attendu, d'autre part, que dans son dispositif, l'arrêt n'a pas décidé que la déclaration de créance devait comporter le montant des intérêts à échoir mais que la banque devait être admise pour ses créances telles que détaillées dans sa déclaration de créance incluant les intérêts normaux et de retard et leurs modalités de calcul ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir admis la banque au passif du redressement judiciaire pour ses créances incluant les intérêts de retard, alors selon le pourvoi, d'une part, que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire n'entraîne pas l'exigibilité des créances non échues à la date de son prononcé ; que dès lors, les intérêts moratoires légaux ou conventionnels ne peuvent être admis au passif du redressement que si un retard dans le remboursement des créances dont le terme est échu au moment de l'ouverture de la procédure existait à cette date, ou si un retard est intervenu postérieurement, par suite d'une inobservation des échéances conventionnellement prévues, imputable au débiteur ;
qu'ainsi, l'arrêt infirmatif attaqué qui a admis au passif du redressement la déclaration de créances concernant des intérêts moratoires, sans avoir constaté l'existence d'un retard dans les remboursements antérieurs à l'ouverture de la procédure et sans avoir davantage constaté un retard ultérieur imputable au débiteur et résultant d'une violation de ses engagements contractuels préexistant à l'ouverture de la procédure de redressement dès lors qu'il est établi bien au contraire que le plan d'apurement du passif proposé au nom de M. ... correspondait au plan d'amortissement initialement prévu dans les contrats de prêt et que la responsabilité de la substitution d'un terme judiciaire au terme conventionnel incombe au créancier, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 55 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors d'autre part, que dans leurs conclusions déposées devant la cour d'appel, les intimés faisaient valoir que les intérêts majorés ne pouvaient être envisagés que dans l'hypothèse d'un retard de paiement trouvant son origine dans le non-respect par le débiteur des échéances prévues par le contrat et que le créancier ne pouvait invoquer à son profit pour justifier sa déclaration au passif un retard dans le remboursement des échéances provenant de la substitution d'un terme judiciaire à un terme conventionnel dont il avait la responsabilité ; qu'en omettant de répondre à ce moyen déterminant, l'arrêt attaqué a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que les retards de remboursement des prêts étant la conséquence des délais imposés par le Tribunal dans le jugement arrêtant le plan de continuation, la créance d'intérêts moratoires conventionnels devait être admise au passif, en l'absence de faute du créancier ; que par ce motif de pur droit, substitué à ceux, inopérants, de la cour d'appel et qui répond aux conclusions dont fait état la seconde branche, l'arrêt se trouve justifié ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi.